Ils ne sont plus que 150 000 à travailler dans lʼagriculture suisse, soit 3% de la population active. Combien restera-t-il de paysannes et de paysans en 2050? Assurément moins de 100 000. Peut-être même à peine plus de 50 000. Et en 2100? Des escadrilles de drones autonomes surveilleront-elles et traiteront-elles les cultures de domaines immenses? Des robots truffés d’intelligence artificielle assureront-ils en toute indépendance semis, récoltes et désherbage? Des puces électroniques implantées dans le cerveau des animaux piloteront-elles le bétail, ses repas, ses exercices, sa traite, son sommeil et même son abattage?
Si telle est lʼagriculture du futur, quelques centaines dʼemployés répartis dans des salles de contrôle suffiront pour organiser par écrans interposés une agriculture suisse ultra-productive et hyper-bon marché. Ce kolkhoze high-tech désincarné fournirait alors à très bas coût un nombre suffisant de calories au néo-prolétariat désoeuvré qui composera alors 98% de la population.
Mais le terroir, ses saveurs, ses couleurs, ses parfums nʼauront pas disparu. Les palais raffinés et les estomacs délicats des 2% de riches seront approvisionnés par un millier de petits domaines bios bucoliques. Lʼoeuf fermier coûtera 6 francs pièce, lʼentrecôte persillée 120 francs et le chou kale 25 francs lʼunité. Des peanuts pour une élite qui se retrouvera dans ces fermes lors de brunchs dominicaux (500 francs par personne) pour partager entre «beautiful people» des émotions gourmandes et pour caresser le museau dʼune vraie vache impeccablement brossée.
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Ce scénario dystopique est bien sûr imaginaire. Mais l’émergence progressive dʼune alimentation à deux vitesses est, elle, bien réelle. Est-il utopique de redonner la première place aux besoins essentiels, principalement à ce que nous mangeons? Est-il si douloureux de moins dépenser dans des loisirs formatés, des habits vite démodés, des bidules vite oubliés pour pouvoir acheter de meilleurs produits de la terre à des prix plus équitables? Il fut un temps où un ménage suisse consacrait le quart, voire le tiers de son budget pour se nourrir. La moyenne se situe aujourdʼhui à un ridicule 7%. Comme si on préférait regarder «Top Chef» en mastiquant une pizza surgelée au lieu de faire la cuisine en famille ou entre amis.
Le coup de colère des paysans européens et suisses (lire pages 10 à 18) est légitime. Ces rescapés en ont marre de leur survie subventionnée, synonyme de carcan administratif humiliant et, pour une majorité d’entre eux, de revenus modestes, voire misérables. Il est temps de cesser de mâcher sur la tête.
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