Le temple de Plainpalais est inondé de lumière. Lumière du soleil de décembre, lumière dans la voix de Carolina Costa, pasteure de l’Eglise protestante de Genève depuis 2009, auteure d’ouvrages et youtubeuse populaire, dont le rire et la blondeur égaient l’habit sombre. Maman de deux filles, elle a fait de ce lieu un hymne à l’accueil et aux différences. Elle a investi les réseaux sociaux: avec son mari Victor, qui produit ses vidéos, ils conjuguent une chaîne YouTube, Les Ataprods, et une websérie emplie d’humour, «Ma femme est pasteure». Elle a aussi fondé avec un groupe de bénévoles, Le LAB, laboratoire original au cœur de la cité, qui distille un contenu progressiste, ouvert, où toutes les identités s’unissent enfin. Même si les crises existent. En janvier 2020, elle a béni le premier couple de même sexe à Genève. Joyeux Noël, alors?
- Noël arrive. Qu’est-il pour vous?
- Carolina Costa: J’adore Noël. Il signifie la fête, ces instants où l’on est plus solidaire, où on a plus d’attention pour les autres.
- Et Noël 2021?
- Il est différent. L’an dernier, nous ressentions le besoin d’être ensemble, nous venions de vivre une période qui avait fait sentir l’importance des liens. Voilà que nous sommes presque dans le mouvement inverse. Il y a des tensions autour du vaccin. On est passé d’une expérience d’unité à la division. Serons-nous capables de nous rappeler ce qui fonde nos relations?
- Avez-vous des exemples?
- Je pense à une jeune femme avec son fiancé. Ils étaient contre le passe sanitaire, puis il a décidé de le prendre. Elle se sent perdue. Je lui dis de se rappeler pourquoi ils sont ensemble.
- Qu’y a-t-il de religieux dans cette démarche?
- Le Christ agit ainsi en permanence. Il rappelle ce qui se trouve en amont de ce qui se vit. J’aime beaucoup une phrase de Claude-Inga Barbey: «Je vis ma vie en me demandant ce que ferait l’Amour.» Quel parfait résumé de la foi! Dans nos familles, à Noël, que ferait l’Amour ? Du coup, on ne pense plus en termes d’ego, on privilégie le lien. Qui est prêt à perdre sa relation avec les gens qu’il aime au nom d’une norme, d’une opinion?
- Que direz-vous à Noël?
- Le 24, nous ferons une veillée très familiale, avec narration symbolique par des objets, des personnages. Noël est un peu l’histoire de la naissance de l’Amour. Un bébé qui dépend de nous. L’histoire de Marie et Joseph cherchant un lieu nous interroge: existe-t-il une maison chez toi pour abriter l’Amour? Nous sommes ses demeures pour le faire grandir.
- Qu’est-ce qu’un culte réussi?
- Quand la personne a pu goûter à l’Amour inconditionnel de la part de Dieu. Les gens viennent ici parce que nous avons des mots d’accueil inclusif dans un sens large, disant: «Qui que tu sois, d’où que tu viennes, quelle que soit ta couleur de peau, ton origine, ta classe sociale, ton identité de genre, ton orientation affective et sexuelle, ta couleur politique, tes vêtements, ton état de santé, tu es ici accueilli tel que tu es, dans le nom du Dieu de Tout-Amour.»
- En pleine époque Zemmour, est-ce compliqué?
- Cela nous confronte à l’enseignement suprême du Christ. L’amour des ennemis, de celui qui est l’inverse total de moi, qui peut aller jusqu’à me faire mal. Ses actes sont condamnables, mais il a le même droit d’exister. Son attitude est le signe d’un cruel manque d’amour. Le Christ invite à vivre dans le ET, plutôt que le OU. Sa mort sur la croix nous rappelle à quel point c’est inaudible pour certains mais l’Amour a le dernier mot.
- En tant que citoyenne, ces idées d’exclusion ne vous inquiètent pas?
- Comme beaucoup, oui. J’observe aussi que, derrière ces personnes, on trouve des chrétiens fondamentalistes. Certains groupes sont en croisade pour «sauver» le monde par Jésus. Ils ont monopolisé les moteurs de recherche web avec un discours rigoriste. Notre travail est un grain de sable pour se faire l’écho d’un christianisme universaliste possible.
- Cela ne vous décourage pas?
- Pas du tout. Etre disciple du Christ, c’est porter la croix, c’est annoncé au départ. Je ne voulais pas le voir pendant des années, j’étais idéaliste. Maintenant, je vois tant de gens m’écrire pour me remercier. Venir ici pour cette parole ouverte. Même mon mari agnostique croit à la puissance de cet Amour et me soutient dans cette mission.
- Quel est le cœur de votre engagement?
- L’Amour inconditionnel, toujours. La seule dimension qui me fait vibrer depuis que je suis petite, la seule que je comprends.
- Le monde n’est-il pas sombre?
- Cela dépend où on regarde. Je vois de grandes avancées. Lors d’un accouchement, on dit «dar la luz» en espagnol. Quand la lumière jaillit, l’obscurité s’intensifie autour. C’est une loi spirituelle.
- Quel est le meilleur moment?
- (Elle rit.) Les actes pastoraux, ces passages clés. Les baptêmes, les mariages, les enterrements. Des moments intenses, forts à vivre. Nous avons besoin de ritualité.
- Le sacré existe-t-il?
- Les gens ne cherchent peut-être pas le sacré au bon endroit. Ils le cherchent à l’extérieur alors que tout se trouve d’abord au-dedans de nous. Cultiver l’écoute, l’attention, retrouver la Source en soi. Cela va élargir la perception de tout le reste. Tout est relié, tout devient sacré.
Mes 5 repères
1. L’amour
«Ma réponse à tout. Le socle sur lequel reposent mon existence et mon engagement. L’origine et la fin, la substance de l’univers, le sens profond, l’énergie vitale qui unit le tout et que je nomme Dieu.»
2. Ma famille
«Mes deux filles, des maîtresses de Vie. Mon amoureux et partenaire créatif, Victor Costa, pour nos projets artistiques et nos vidéos. Mes proches qui me soutiennent inconditionnellement.»
3. La créativité
«Livres-jeux sur le mariage et le baptême, vidéos-livres pour pratiquer la voie du Christ (editions-atalahalta.com), lettre hebdomadaire par e-mail à 9000 personnes (carolina-costa.com), activité de comédienne avec un one woman show pour 2022: je suis hyperactive…»
4. Le Tibet
«Un voyage seule à 20 ans, où j’ai vécu une expérience profonde d’unité avec «Dieu», qui m’a permis de comprendre que les religions ne sont que des voies vers la même et unique Source d’Amour. J’ai choisi d’approfondir celle du Christ qui m’a plus touchée.»
5. L’humour
«J’ai besoin de rire au minimum une fois par jour, c’est vital pour ma bonne humeur et ma santé intérieure. Je suis hypersensible, donc il faut équilibrer!»