Roland-Garros a débuté dimanche dernier avec un nom sur toutes les lèvres. Mais cette année, Rafael Nadal est relégué au second plan, Novak Djokovic aussi, et l’on ne vous parle même pas de Roger Federer… Non, ce printemps, c’est un homme deux fois plus jeune que ces monuments du tennis qui prend les devants: Carlos Alcaraz, actuel sixième du classement ATP. A tout juste 19 ans, «Carlitos» n’en finit plus d’épater la planète tennis avec ses délicieuses amorties et ses étourdissants coups droits. Une technique qui impressionne et que l’Espagnol sait marier avec «cette assurance, cette vraie humilité et cet état d’esprit des grands», selon Maxime Battistella, journaliste chez Eurosport. Tout cela porte ses fruits: le natif d’El Palmar, près de Murcie en Espagne, a déjà remporté cinq titres sur le circuit ATP.
Une première caractéristique est déjà vérifiée: Carlos Alcaraz ne détonne pas dans le «style espagnol» que l’on connaît de ses compatriotes, très techniques et habiles sur terre battue. Rafael Nadal, Garbiñe Muguruza, David Ferrer, Alex Corretja… Les Hispaniques jouent sur cette surface en couches-culottes, et Carlitos n’y a pas échappé, commençant le tennis à 4 ans, sur l’ocre. Depuis quelques années, il peut aussi compter sur un entraîneur de classe mondiale: un certain Juan Carlos Ferrero, ancien numéro un mondial et vainqueur en 2003 de Roland-Garros, seul tournoi du Grand Chelem se jouant sur… terre battue.
Carlos Alcaraz a d’ailleurs remporté quatre de ses cinq tournois sur cette surface (Umag en 2021, Rio, Barcelone et Madrid en 2022). Ce qui peut surprendre, c’est que, «sans chercher à copier aucun style d’un joueur», l’intéressé rapproche plutôt son jeu de celui de Roger Federer. «Je pense que mon tennis est similaire, expliquait-il lors de l’US Open en septembre dernier. J’essaie d’être agressif tout le temps, en revers comme en coup droit.» Un coup droit particulièrement offensif que le statisticien du tennis Fabrice Sbarro estime comme son meilleur atout. «C’est un puncheur dominant, qui dompte ses adversaires car il fait plus de points qu’eux, analyse-t-il. Cinquante pour cent de plus en coup droit et en revers, et 40% de plus à la volée, pour le même ratio de fautes directes.»
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Les stats permettent d’évaluer son potentiel. En 2021, la vitesse de coup droit de Carlitos culminait dans le haut du panier, en moyenne à 124 km/h, à 6 km/h de la moyenne la plus rapide de l’année détenue par le Géorgien Nikoloz Basilashvili (ATP 25). Mais avec ses 72 kilos et son mètre 85, Carlos Alcaraz est encore en pleine croissance. Fabrice Sbarro se réjouit: «Son entraînement physique et mental de longue haleine, cumulé à son perfectionnement technique, lui permettra de faire grimper ces chiffres, comme toutes ses autres statistiques d’ailleurs.»
Mais aujourd’hui, il bat déjà des records de précocité, notamment en devenant le 25 avril dernier le plus jeune joueur, dix-sept ans exactement après Nadal, à entrer dans le top 10 mondial. En 2020, il recevait l’ATP Award de «révélation de l’année», avant de remporter en 2021 le Masters des jeunes. Marc Rosset, champion olympique suisse (à Barcelone en 1992) et ancien neuvième mondial, considère que «les champions gagnent très tôt. Voyez Borg, Wilander, Becker, Sampras… tous ont remporté leur premier Grand Chelem à 19, voire 17 ans.» N’y voyez là aucune pression…
En termes de pression, l’adolescent est bien préparé: «Il est accompagné par un staff complet qui a compris l’importance du mental dans le tennis, admire Fabien Marguerat, professeur de sport au Gymnase d’Yverdon-les-Bains et ancien préparateur physique et mental d’une joueuse sur le circuit WTA. Ils ont su travailler sur la répétition et les routines, permettant de réduire l’inconnu et ainsi d’appréhender au mieux les matchs. Cet aspect mental doit se construire tôt, parce que dès que le succès arrive, l’inconnu se porte davantage sur le public et les médias, et la pression inhérente.»
Une pression qui part aussi de certaines comparaisons inévitables entre lui et le «Big 3». Fabrice Sbarro estime par exemple que l’adolescent est «aussi complet qu’un Nadal». Dans les colonnes du quotidien sportif espagnol AS, l’ancienne gloire belge du tennis Justine Henin rejoint le statisticien: «Alcaraz est un bon mélange de Nadal, Federer et Djokovic, même si je trouve peu utile de le comparer à ces joueurs.»
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A détailler la presse internationale, unanime, on croirait pourtant que sa route est toute tracée et que Carlos Alcaraz est la vraie relève de ces trois mythes. Fabien Marguerat rejoint Justine Henin et prévient: «Il faut tout de même comparer ce qui est comparable. Tout a changé depuis les débuts de ces trois monstres, il y a bientôt vingt ans: le matériel, la préparation, les staffs, la médiatisation…» Aujourd’hui, cette dernière pourrait d’ailleurs être cruciale pour Alcaraz, car cela fait si longtemps que l’univers du tennis fantasme et attend un successeur à ce trio infernal qu’il est considéré comme le messie du tennis.
Il passe même devant la fameuse «Next Gen», qui n’a jamais vraiment réussi à percer. Parmi ces jeunes joueurs, seuls Daniil Medvedev (ATP 2, 26 ans), Alexander Zverev (ATP 3, 25 ans) et Stefanos Tsitsipas (ATP 4, 23 ans) tiennent leur statut et ont pu sortir un tant soit peu de l’ombre des trois grands. Mais au vu de leurs âges, il leur est impossible ne serait-ce que d’égaler le palmarès d’un des trois titans. Marc Rosset appuie: «La «Next Gen» devrait se bouger un peu si elle ne veut pas que ce jeunot lui passe devant!»
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La suite? A 19 ans, Carlos Alcaraz semble ainsi être au bon moment dans le bon sport. Il a les clés du succès, mais pour en ouvrir pleinement la porte, il lui faudra s’assurer de tourner la poignée dans le bon sens. «Il vivra des hauts et des bas, comme tout le monde, rappelle Fabien Marguerat. La grande question sera de savoir comment il va gérer l’ensemble des sollicitations, tant sportives que personnelles ou médiatiques. Mais lui a déjà un état d’esprit de champion, à savoir et vouloir se remettre en question.»
A Paris, il est inévitable de pronostiquer les résultats de Carlos Alcaraz. Mais Marc Rosset met en garde: «Les matchs en cinq sets, c’est encore très nouveau pour lui. Difficile à dire ce qu’il fera cette année à la porte d’Auteuil.» Fabien Marguerat est plus philosophe, estimant que «quoi qu’il se passe à Paris, Roland sera un tremplin pour lui». On a parlé de Federer et de Nadal durant vingt ans, attendez-vous à entendre le nom d’Alcaraz durant les deux prochaines décennies.