Le rideau s’ouvre sur un décor d’église. La lumière des vitraux projetée au sol. Une atmosphère propice à la confession. Le clin d’œil à l’émission «Caravane FM», que Lionel Frésard et Jean-François Michelet animent depuis cinq ans sur la RTS, est subtil. Le Jurassien et le Valaisan évoquent leur passé de servants de messe. La salle rit. Entre ces deux-là, une tendresse réciproque. L’amour des gens aussi. Le mantra? «Chacun porte en soi quelque chose d’exceptionnel.» Une heure et demie durant, le duo va jouer sur ses différences, sublimer ses ressemblances.
«Caravane en chœur» est un assemblage délicat. Lionel Frésard et Jean-François Michelet se livrent. Ils chantent. La voix de baryton de Michelet se marie à merveille avec celle de ténor de Frésard. Il y a du Simon & Garfunkel chez ces deux-là, y compris dans la taille. Le grand et le petit nous gratifient d’ailleurs d’une sidérante version de «The Sounds of Silence». Ils parlent de leurs pères disparus. Silence de cathédrale au Théâtre du Jura, bondé. Le public fredonne, s’émeut, rigole.
«Caravane en chœur» n’est pas la version scénique de l’émission TV, mais une création qui s’en inspire. Aux chansons qu’ils interprètent – «Bohemian Rhapsody», de Queen: un pur bonheur – succèdent des aveux autobiographiques, en alternance avec différents extraits sonores tirés des 20 premières émissions de «Caravane FM». Les deux «animacteurs» lèvent un coin du voile pudique qui les protège à la télé. Ils donnent.
«Dans la caravane, les gens ouvrent leur cœur en grand. Pas nous, confie Jean-François Michelet. Se livrer à notre tour est un juste retour des choses, même si ce n’est pas un exercice facile.» Les passeurs de mots se font loquaces. Quand Jean-François raconte être né avec les pieds bots et avoir subi, tout jeune, une dizaine d’opérations pour pouvoir marcher normalement, il nous cueille. «Mon handicap, j’ai attendu 40 ans pour en parler.» Témoignage sincère. La marque de fabrique du duo.
Sur scène, nulle trace de la fameuse caravane. Leur spectacle ne voulait exclure personne et surtout pas ceux qui ne connaissent pas l’émission. Le propos est universel. Le phénomène «Caravane FM» aurait pu entraver les deux comédiens. Il n’en est rien. On se laisse surprendre, frissonnant lorsque, sur scène, ils reproduisent l’expérience effrayante vécue une nuit au Lignon, à Genève…
Au baisser de rideau, chacun regarde sa montre. Déjà? Le voyage a été intense. Après avoir salué le public, un bord de plateau s’improvise après une courte pause. «On propose aux gens qui le souhaitent de rester pour discuter à bâtons rompus avec nous, explique Lionel Frésard. Un micro circule dans la salle et on s’engage à répondre à toute question. C’est un chouette moment d’échange. Les gens ont envie d’en apprendre plus.» Si la première question tarde souvent à jaillir, les ricochets s’enchaînent ensuite sans discontinuer: comment faites-vous pour ouvrir le cœur des gens? Est-ce que vous restez en contact avec celles et ceux que vous avez rencontrés? Comment l’émission est-elle née? Des mercis à la pelle, aussi.
«Caravane FM» s’est durablement installée dans le paysage audiovisuel romand. Le duo a achevé mi-septembre, à la patinoire de Porrentruy, le tournage de la sixième saison, dont les dates de diffusion ne sont pas encore connues.
L’idée géniale de cette émission née en Belgique? Retrouver de la proximité, accorder plus d’attention à l’autre, créer du lien. Réussite totale. Unanimité rarissime.
«Le luxe avec cette émission, c’est que personne ne nous dit jamais: «Là, il faut conclure.» On cause, on laisse venir. C’est ça qui est exceptionnel, estime Lionel Frésard. Prendre le temps est un luxe incroyable.» «Caravane FM», c’est l’anti-Twitter.
«On n’est ni psys ni journalistes, poursuit le Jurassien. On ne force pas une porte qui ne veut pas s’ouvrir. Ce n’est pas le but. Jean-François et moi partons toujours du lieu où l’on se trouve. On digresse à partir du lieu et ça fonctionne aussi bien dans un EMS qu’à la piscine ou en prison.» L’écoute est attentive. Bienveillante. La formule hybride, entre radio et télé, offre un cadre intime favorisant la confession. «Pour moi, on ne fait ni de la télé, ni de la radio, souligne Jean-François Michelet. On rencontre quelqu’un, c’est tout.» Juste. Celles et ceux qui viennent au micro oublient très vite l’aspect technique (casque, micro, caméras). «Ils ont une petite appréhension qui dure deux minutes avant de se dissiper, puis ils nous disent, avec les yeux qui pétillent: «On est comme au chalet.»
L’empathie des animateurs n’est jamais feinte. Régulièrement, l’émotion les submerge. «On pleure lors de chaque émission, et plus d’une fois! Je crois que c’est important, confie le Valaisan. On a les deux la larme facile. Ça nous permet aussi d’évacuer.» Touchants, ces gars.
Sur scène aussi, le tandem est parfois rattrapé par l’émotion. «Hier, en pleine répétition, je me suis fait avoir, avoue Jean-François Michelet. Il faut dire qu’on a semé pas mal de peaux de bananes dans le texte. Le risque que l’émotion rejaillisse très fort est réel.»
Pas facile d’évacuer le trop-plein d’émotions après un tournage de «Caravane FM». «Pleurer facilement nous aide, souligne le Valaisan. On débriefe aussi beaucoup avec Lionel. On se parle. On a aussi la chance de rentrer ensuite chez nous et de pouvoir déposer tout ça à la maison.» La famille comme soupape. «Un quotidien familial bien rodé, ça empêche de trop gamberger.» Parfois, trois ou quatre jours sont nécessaires pour résoudre «les gros chantiers qu’on a dans la tête, le cœur et le corps», ajoute néanmoins le Jurassien, qui soupire.
Jean-François Michelet et Lionel Frésard ont en commun la passion du théâtre, qu’ils ont étudié à la Haute Ecole de théâtre pour le premier, au Conservatoire pour le second, tous les deux à Lausanne. Ils viennent de cantons périphériques et catholiques: le Valais et le Jura. Aux Enfers (JU), dans les Franches-Montagnes, Lionel, fils de restaurateurs, a découvert le théâtre grâce au… football, à Montfaucon. «Comme l’hiver il y avait de la neige sur le terrain, l’entraîneur a décrété qu’on allait faire du théâtre. Et donc, depuis 1983, Montfaucon vit au rythme du théâtre amateur.»
A «Basseninde», comme il dit, autrement dit Basse-Nendaz (VS), Jean-François, fils d’une infirmière et d’un ingénieur en mécanique, a découvert le théâtre vers 15 ans, à la faveur d’un opéra, «Les noces de Figaro», qu’une prof du Conservatoire de Sion, où il étudiait le chant, avait décidé de monter. Il était le seul garçon de sa volée. Sollicité, il accepte, un peu contraint. Révélation.
Ils se rencontrent en 2007 à la faveur d’un spectacle à Genève dans lequel Lionel tenait un rôle, ainsi que la copine de l’époque de Jean-François. «On a marché et discuté ensemble entre la gare Cornavin et le théâtre de l’Alhambra, raconte ce dernier, et l’on s’est très vite rendu compte qu’on avait plein de points communs. Nos parcours sont presque jumeaux. C’est assez incroyable.»
Ils sont les deuxièmes enfants de leur famille respective, les seuls garçons aussi, avec deux sœurs pour Jean-François, quatre pour Lionel. Gamins, ils n’avaient pas la télé. Ils n’avaient aucune expérience ni en radio ni en télévision avant d’être choisis pour animer «Caravane FM». L’émission les a soudés. Le chagrin aussi.
«On a tous les deux perdu notre papa assez tôt», confie Lionel Frésard. Son compère enchaîne: «On s’est retrouvés seul garçon du foyer familial la vingtaine naissante.» Un traumatisme qu’ils évoquent sur les planches avec une tendresse infinie. Si Lionel a aussi perdu sa maman depuis que leur spectacle a repris sa tournée, Jean-François a encore la sienne, une battante qui a survécu à deux cancers.
Comment l’idée du spectacle est-elle née? «D’une envie commune de chanter, répond Jean-François Michelet. Quand on chante, il y a quelque chose qui nous dépasse. Ça se passe super bien.» Leurs voix sont harmonieuses, posées, complémentaires. «On s’en est rendu compte en chantant dans le bus, raconte Lionel Frésard, puis on s’est mis à le faire dans l’émission et les téléspectateurs nous ont incités à poursuivre.»
Dans «Caravane en chœur», accompagnés d’un complice musicien multi-instrumentiste – Jean-Samuel Racine et Maël Godinat en alternance –, ils se font plaisir, remanient ou non les paroles de certaines chansons, font voisiner le groupe Eagles et l’abbé Bovet. Avec bonheur.
Pour la petite histoire, Lionel Frésard et Jean-François Michelet espéraient au départ être accompagnés sur scène d’un «quintet à cordes entièrement féminin». «On avait demandé des subventions, mais ce qu’on a reçu n’était pas suffisant pour valider cette formule. On a donc réduit nos ambitions.»
Pour le travail d’écriture, nos deux complices sont partis en retraite en France voisine. «Si tu veux être tranquille pour écrire, Thonon-les-Bains en février, c’est l’idéal», lance Lionel, hilare. C’était un an avant le covid. Ce choix d’aller penser ailleurs ne doit rien au hasard, induit par une popularité qui les dépasse. «En Suisse romande, ça devient compliqué de se mettre autour d’une table de bistrot incognito, surtout quand on est les deux. Et s’il s’agit d’écrire, ce n’est juste pas possible», sourit le Jurassien.
«En plus, cette émission étant caractérisée par sa bienveillance, Jean-François et moi sommes les gentils de service. Il y a un truc de cet ordre-là qui nous oblige.»
Le spectacle «Caravane en chœur» est très écrit, quasiment à la virgule près, tout en donnant l’impression, par moments, d’être improvisé. Cela ne met pas le duo à l’abri d’un dérapage émotionnel. Quand le chagrin se mêle à la sincérité, il faut savoir reprendre son souffle… mais c’est diablement efficace.
Jeunesse en instantanés
Lionel Frésard à gauche et Jean-François Michelet à droite
>> Retrouvez le spectacle «Caravane en chœur»:
- Le 27 octobre à Saint-Maurice
- Les 29 et 30 octobre à La Chaux-de-Fonds
- Le 5 novembre à Grône
- Le 11 novembre à Lausanne
(Réservations via le site caravaneenchoeur.ch ou Ticketcorner).