Utilisé depuis la nuit des temps pour ses vertus médicinales, le cannabis est aujourd’hui prisé pour ses effets thérapeutiques – réels ou supposés. Il peut même être prescrit sur ordonnance. «Cela fait au moins trente ans que l’OFSP (Office fédéral de la santé publique) peut donner une autorisation pour un usage médical. A l’époque, le cannabis était surtout destiné aux patients infectés par le virus du sida qui n’avaient plus d’appétit et perdaient du poids. Mais il n’était pas efficace», constate la professeure Barbara Broers, médecin adjointe dans l’Unité des dépendances du Service de médecine de premier recours des Hôpitaux universitaires de Genève (HUG) et vice-présidente de la Société suisse pour les cannabinoïdes en médecine (SSCM). Au cours des décennies, la liste de ses indications s’est considérablement allongée, mais les praticiens devaient toujours demander une autorisation à l’OFSP pour le prescrire à titre exceptionnel. La loi fédérale sur les stupéfiants ayant été modifiée, depuis le 22 août dernier, ils n’ont plus cette obligation, ce qui devrait faciliter l’accès aux traitements.
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1. Sous quelle forme est-il prescrit?
Le cannabis peut être prescrit en Suisse sous forme de médicaments ou de préparations faites sur ordonnance par des pharmacies agréées – huiles, teintures, etc. – qui contiennent deux cannabinoïdes (composants du cannabis): le THC et le CBD.
Seuls deux médicaments sont actuellement homologués par Swissmedic (autorité d’autorisation et de surveillance des produits thérapeutiques). Tous deux se présentent sous forme de sprays oraux. Toutefois, ils ne sont reconnus – donc remboursés par les assurances – que pour des indications bien précises et pour des patients ne répondant pas aux traitements habituels. «Le premier, le Sativex©, est uniquement destiné aux personnes souffrant de spasticité (contractions ou spasmes musculaires, ndlr) provoquée par une sclérose en plaques, précise la professeure Broers. Le second, l’Epidiolex ©, qui ne contient que du CBD, s’adresse exclusivement à des enfants ayant des formes très graves d’épilepsie.»
2. Ses dérivés sont-ils contre les douleurs chroniques?
Ces restrictions n’empêchent pas la palette des indications du cannabis à usage médical d’être beaucoup plus étendue. L’une de ses principales utilisations concerne les douleurs chroniques, notamment celles qui sont dues à une atteinte du système nerveux, à un cancer ou à des maladies rhumatologiques. «De plus en plus de patients nous demandent de leur en prescrire», constate le Dr Marc Suter, médecin associé au Centre d’antalgie du Centre hospitalier universitaire vaudois (CHUV).
Dans l’organisme, «les récepteurs des cannabinoïdes étant situés sur les circuits de la douleur, on avait l’espoir qu’ils pourraient soulager cette dernière», ajoute le médecin. Pour lui, l’attente a été déçue. «Certes, certains patients ont moins mal, constate-t-il, mais ils sont somnolents et ont toujours autant de difficulté à mener leurs activités.»
Le médecin reconnaît toutefois que les personnes qui viennent consulter au Centre d’antalgie du CHUV ont un profil particulier, puisqu’elles souffrent de douleurs particulièrement sévères qui ont résisté à tous les traitements habituels. Chez d’autres, comme chez Greg (lire son témoignage ci-après), les résultats peuvent être «exceptionnels». Il n’en reste pas moins que «selon les études scientifiques actuelles, pour ce qui est de la douleur, les bénéfices liés à la prise de cannabinoïdes restent très modestes», souligne le médecin du CHUV.
3. Quelles sont leurs autres indications?
Les cannabinoïdes sont aussi fréquemment employés dans le traitement de la spasticité sous toutes ses formes, mais aussi de nausées, de vomissements, de manque d’appétit et de perte de poids. Dans ce cas, ce sont les propriétés du THC qui sont appréciées, car ce produit «a un effet myorelaxant, c’est-à-dire qu’il réduit la tonicité des muscles», constate la professeure Broers. De son côté, l’effet calmant et anxiolytique du CBD peut être mis à profit en cas d’épilepsie lorsque les autres traitements n’ont pas fait d’effet, de troubles du sommeil ou d’hyperactivité. Dans ce dernier cas, «certaines personnes qui ne tolèrent pas les amphétamines habituellement prescrites répondent assez bien». Cela pourrait aussi être le cas pour celles et ceux qui souffrent de maladies auto-immunes, comme la maladie de Crohn.
4. Leurs vertus sont-elles scientifiquement prouvées?
Dans la plupart des situations, le conditionnel est de rigueur. Les spécialistes restent prudents, car il existe peu d’études sur le sujet conduites dans les règles de l’art.
En outre, celles qui ont été publiées sont souvent difficiles à interpréter, notamment parce qu’elles sont menées avec des cannabinoïdes administrés sous des formes différentes qui n’ont pas toutes la même efficacité. Les médecins qui les prescrivent en sont donc souvent réduits à tâtonner, en tentant d’adapter les dosages de THC et de CBD en fonction de la situation de chacun de leurs patients.
Malgré le manque de données scientifiques, la professeure Broers considère que cela vaut parfois la peine d’avoir recours au cannabis médical. «Les patients ont le droit d’essayer; si ça marche, on continue, sinon, on arrête. Les personnes qui ont des douleurs chroniques, par exemple, ont une très mauvaise qualité de vie. Si le cannabis améliore quelque peu leur mal, leur anxiété ou leur sommeil, pour elles, cela peut être significatif. D’autant que ces traitements ne s’accompagnent que de peu de risques. Leur principal inconvénient pour les patients est qu’il n’est pas remboursé.»
5. Quels sont leurs effets indésirables?
Les cannabinoïdes ont parfois des effets indésirables, qui sont principalement dus au THC. Ils peuvent rendre la bouche sèche, entraîner une somnolence, des vertiges, ainsi que des fluctuations de l’humeur ou des pertes de mémoire. Mais, précise la spécialiste des HUG, «ces effets se manifestent surtout au début du traitement et, la plupart du temps, ils sont transitoires».
Quant au risque de dépendance, «avec les dosages thérapeutiques, il est très faible, selon la professeure Broers. D’ailleurs, chez les fumeurs de cannabis, la dépendance est principalement liée au tabac auquel il est mélangé.»
En attendant les résultats de larges études en cours dans divers pays qui apporteront, peut-être, des preuves des bienfaits du cannabis médical, la loi permet aux patients et à leurs médecins de tenter l’expérience. En gardant en tête que «les vertus des cannabinoïdes sont souvent exagérées», comme le constate le Dr Suter, et que ces produits ne doivent pas susciter d’espoirs démesurés.
THC et CBD, des effets différents sur l’organisme
Parmi les centaines de substances chimiques différentes que renferme le cannabis, les cannabinoïdes sont les plus intéressants sur le plan médical. Particulièrement deux d’entre eux, qui ont été les plus étudiés: le THC (tétrahydrocannabinol) et le CBD (cannabidiol).
Leurs effets sur l’organisme sont très différents. Le THC peut «augmenter l’appétit, diminuer les nausées et les vomissements, ainsi que relaxer les muscles», précise la professeure Barbara Broers, médecin adjointe à l’Unité des dépendances du Service de médecine de premier recours des Hôpitaux universitaires de Genève (HUG) et spécialiste des cannabinoïdes médicaux. Quant au CBD, «ses propriétés les mieux connues sont ses effets antiépileptiques et antalgiques. Il agirait aussi comme anxiolytique et comme antipsychotique et pourrait également soulager certains troubles du sommeil.» On lui attribue par ailleurs une influence sur l’immunité, ainsi que des vertus neuroprotectrices et antioxydantes, notamment. Toutefois, cela reste à démontrer.
Dans l’organisme, les principaux récepteurs («points de fixation») des cannabinoïdes sont situés dans le cerveau, surtout ceux du THC, «ce qui explique son effet planant», précise la professeure des HUG. Mais on en trouve un peu partout dans le corps, des intestins aux bronches, en passant par les reins, les globules blancs du sang et les terminaisons nerveuses périphériques. C’est pour cette raison que, en théorie du moins, ces substances peuvent avoir des effets très divers.
CBD en vente libre, une qualité variable
Les produits renfermant du CBD (et moins de 1% de THC) ne sont pas vendus uniquement en pharmacie, sur ordonnance. De multiples sites et magasins les proposent sous diverses formes: fleurs, huiles, cosmétiques, thés et infusions, cigarettes avec ou sans tabac, etc. On trouve même des gouttes et des huiles destinées aux chiens et aux chats. «La plupart du temps, les bénéfices vantés par les publicités ne reposent sur aucune preuve scientifique, remarque le Dr Marc Suter, médecin associé au Centre d’antalgie du Centre hospitalier universitaire vaudois (CHUV). En outre, ces produits sont coûteux.» Par ailleurs, ajoute le médecin vaudois, «si leur composition est censée être indiquée sur l’emballage, on n’y trouve pas toujours ce qui est annoncé sur l’étiquette. Leur qualité est donc variable.» La professeure Barbara Broers, vice-présidente de la Société suisse pour les cannabinoïdes en médecine, confirme: «Il est évidemment préférable de se procurer des médicaments contenant du CBD dans une pharmacie, avec une ordonnance et après en avoir discuté avec son médecin.» Mais le pire, dit-elle, «est de faire ses achats dans la rue, au marché noir, car, dans ce cas, on ne sait vraiment pas ce qu’ils contiennent».
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«Le cannabis, c’est ma béquille. Vous me l’enlevez, je tombe»
Greg, 40 ans, se réjouit de la nouvelle législation.
A la suite d’un accident de sport, en 2008, j’ai eu quatre fractures au visage et une paralysie faciale gauche. Pour soigner mes douleurs, les médecins m’ont prescrit les traitements traditionnels en traumatologie, du tramadol et des benzodiazépines. Les effets secondaires étaient assez violents: troubles de l’estomac, inflammation des ganglions, perte de poids et j’en passe.
J’avais déjà consommé du cannabis de manière récréative et j’ai décidé de le prendre d’une manière un peu plus «médicale». En 2013, j’ai fait partie des premiers patients qui ont pu obtenir de la teinture, mon médecin ayant obtenu une autorisation, exceptionnelle à l’époque, de l’Office fédéral de la santé publique pour me la prescrire. En fait, c’était plus un placebo qu’autre chose, car cette teinture contenait 2% de CBD et 1% de THC qui est le seul, selon moi, à avoir une action pharmacologique efficace.
Depuis la modification de la loi (sur les stupéfiants, ndlr), en août dernier et l’ouverture de la libéralisation du cannabis médical, j’ai reçu une ordonnance pour des fleurs ainsi que pour du sirop qu’un pharmacien a préparé spécialement pour moi. On entre donc dans une médecine personnalisée.
En ce qui me concerne, les résultats ont été exceptionnels sur la douleur, non seulement physique, mais aussi psychique. Le cannabis m’aide beaucoup dans la gestion de l’anxiété et du stress. Au lieu de me focaliser sur mon mal, j’arrive à me concentrer sur autre chose.
Quant aux effets secondaires du cannabis, ils sont considérablement moins importants que ceux des médicaments antalgiques que j’avais pris auparavant. J’ai par exemple envie de manger – ce qui n’est en fait pas vraiment un effet indésirable (rire). Parfois, mon sommeil est légèrement perturbé, mais il peut aussi être amélioré. Cela dépend de la variété des fleurs que je consomme.
J’ai eu la chance d’avoir un médecin à mon écoute, ce qui fait toute la différence. Il me suit depuis peu de temps, mais il a constaté que je prenais le cannabis de manière responsable, raisonnée et raisonnable. J’adapte notamment ma consommation en fonction de mon environnement: je l’augmente par exemple quand je suis en montagne et qu’il fait froid, parce que mon visage me fait plus mal que quand je suis sous un climat tropical, chaud et humide.
Maintenant, je refais du sport – de la boxe thaïe deux fois par semaine – et j’arrive à gérer ma vie professionnelle et familiale. Le cannabis est devenu ma béquille. Si vous me l’enlevez, je tombe par terre.