«Chaque jour est un pas de plus vers la victoire»
Fanny Leeb, chanteuse, 35 ans, en rémission d’un cancer du sein
Elle avait évoqué son cancer du sein dans L’illustré en mars 2019, le crâne nu, après ses séances de chimiothérapie et leur cortège d’effets secondaires, épuisement et nausées. On retrouve la chanteuse Fanny Leeb, 35 ans, chez elle à Montreux, deux ans et sept mois après la fin de son traitement. Les cheveux ont repoussé, bruns et drus.
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«Après les chimios, j’ai subi une opération. Pas une ablation du sein, mais un curetage. On a retiré du tissu autour de la tumeur et les ganglions sous l’aisselle droite. Des nerfs ont été touchés. Je n’arrive plus à lever totalement le bras, dit-elle en le montant à angle droit. Ensuite, la radiothérapie a permis de neutraliser toute cellule suspecte.» Fanny se soumet à des contrôles tous les trois mois. «J’ai une épée de Damoclès au-dessus de la tête. On dit qu’il faut attendre cinq ans avant d’évoquer une guérison. Je suis en rémission.» Les gènes (BRCA1 et BRCA2) à l’origine de son cancer très agressif, dit triple négatif, peuvent muter dans environ 30% des cas. «C’est beaucoup, alors que, s’ils sont détectés à un stade précoce, neuf cancers du sein sur dix guérissent. Chaque jour qui passe est donc, pour moi, un pas de plus vers la victoire.»
Cette épreuve l’a fait grandir. «J’ai toujours douté de moi dans la vie, mais jamais de l’issue de mon combat pour la vie.» Reste à gérer l’angoisse. Elle s’invite, sournoise, le soir venu. «Je reste éveillée avec la peur que ça recommence. J’ai même demandé un PET-Scan (scanner, ndlr) à mon oncologue afin de me rassurer.» Le stress qu’engendre un cancer, elle avait tenté de l’apprivoiser par la musique, sa passion. «Elle m’a soignée. Grâce à elle, je m’évadais et j’oubliais tout, alors que, parfois, marcher 10 mètres m’épuisait. Les chimios étaient comme une ascension dans l’orage. Après un regain d’énergie, j’étais de nouveau abattue, secouée par la tempête. Dans cette épreuve, on n’est plus maître de son corps. Moi, je visualisais la victoire, le moment où j’allais casser le ruban sur la ligne d’arrivée.»
Fanny, femme entière, laisse librement s’exprimer ses émotions. «Cela me rend vivante. Alors qu’en société il faudrait paraître, s’interdire de pleurer, moi, j’assume.» Elle a pu compter sur sa famille et Oliver, son compagnon. «J’ai la chance de ne pas avoir été quittée. Cela arrive souvent. Cette maladie bouleverse tout…»
Il y a son chien aussi. Le fidèle Lennon avait développé un eczéma au moment de l’annonce du cancer de sa maîtresse. «Je lui parle. Lui seul peut tout entendre…»
Très à l’écoute de son corps, elle entretient son physique et son mental. «Admirer la splendeur du lac me ressource, m’y plonger en faisant du wakesurf m’est indispensable. J’ai besoin de l’eau. Je médite, j’écoute de la musique à 432 Hz, la fréquence antistress.» Elle ajoute la physiothérapie, l’acupuncture et la réflexologie. «Et l’auriculothérapie, qui utilise les zones réflexes du pavillon de l’oreille afin de dépister et corriger les déséquilibres. La médecine holistique, non conventionnelle, soigne le psychique et le physique.»
Fanny Leeb s’engage aussi pour les autres. «Je soutiens la Fondation Otium (www.centre-otium.ch). Elle agit pour améliorer la qualité de vie pendant et après un cancer.» Alors qu’elle travaille à son nouvel album, en français cette fois, et prend des cours de comédie, elle participe, ce mois, au rallye Trophée Roses des sables au Maroc. Juste avant de nous quitter, elle partage cette confidence, émue: «Je l’ai appris pendant l’interview: ma sœur Elsa vient d’accoucher d’une fille. Preuve que la vie continue!»
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«Il faut oser mettre en doute un avis médical»
Rachel Bénitah, professeure de danse contemporaine, en rémission d’un cancer du sein
En Suisse, un quart des cancers du sein nécessitent une mastectomie, c’est-à-dire l’ablation totale d’un sein. Il y a cinq ans, quand le diagnostic est tombé, Rachel Bénitah a demandé deux autres avis médicaux avant de devoir se résigner: le cancer était parvenu à un stade trop avancé pour éviter cette mutilation.
Cela faisait pourtant deux ans que la danseuse, enseignante au CFP Arts de Genève, avait détecté une boule de la taille d’une olive dans son sein droit. Mais, plus habituée à se soucier des autres et très impliquée dans son travail, elle a attendu une année avant d’en parler à son gynécologue. Sur la base d’une simple échographie, et contrairement à l’avis de la radiologue, celui-ci estime qu’il s’agit d’une grosseur bénigne ne nécessitant pas de mammographie. Cette erreur de jugement va retarder la riposte d’une deuxième année. «C’est ce qui me convainc de témoigner aujourd’hui, explique Rachel Bénitah. Dès le premier doute, il faut aller consulter. Et il faut oser mettre en doute un avis médical quand il vous semble ne pas correspondre à votre ressenti, à vos douleurs, à votre fatigue.» Car il s’agissait bien d’un cancer et même d’un cancer hormonodépendant à un stade avancé nécessitant une ablation.
Le Centre du sein du CHUV prend le relais. «Cette équipe est formidable mais elle a été étonnée que, une fois convaincue que je ne pouvais pas échapper à l’ablation, je demande à voir le chirurgien. Il était hors de question que ce soit un parfait inconnu qui m’enlève une partie de mon corps. Je voulais aussi qu’il connaisse mes besoins. Comme danseuse, je devais conserver le maximum de mobilité de l’épaule et du bras. Je voulais aussi m’assurer qu’il savait que je ne voulais pas refaire mon sein, ce qui a une influence sur le type de mastectomie.»
Ce chemin de croix de l’opération, suivie de la chimiothérapie et de l’hormonothérapie, Rachel Bénitah l’a parcouru avec un soutien amoureux, familial et amical qui l’émeut encore. Elle a aussi tenu bon pour son fils, qui avait 10 ans au moment du diagnostic. Un film, un ovni intitulé Beau geste, est né de cette épreuve: Rachel a demandé à une centaine de proches qui l’avaient soutenue de lui offrir des gestes pour en faire une chorégraphie. Aujourd’hui, la rémission suit son cours. «Je pense quand même à cette maladie tous les jours», dit cette artiste qui estime que le cancer a exacerbé chez elle un sens de l’éthique et l’a incitée à plus s’occuper d’elle-même. Elle s’est aussi habituée à son nouveau corps. «Cette particularité n’a jamais posé de problème à mon compagnon de l’époque ni dans mes relations suivantes. Cela m’a redonné confiance. Et puis mon sein gauche est très solidaire de l’autre: il a diminué de moitié depuis l’opération», précise-t-elle en riant.
«J’ai suspendu le traitement pour avoir un enfant»
Olivia Philippossian, infirmière, neuvième année de rémission d’un cancer du sein
C’est en se douchant un matin de 2012, alors qu’elle se préparait à aller à un mariage, qu’Olivia a senti une petite boule dans un sein. «Je me suis tout de suite dit que c’était probablement quelque chose de sérieux. Et comme je suis plutôt du genre à laisser traîner les choses, j’en ai parlé à deux personnes. C’est ce partage d’information qui m’a encouragée à prendre rapidement rendez-vous chez mon gynécologue. Mon métier d’infirmière m’a fait comprendre que, derrière ses paroles se voulant rassurantes, son inquiétude était en fait bien réelle.» Mammographie, IRM et biopsie… les examens s’enchaînent sur dix jours et finissent par confirmer les inquiétudes: la petite boule est bel et bien une tumeur maligne. «Là, c’est le coup de massue. Et puis il faut l’annoncer à ses proches, ce qui était délicat pour moi.»
Deuxième mauvaise nouvelle, une métastase est découverte dans un ganglion lymphatique. Il faudra faire une chimiothérapie de six mois après l’opération de la tumeur et enlever d’autres ganglions. Chaque séance de chimiothérapie (assez agressive en raison du jeune âge de la patiente qui n’avait que 32 ans) est suivie de quatre jours de vie en ermite chez elle avec son chat. L’effet de la chimio provoque en effet chez la patiente un sentiment de vieillissement prématuré. Puis c’est la radiothérapie à l’endroit où se situait la tumeur, qui provoque elle aussi son lot d’effets secondaires, et enfin l’hormonothérapie. «C’est l’étape la plus difficile. Les précédents traitements sont déjà éprouvants, mais là on vous provoque une ménopause subite, avec tous les changements psychologiques et physiques que cela implique, un état de tension permanent, incontrôlable, des troubles du sommeil et de la concentration.» Et ce traitement est censé durer dix ans.
Mais l’infirmière a rencontré celui qui est aujourd’hui son compagnon. Le jeune couple souhaite avoir un enfant. Olivia Philippossian décide donc de suspendre l’hormonothérapie après trois ans, avec l’accord du corps médical, et tombe enceinte très rapidement. «Mon oncologue m’a même dit que le fait d’avoir un enfant est un facteur positif pour diminuer le risque une récidive. Après l’accouchement, j’ai repris la partie du traitement la plus supportable et je la poursuivrai encore une année.» Mais cet enfant qui a aujourd’hui 4 ans démontre qu’il y a une vie et même plus d’une vie après le cancer. Olivia Philippossian donnet-elle un sens à cette épreuve? «Cela vient peut-être d’un conflit intérieur qui n’est pas encore réglé. Et mon métier d’infirmière est à risque: le travail de nuit perturbe le système hormonal. Ce qui est sûr, c’est qu’il faut s’engager dans la bataille en se répétant que cette maladie ne gagnera pas.»