A ce jour, en Suisse, près de 23 000 personnes sont touchées par le cancer colorectal, ou l’ont été récemment. Ce cancer n’est autre que le deuxième le plus fréquent chez les femmes et le troisième chez les hommes. Ainsi, chaque année, 4300 cas sont découverts et 1700 personnes décèdent de la maladie. «Le taux de mortalité reste élevé et nous devrions pouvoir faire mieux, car, repéré dès ses prémices, le cancer colorectal se soigne très bien. L’enjeu est éminemment collectif afin que toutes les personnes concernées y soient sensibilisées et franchissent le pas du dépistage», souligne le Dr Sébastien Godat, gastro-entérologue, responsable du secteur d’endoscopie au service de gastro-entérologie et d’hépatologie du Centre hospitalier universitaire vaudois (CHUV). Parmi les actions clés: les programmes de dépistage organisés depuis plusieurs années dans divers cantons.
En quoi consistent les programmes de dépistage?
Proposés le plus souvent aux personnes âgées de 50 à 69 ans ne présentant aucun symptôme, les programmes cantonaux de dépistage du cancer colorectal se matérialisent d’abord par un courrier incitant à se rendre en pharmacie ou chez son médecin traitant pour s’inscrire au dépistage. «L’absence de symptôme est le principe même de cette démarche, poursuit le spécialiste. En effet, le plus souvent, le cancer colorectal se développe de façon insidieuse, évoluant pendant plusieurs années sans se manifester. Le problème est que bien souvent, lorsque les symptômes apparaissent, les lésions sont déjà avancées. Parfois, il est trop tard pour obtenir une rémission complète. A l’inverse, lorsqu’elles sont repérées très tôt, il est le plus souvent possible de les éradiquer et d’opter ensuite pour une simple surveillance régulière.»
Le cancer colorectal, une évolution silencieuse
Pour rappel, le cancer colorectal découle d’une prolifération anormale de cellules au niveau de la muqueuse du côlon. Il s’agit de polypes appelés adénomes. Si la plupart de ces polypes resteront bénins, 5% d’entre eux vont évoluer en cancer, en dix à quinze ans en moyenne. Ils entraînent alors souvent (mais pas toujours) des symptômes tels que sang dans les selles, selles noires, troubles digestifs marqués par l’alternance d’épisodes de constipation et de diarrhées, douleurs abdominales, anémie, perte de poids ou encore fatigue inexpliquée.
En pratique, deux examens de dépistage possibles
Aujourd’hui, le dépistage du cancer colorectal peut prendre deux formes: soit le test de recherche de sang occulte dans les selles (aussi appelé FIT, pour «fecal immunochemical test»), soit la coloscopie. Si chacune de ces techniques comporte ses avantages et ses inconvénients, le choix de l’une ou l’autre est libre dans le cadre des programmes de dépistage.
Commençons par le test de recherche de sang occulte dans les selles. En évoluant, et avant même de devenir cancéreux, les polypes se développant au niveau du côlon peuvent saigner. Ce sang se mêle alors aux selles, mais en quantités d’abord si infimes qu’il n’est pas décelable à l’œil nu, tout en étant détectable par le test. Dans le cadre du dépistage, un kit de prélèvement est remis par le médecin généraliste ou en pharmacie. Il comprend notamment un dispositif de collecte, un tube de test et une enveloppe prête à être envoyée au laboratoire qui se chargera de l’analyse. Si le résultat est négatif, le test est à refaire au bout de deux ans; s’il est positif, une coloscopie s’avère nécessaire pour identifier l’origine du sang retrouvé. Les saignements peuvent en effet avoir une cause autre que la présence d’un polype.
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Les avantages de cette technique: elle est rapide, simple à réaliser par la personne elle-même et ne demande aucune préparation médicale. Ses principaux inconvénients: elle est à renouveler tous les deux ans et, en cas de détection de sang, elle suppose des investigations complémentaires pour confirmer ou infirmer la présence de polypes suspects.
Concernant la coloscopie: réalisée par un gastro-entérologue, elle repose sur l’observation du côlon par un endoscope, petit tuyau souple muni d’une caméra, introduit par l’anus du patient. Au cours de l’examen, tout polype présent peut être non seulement repéré, mais également retiré directement. Envoyé au laboratoire, il sera ensuite analysé et, selon sa nature, permettra d’adapter la marche à suivre au cas par cas. Si le polype est bénin, une coloscopie sera à envisager dans un délai de trois à dix ans en moyenne. Si un cancer naissant est confirmé, une prise en charge oncologique globale est à entamer, impliquant des investigations complémentaires (scanner de l’abdomen, du pelvis, prise de sang, etc.).
Les avantages de la coloscopie: le repérage et l’ablation immédiate de tout polype présent sont possibles. Ses principaux inconvénients: une minutieuse préparation en amont de l’examen est nécessaire pour «nettoyer» le côlon (régime alimentaire spécifique et laxatif avant le jour J), le recours à des sédatifs durant l’examen qui rendent impossible la conduite pendant douze à vingt-quatre heures et un risque (minime) de complication durant l’examen (très rare perforation de l’intestin notamment).
Un dépistage efficace et reconnu
«Depuis que différents outils de dépistage sont utilisés, ces examens ont permis de réduire la mortalité liée au cancer colorectal d’environ 20% selon les dernières données», se réjouit le Dr Godat. Si les experts sont unanimes quant à l’efficacité de ces examens, ils rappellent aussi que seuls ces deux tests sont aujourd’hui validés en Suisse pour les programmes de dépistage. «Face aux nombreuses autres approches prônées, sur internet notamment, basées par exemple sur des tests ADN, la plus grande vigilance s’impose, alerte le Dr Thibaud Kössler, oncologue, responsable de l’unité des tumeurs digestives au département d’oncologie des Hôpitaux universitaires de Genève (HUG). Au-delà des questions éthiques qui se posent face à de telles investigations pratiquées hors cadre médical, elles exposent à des résultats erronés et donc dangereux, en étant par exemple faussement rassurants.»
Peut encore mieux faire
Si le dépistage est le plus souvent préconisé dès 50 ans, l’expert alerte: «En présence de certains facteurs de risques ou de sang dans les selles, il est impératif de parler à son médecin traitant sans attendre cet âge butoir.» Et de préciser: «Les facteurs de risques en question sont la présence d’une maladie inflammatoire de l’intestin (maladie de Crohn notamment) ainsi que les antécédents familiaux. Ainsi, si un membre de la famille – père, mère, frère, sœur notamment – a eu un cancer colorectal, un dépistage est fortement recommandé, idéalement dix ans avant l’âge auquel le cancer s’est déclaré chez ce proche. Plus le nombre de personnes touchées au sein d’une famille est important, plus cette recommandation est forte.»
Reste la question des critères du dépistage préconisé par les programmes actuels: ne faudrait-il pas abaisser l’âge du premier test pour réduire encore l’incidence du cancer colorectal? «Le sujet est vaste, car il met en balance une multitude de facteurs médicaux, économiques et éthiques pour que ce dépistage soit efficace, qu’il ait du sens et qu’il soit faisable en pratique, notamment avec l’idée que le système de soins puisse suivre», note le Dr Kössler. Et de souligner: «Au-delà des facteurs de risques et des symptômes à prendre en compte, le cancer colorectal reste une pathologie survenant avec l’âge, qui est intimement liée à l’hygiène de vie (lire encadré). Or, aujourd’hui, il semble que ce cancer apparaisse plus souvent chez des personnes de moins de 50 ans, questionnant ce point. Et pour cause, cette évolution étant rapide et récente, elle est sans doute plus en lien avec nos modes de vie actuels, mêlant souvent vie sédentaire et alimentation inadaptée, qu’avec une évolution génétique. Face à ce constat, les Etats-Unis ont d’ailleurs décidé d’abaisser l’âge de recommandation du premier dépistage à 45 ans.»
Faut-il repenser en ce sens les programmes de dépistage? Ou peut-être l’adapter au cas par cas, en s’appuyant sur le profil de chaque patient plutôt que sur son âge? «Le débat est ouvert et les pistes sont nombreuses, estime le Dr Godat. On sait aujourd’hui que, en Suisse romande, seulement 25% environ des personnes invitées à participer au programme de dépistage s’y prêtent réellement; un travail de communication reste à faire pour améliorer ce chiffre. Et de conclure: «Si les techniques médicales ne cessent de s’améliorer pour les examens de dépistage, comme pour le traitement du cancer colorectal lui-même, le levier de l’hygiène de vie reste lui aussi un enjeu clé, impliquant chaque personne, comme la société dans son ensemble.»
>> Retrouvez les programmes cantonaux de dépistage: www.liguecancer.ch et www.swisscancerscreening.ch
Combien cela va-t-il me coûter?
- Pour une personne éligible, de par son âge et son lieu de résidence, à une campagne de dépistage du cancer colorectal, seulement 10% du coût de la procédure est à avancer, hors franchise. Rapide résumé chiffré avec le Dr Thibaud Kössler, oncologue, responsable de l’unité des tumeurs digestives au département d’oncologie des HUG.
- Test de recherche de sang occulte dans les selles: En moyenne, 4 fr. 60 sont à régler. Si tout va bien, le test est à renouveler deux ans plus tard. Si les analyses révèlent la présence de sang, une coloscopie est à planifier.
- Coloscopie: entre 60 et 140 fr. en moyenne sont à régler (en incluant le coût d’une possible biopsie).
Miser aussi sur la prévention
S’il est précieux de prendre en compte les prédispositions génétiques en indiquant à son médecin tout antécédent familial de cancer colorectal, l’hygiène de vie joue de son côté un rôle préventif majeur. Tour d’horizon des réflexes clés avec le Dr Sébastien Godat, gastro-entérologue, responsable du secteur d’endoscopie au service de gastro-entérologie et d’hépatologie du CHUV:
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Adopter une alimentation de type «régime méditerranéen», riche en fruits et légumes.
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Manger suffisamment de fibres (en privilégiant par exemple les céréales complètes aux produits raffinés tels que le pain blanc).
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Eviter la consommation de viande transformée (charcuterie, etc.).
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Limiter la consommation de viande rouge.
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Pratiquer une activité physique suffisante et régulière (si possible au moins 30 minutes d’activité physique modérée tous les jours).
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Maintenir un poids sans excès.
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Limiter la consommation d’alcool.
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Eviter le tabagisme.