Il y a soixante ans, les Beatles révolutionnaient la musique à la radio. Puis vint Michael Jackson dans les années 1980 avec ses clips visuels. Aujourd’hui, l’industrie musicale vibre aux rythmes des posts sonores sur les réseaux sociaux de BTS, un groupe de K-pop, diminutif de pop coréenne. Considérées comme des demi-dieux du marketing, les sept stars aux cheveux multicolores collectionnent les records: 22 millions d’abonnés à son compte Instagram, 1 million de suiveurs en trois heures sur TikTok, le nouveau réseau des adolescents, plus de 74 millions de vues en un jour sur YouTube pour «Boys with Luv», un de leurs clips où ils dansent dans des décors «barbe à papa». A noter que la vidéo est à l’heure actuelle vue plus de 690 millions de fois.
En 2019, trois de leurs albums caracolent en tête du classement américain Billboard. Et leur prochain opus, «Map of the Soul: 7», enregistrait déjà plus de 4 millions de commandes avant sa sortie le 21 février dernier.
Derrière leurs sourires d’anges, les chanteurs de BTS atomisent tout sur leur passage. En janvier, lors de la cérémonie des Grammy Awards 2020 à Los Angeles, alors qu’ils n’apparaissent que quelques minutes sur scène en duo avec le rappeur Lil Nas X, ils deviennent le «sujet de conversation». Après la chanteuse Halsey, les reines Ariana Grande et Beyoncé elles-mêmes se sont dites intéressées à mélanger leur ADN musical avec les phénomènes sud-coréens.
Mais qui se cache derrière ce succès sans précédent? Surnommés RM, Jin, Suga, J-Hope, Jimin, V et Jungkook, les sept artistes ont entre 22 et 27 ans. Réunis en 2013, ils créent BTS pour Bangtan Sonyeondan qui signifie Bulletproof Boy Scouts («Boy-scouts résistants aux balles»). Plus tard, pour séduire les marchés internationaux, ils se rebaptisent Beyond The Scene (BTS). Moins formaté que certains de ses homologues qui émergent à travers d’autres sociétés de production, BTS touche une large audience avec son premier single, «No More Dream», qui dénonce les pressions scolaires dans leur pays. «Qui nous a fait devenir des machines d’études? Pour nous, c’est soit premier, soit rejeté», disent-ils dans leur langue natale.
De tube en tube, le groupe n’hésite pas à aborder des thématiques sociales importantes: la santé mentale, l’estime de soi ou le conformisme. Excellant en danse et en chant, les artistes de BTS incarnent à la perfection le système de performance à la sud-coréenne, une cruelle usine à groupes qui est parfois sujette à polémiques. Une course au succès qui provoque quelquefois des drames. Mais le groupe BTS, porté par sa camaraderie, semble, lui, épargné.
A chacune de leurs apparitions, ils cassent l’image très artificielle qui colle à la peau des boys bands asiatiques. En 2017, ils deviennent le groupe le plus tweeté de l’année. Quelques mois plus tard, ils font la une du magazine américain Time, désignés parmi les «leaders des générations futures». Motif: ils véhiculent un message positif d’ouverture. «Même si BTS vient d’un pays très éloigné, nous sommes tous connectés grâce à leur art, explique Fabienne, au nom du fan-club suisse. On apprend chaque jour à s’accepter et à s’aimer tels que nous sommes. "Love yourself and speak yourself", c’est leur mantra.»
Ils seraient entre 5000 et 10 000 en Suisse à les écouter en boucle. Sur chaque continent, les plus mordus se mobilisent, créant une armée douce du web: A.R.M.Y, pour Adorable Representative Master of Ceremonies for Youth, comprendre «les représentants adorables des maîtres de cérémonie pour la jeunesse». Pour rejoindre le club, il faut suivre des règles strictes, comme s’abonner à tous les réseaux, réciter les moments clés de leur trajectoire ou apprendre les bases du coréen pour comprendre les paroles.
Mais ce n’est pas tout: les plus extrêmes connaissent le kimchi (plat traditionnel coréen à base de chou) préféré et le groupe sanguin de chaque membre de BTS. Contrairement aux idées reçues, les «soldat.e.s» ne sont pas que des adolescentes hystériques. Le 25 janvier, 500 apprentis danseurs de tous horizons étaient rassemblés à Lausanne lors de la première soirée du genre.
En 2020, les jeunes de la planète – qu’ils le veuillent ou non – se déhancheront sur BTS. Pour célébrer la sortie de leur septième album en sept ans, les sept membres préparent une tournée mondiale dès le mois d’avril. Preuve de l’efficacité de leur communication, les haltes en Europe – de Londres à Berlin en descendant à Barcelone – dessinent volontairement un 7 (leur chiffre fétiche, on l’aura compris) sur la carte du continent. Pour l’anecdote, les fans helvètes prient pour une apparition surprise chez nous, puisque le symbole traverse nos frontières (voir la carte ci-contre, marquée d'un 7).
Un espoir renforcé par une rumeur relayée en novembre par le New York Times: en 2021, les membres du groupe pourraient mettre leur carrière entre parenthèses pour accomplir leur service militaire pendant deux ans. Alors que certains sportifs d’élite ou musiciens classiques en sont exemptés, rien n’est sûr concernant les pop stars sud-coréennes. «Quand le devoir nous appellera, nous y répondrons et ferons de notre mieux», dit l’un des chanteurs, affirmant au passage être fier de servir son pays. Rassurez-vous, les A.R.M.Y! BTS est une machine à cash pour la Corée du Sud. Ils rapportent des fortunes au Pays du Matin calme, suffisamment pour qu’on les laisse poursuivre leur mission de mercenaires de la K-pop.