Brigitte Rosset a un don. Celui de dégager le sentiment immédiat qu’elle est une amie ou un membre de votre famille. Personnalité entière, attachante et aimante, la comédienne genevoise n’a pas son pareil pour observer les autres. Cette «science» lui permet, à 51 ans, de mieux parler de nous et d’elle-même. Elle en a fait le sel de ses spectacles à travers un kaléidoscope de figures expressives et irrésistibles dont elle est le tendre pivot. Elle joue comme personne de ses blessures intimes sur scène. Maman de trois enfants, grande amoureuse, divorcée et désormais bien dans son couple depuis neuf ans, Brigitte devient la marieuse de L’illustré. L’occasion de la faire parler d’elle et de son cœur qui bat depuis qu’elle a 5 ans.
- A quand remonte votre vocation de marieuse?
- Brigitte Rosset: Je m’invite facilement dans la vie des gens. Chez moi, c’est une déformation professionnelle. En ce qui concerne les rencontres, je le fais avec mes amis lorsqu’on me demande: «T’as pas un copain ou une copine célibataire?» Souvent, ils deviennent amis ou amants. Ils s’entendent si bien que je ne les revois plus! (Rires.) Pour les lecteurs et lectrices de L’illustré qui enverront leur candidature amoureuse, j’adorerais que ça matche entre un Jules et une Juliette. Ou entre deux filles ou deux garçons. Après consultation des dossiers, je vais choisir qui va aller dîner avec qui, et plus si affinités. Je ne suis ni sociologue ni psy, je vais juste me fier à mon instinct.
- A quel âge avez-vous connu votre premier élan amoureux?
- A 5 ans. Il s’appelait Andrea et m’avait offert un petit cœur en or. J’avais ramené l’objet à la maison. Paniquée, ma mère avait voulu le rendre. Elle a téléphoné à la famille d’Andrea, pensant qu’il avait pu le voler. La maman du petit garçon a dit à la mienne: «Andrea a cassé sa tirelire pour l’offrir à votre fille.» Les enfants et leurs sentiments sont purs, à cet âge-là. Un jour, au même âge, mon fils m’a dit: «Maman, je suis amoureux.» Je lui ai demandé: «Mais c’est quoi, pour toi, être amoureux?» Il m’a répondu: «C’est quand j’ai le cœur qui bat dans le zizi!» (Rires.)
- Avez-vous connu un chagrin d’amour précoce?
- Avec Marc-Albert, un peu plus tard. Il avait eu le culot, à MA boum, de danser un slow avec Isabelle. Ce garçon avait une particularité: il était amoureux de la remplaçante, qui était la femme du prof de classe.
- Et votre premier vrai grand amour?
- C’est Frank Bruno, le fondateur de l’organisation Boutdevie.org. Il est unijambiste. Sa jambe a été arrachée sur le porte-avions Foch. Son handicap est devenu sa force. Il a été au bout de ses rêves en devenant coach mental. Il a traversé l’Atlantique à la rame en compagnie d’un coéquipier sans bras, il a grimpé des 4000 m et il a fait du kayak au Groenland. Il a été mon premier amant, lorsque j’avais 16 ans. Il habitait Menton, sur la Côte d’Azur. On s’envoyait des lettres. Un jour, il m’a demandée en mariage dans une missive écrite avec son sang… (Mine horrifiée.) J’ai flippé! Je l’ai appelé en lui disant que je ne voulais plus jamais le revoir. Nous nous sommes recontactés, par hasard et par messagerie, dix ans plus tard. Il a signé: «Cet e-mail n’a pas été écrit avec mon sang.» (Rires.) Nous nous sommes revus au Festival international du film alpin des Diablerets. Frank est devenu un homme formidable.
- En 2017, vous avez raconté dans votre one woman show un chagrin d’amour cataclysmique, qui vous a valu une dépression et une hospitalisation. Dans quelles circonstances?
- Après Frank, je me suis mariée avec Gaspard (Boesch, auteur, metteur en scène et comédien, ndlr). Il est le père de mes trois enfants: Léon (23 ans), Clémentine (18 ans) et Charlotte (16 ans). Nous sommes restés dix-huit ans ensemble. Nous nous sommes connus ados, c’était mon meilleur ami. Dans la vie, il n’y a pas d’école pour apprendre à aimer. Notre histoire d’amour a été parfaite pour nous faire grandir. C’est un super papa mais, à mes yeux, il n’a pas été le mari idéal. Un beau jour, je l’ai quitté pour un autre, que j’ai surnommé Le Canard dans le spectacle. J’étais à Neuchâtel et j’ai fauté.
- Qu’est-ce qui vous avait attirée chez lui?
- Il m’avait couverte de compliments en me disant que j’étais belle. Il avait tout du chevalier blanc. En fait, j’étais devenue aigrie et chiante mais, dans ses yeux, je me sentais désirée, regardée. J’avais soudain le sentiment de revivre alors que j’étais devenue une mère de famille sans intérêt. Je m’en suis ouverte à mon mari et ça a été le drame. En plus, c’était juste avant Noël. Ma mère, famille genevoise, protestante et calviniste traditionnelle, m’avait demandé: «Mais où est Gaspard?» J’ai répondu: «Maman, il ne viendra pas cette année. D’ailleurs, il ne viendra plus!» Nous avons divorcé via Divorce Service. J’en garde un souvenir étrange: dans la salle d’attente, il y avait des tableaux avec des clowns. Un drôle de choix. Gaspard et moi nous sommes séparés à l’amiable. Les enfants sont chez l’un ou l’autre, une semaine sur deux.
- Et le fameux Canard?
- Il m’a plaquée pour une autre après deux ans et demi. J’avais 39 ans et j’ai totalement perdu pied. Soudain, à l’aube de la quarantaine, j’ai réalisé que j’avais divorcé en oubliant de construire ma propre vie. Mon seul souci avait été de mettre les enfants à l’abri. Le Canard, lui, n’avait pas d’enfants. Alors, trois d’un coup, il n’a pas assumé. Moi, financièrement et affectivement, j’étais réduite à néant. J’ai passé deux semaines à la clinique des Lucioles, comme je l’appelle sur scène – La Métairie à Nyon, en fait –, ce qui m’a permis de beaucoup observer les autres (rires). C’est aussi ma façon de me comprendre, de m’analyser à travers autrui. Avant d’aimer quelqu’un, il faut apprendre à bien se connaître. A partir de là, j’ai essayé de me reconstruire et de me sentir bien toute seule, sans dépendance affective. Il fallait que je touche le fond et que je remonte à la surface. Finalement, tout ça a été salvateur.
- Quel a été votre modèle parental?
- Mes parents se sont séparés lorsque j’avais 14 ans. Nous étions une fratrie de quatre. Les deux grands – un garçon et une fille – étaient bien plus âgés que moi. Mon autre sœur, Bérengère, la troisième, a toujours été ma protectrice. Elle a un peu fait mon éducation. J’étais étiquetée «la sœur de Bérengère». On m’invitait aux soirées, j’entrais en boîte, au Graffiti à Genève notamment, avec ce statut-là. Aujourd’hui, elle est devenue, de temps en temps, «la sœur de Brigitte» (sourire). Ma mère, elle, a toujours été très affectueuse. C’était une battante aussi. Elle nous a toujours appris à bosser et à être indépendantes. Vis-à-vis des hommes, c’est différent. Affectivement, je n’étais pas très proche de mon père. Plus tard, peut-être, ai-je ressenti le besoin d’être validée par une autorité masculine et paternelle. Ce fut à 23 ans, en 1993, grâce à la figure de Georges Wod, grand comédien, metteur en scène et directeur du Théâtre de Carouge. J’étais étudiante en lettres, il m’a engagée dans sa troupe. J’ai pu jouer dans la pièce Henri IV le rôle de Gabrielle d’Estrées, maîtresse et favorite du roi. Nous sommes partis en tournée en Russie et au Vietnam. (Elle consulte son téléphone.) J’ai conservé notre dernier message, qui date du mois de mai de cette année-là… Il est mort en juillet 2010.
- Les comiques disent souvent qu’ils ont fait rire pour séduire avant tout. Etait-ce votre cas?
- Dans la fratrie, oui. J’avais du mal à trouver ma place. Bérengère était la chouchou de mon père; il le disait. Moi, je n’existais qu’en amusant les autres. Plus tard, j’ai compris que faire rire, pour une femme, pouvait faire peur aux hommes: c’est une prise de pouvoir. Quant à devenir comédienne, c’était «passe ton bac d’abord». Ce n’était pas considéré comme un métier. J’en vis pourtant depuis trente ans.
- Vos enfants ont-ils pâti de votre séparation et de ses conséquences?
- J’aime à penser que non. S’il y a une coupable, c’est moi. Avec leur père, qui s’est remis en ménage avec une fille formidable, nous avons su les épargner. Ils n’ont jamais été un enjeu dans la dispute. Ils nous voient respectueux l’un de l’autre. Aujourd’hui, je considère Gaspard comme un cousin. Ce n’est que lorsque j’ai écrit et joué sur le thème de ma séparation et de ma dépression et que mes enfants étaient en âge de venir me voir – surtout le plus grand, qui se souvenait de cette période – qu’ils ont compris ce que j’avais traversé.
- Et vous avez retrouvé l’amour…
- Il y a neuf ans. Lors d’une soirée caritative dont j’étais la marraine, j’ai rencontré Yann Vaucher. Je ne m’y attendais pas. Entre nous, ça a été une évidence. Il est le père de quatre enfants et le grand-père de deux filles de 2 ans et 12 ans. Tout ce petit monde vit en bonne intelligence. Dans la vie, je crois d’abord que l’on décide individuellement d’être heureux. L’autre nous aide à nous épanouir dans le bonheur. Pour y parvenir, il faut avant tout être bien avec soi-même.
>> Les spectacles: Brigitte Rosset est seule en scène dans «Ma cuisine intérieure» les 7 et 8 octobre au Théâtre du Pré-aux-Moines à Cossonay, puis dans la pièce «Les femmes (trop) savantes?» du 2 au 13 novembre au théâtre Boulimie à Lausanne, du 23 novembre au 12 décembre au théâtre Le Crève-Cœur à Cologny (GE).
Pour les autres dates 2021-2022 et réservations: www.brigitterosset.ch/dates/