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Médecine

Brigitte Rorive: «Les gens ne veulent plus d’une médecine paternaliste»

Brigitte Rorive devient la nouvelle présidente de la puissante Fondation Leenaards, qui publie une étude passionnante sur le besoin d’une médecine se souciant enfin de la population, et pas seulement des maladies. Rencontre avec une battante qui a aussi repris les rênes du centre hospitalier de Rennaz (VD).

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Brigitte Rorive

Après une enfance et des études en Belgique, Brigitte Rorive a vécu douze ans au Canada et quatre ans dans les Caraïbes. Elle est arrivée à Genève en 2006.

Blaise Kormann

C’est une femme directe qui ne s’embarrasse pas de savoir si elle va choquer. Brigitte Rorive, 57 ans, prend la tête du conseil de la Fondation Leenaards, un changement de tempérament pour la vénérable fondation de la rue du Petit-Chêne à Lausanne, qui chaque année distribue entre 10 et 12 millions sur l’Arc lémanique. Rencontre avec la nouvelle présidente à l’occasion de la publication d’une passionnante étude sur la santé.

- La Fondation Leenaards publie une étude sur la santé intégrative. De quoi s’agit-il?
- Brigitte Rorive: C’est une approche qui concilie les médecines conventionnelles et complémentaires et qui intègre le patient dans les décisions de soins. Un des points forts de notre enquête tient au fait que la population interrogée a défini elle-même la santé intégrative et là, nous avons eu une surprise. Aux deux dimensions que je viens de décrire, la population a ajouté celle de l’inclusion et de l’accès aux soins pour tous.

- Comment est-ce que vous interprétez cette réaction?
- Je pense que la population ne veut plus d’une médecine «paternaliste», où on décide pour elle! Parmi les répondants, 85% ont indiqué vouloir jouer un rôle beaucoup plus actif dans leur prise en charge. Par ailleurs, les gens ne veulent plus qu’une partie d’entre eux soient les laissés-pour-compte du système. On se retrouve avec 25% des répondants qui ont renoncé à des soins, dont 33% dans les catégories les moins fortunées de l’échantillon. Du côté des soignants, les choses changent aussi; on se montre plus à l’écoute des patients et plus ouvert aux médecines complémentaires.

- Ce changement est-il à mettre en lien avec la pandémie?
- C’est plus profond. Je rattacherais plutôt ce phénomène à la remise en cause des anciennes formes de légitimité qui ne se construisent plus de la même façon. Désormais, il ne suffit plus de savoir ce qui est bon pour l’autre pour être considéré comme légitime.

- Qu’est-ce qui est alors susceptible de réinstaller de la légitimité?
- L’écoute, l’empathie et la prise en compte de la personne plutôt que de la maladie. Attention, je ne dis pas qu’il y a des mauvaises intentions de la part des professionnels de santé. Mais il subsiste chez certains un regard quelque peu passéiste sur le patient. Ce dernier aspire à être considéré comme une personne dans sa globalité. Il n’est pas juste une maladie à traiter. C’est surtout vrai pour les malades chroniques. Comme nous enregistrons une montée en force de ces pathologies, notamment les maladies mentales, ce sentiment domine très fortement.

- Comment faire en sorte que l’étude aboutisse à des résultats concrets?
- Ce n’est qu’un point de départ. Nous avons mené cette étude avec le ColLaboratoire de l’Université de Lausanne. C’est un groupe de recherche habitué à animer des démarches participatives. Avec eux, nous allons créer des laboratoires citoyens avec des personnes venues d’horizons différents, patients comme proches aidants et professionnels de la santé. Chaque laboratoire va traiter des problèmes identifiés dans l’enquête et expérimenter de nouvelles façons de les traiter dans des lieux aussi différents que l’hôpital ou des locaux d’associations pour population en grande précarité.

- Des modèles existent?
- Les pays scandinaves sont plus avancés que nous en la matière. Une étude suédoise démontre que, lorsque le patient est plus impliqué dans les choix thérapeutiques qui le concernent, il répond mieux aux traitements. Ce qui fait même baisser les coûts de la santé! Ces modèles font plus de prévention aussi. C’est d’ailleurs une volonté de la population, puisque 79% de nos répondants souhaitent un système de santé davantage axé sur la prévention.

- On entend cela depuis vingt ans…
- (Soupir.) C’est vrai. Le système suisse est très particulier, basé sur des groupes d’intérêt, des lobbys, avec un gouvernement et une administration centrale plutôt effacés. La recherche constante du consensus, des décisions dont le résultat découle de la confrontation de différentes visions – où, au final, le plus fort l’emporte – ne permettent pas vraiment le changement. C’est un système qui favorise la maximisation des intérêts particuliers. C’est très difficile à faire bouger.

Brigitte Rorive

Brigitte Rorive: «Les gens ne veulent plus d’une médecine paternaliste».

Blaise Kormann

- Les autres pays font-ils mieux?
- Le Danemark a réformé son système de santé en le basant sur des soins aigus hyper-modernes et un renforcement de la santé communautaire pour limiter le recours à l’hôpital. Le gouvernement a beaucoup consulté en amont, pendant des années. Une fois que le parlement a voté la réforme, elle est du coup mise en œuvre avec une assise forte. Mais c’est un système étatique. En Suisse, on consulte tout le temps – y compris dans la phase de mise en œuvre – alors, évidemment, on avance à tout petits pas.

- Manque de leadership politique?
- La volonté existe! Tout ce qui avait été lancé par le conseiller fédéral Alain Berset avant le covid, avec des experts internationaux qui avaient concocté un programme de réformes, tout est dedans. Mais on ne sait pas par où commencer… Je reste convaincue qu’il faut changer le mode de financement. On paie à l’acte dans l’ambulatoire et à la prestation à l’hôpital. Donc plus vous pratiquez, plus vous gagnez, peu importe la pertinence de la prestation délivrée.

- L’intérêt pour les médecines complémentaires a-t-il crû avec la pandémie?
- Je dirais plutôt que le recours est banalisé. Avant, les patients avaient peur d’en parler à leur médecin. Désormais, ce n’est plus tabou. Parmi nos répondants, 67% sont à l’aise pour en discuter avec leur médecin et 75% ont eu recours à une thérapie complémentaire.

- Et du côté des médecins, prennent-ils au sérieux leurs patients qui font un pas de côté?
- Oui. La fondation organise d’ailleurs des rencontres que nous appelons «free jazz», avec des médecins et des thérapeutes de diverses approches complémentaires, pour voir s’il y a des idées préconçues de part et d’autre. Nous n’avons pas encore les résultats mais nous sommes là pour stimuler le dialogue.

- Vous avez repris la direction de l’Hôpital Riviera-Chablais après une grave crise. Où en est cette institution?
- Dix-huit mois après ma prise de fonction, la situation s’est bien stabilisée, même si nous ne sommes pas sortis de toutes les difficultés. Les progrès se situent du point de vue financier et du pilotage. Nous avons réalisé une meilleure année 2021 qu’imaginé. Nous avons beaucoup travaillé sur la gouvernance entre le conseil d’administration et la direction ainsi que sur la délégation de compétence. C’est un travail de longue haleine mais nous sommes sur la bonne voie.

- Et Leenaards?
- Ce n’est que du bonheur, la fondation va très bien et je m’inscris dans la continuité. A Rennaz, je suis dans mon domaine de compétence; il faut aider un hôpital face à une crise de naissance. A la fondation, je suis dans le prolongement de mon engagement citoyen. La philanthropie donne plus de latitude, l’objectif est le bien vivre ensemble, alors que l’hôpital est là pour apporter une réponse en termes de santé à la population. La fondation s’inscrit plus dans la réflexion pour comprendre les phénomènes à l’œuvre dans la société.

Par Stéphane Benoit-Godet publié le 12 mai 2022 - 08:38