Quel regard portez-vous sur le boycott du «Nouvelliste» (NF) par Christian Constantin?
Je vois cela de l’extérieur, sans avoir tous les éléments du dossier en main. Mais sur un plan purement formel, je dirais que, quelles que soient les raisons pour lesquelles Christian Constantin a piqué sa colère, ce boycott constitue une grave entorse au code déontologique qui régit les médias.
Le respect de ces principes ne s’applique pas seulement aux journalistes et à la presse, mais également aux entités qui créent et détiennent l’information. Celles émanant du FC Sion appartiennent en grande partie au public, qui a le droit d’être informé. En imposant
ce boycott, c’est ce dernier que M. Constantin prend en otage. Selon moi, il n’a pas la légitimité de le faire. Son action est d’autant plus injuste que via les infrastructures qu’utilise le FC Sion, via le dispositif de sécurité mis en place par la police lors des matchs, le contribuable valaisan participe au financement du club et en est, de facto, un peu son actionnaire.
Que dire de la méthode utilisée par Christian Constantin?
Croyez-vous franchement que la personne et ses méthodes fassent encore l’objet d’un débat? Christian Constantin est quelqu’un qui se met constamment en scène. C’est un homme de spectacle qui recourt à tous les artifices possibles et imaginables pour faire durer le show. Cela dit, les présidents passent, mais la mission d’information des médias demeure. Quoi qu’il fasse, M. Constantin n’a pas le pouvoir de changer cette règle-là. Souvenez-vous du boycott du journal L’Equipe par l’équipe de France lors de la Coupe du monde 2010. Huit ans après, le journal est toujours là et les Bleus ont beaucoup changé.
Christian Constantin est un homme de spectacle
Cette crise vous étonne-t-elle?
Ce qui m’étonne, c’est qu’elle ne se soit pas produite avant. Longtemps, le couple Nouvelliste-FC Sion a maintenu la confusion entre ce qui était de la communication et de l’information. Mais depuis quelques années, le journal revendique son indépendance et s’est beaucoup affranchi des pouvoirs et des contre-pouvoirs qui ont cours dans le canton. Un changement qui touche le Valais dans son ensemble, on l’a constaté lors de la votation sur la candidature de Sion 2026. Du coup, Christian Constantin prend conscience qu’il va devoir vivre avec un journal critique à ses côtés et, bien qu’il s’en défende, il démontre par son acte qu’il n’a pas encore la maturité suffisante, en tant que président, pour cohabiter avec lui. Pour Christian Constantin, la situation est inédite. On assiste en réalité à une crise de croissance. Le Valais change, est entré dans une nouvelle ère et, à mes yeux, Le Nouvelliste en est l’un des symboles. Le journal doit traverser cette crise la tête haute, il en sortira grandi.
A cet égard, ce boycott n’a-t-il pas quelque chose de suranné?
Pour moi, il est tout à l’honneur du NF. Il signifie que le journal fait bien son boulot et qu’il doit continuer à bien le faire. Je pense que le FC Sion a tout à perdre à persister dans sa démarche. Un club est une marque qui ne peut se passer de visibilité, de publicité, d’information et de communication. Le FC Sion ne représente pas grand-chose au-delà de ses frontières cantonales. Il ne peut pas vivre uniquement par les réseaux sociaux et ses informations officielles. Sans l’appui de son grand journal local, il tombera dans l’indifférence.
Tous les médias du pays, y compris ceux de la SSR, ne devraient-ils pas se montrer solidaires du «NF» et se tenir à l’écart du club tant que la crise perdure?
Je pense que les problèmes, notamment économiques, dont souffrent les médias les ont incités à la jouer un peu solo depuis quelques années. Mais dans ce genre de situation, ils devraient en effet réfléchir et agir ensemble. Par exemple en partageant librement informations et interviews du FC Sion avec Le Nouvelliste.
On est également surpris et déçu par le silence assourdissant de la classe politique, en particulier en Valais…
C’est effectivement décevant, mais il faut un début à tout, comme on dit. Les politiques ont peut-être besoin d’un peu de temps pour réaliser que ce canton a changé, qu’on peut désormais avoir des positions courageuses, s’opposer à la fois au NF et à Christian Constantin, par exemple.
Même constat concernant le Conseil de la presse, pourtant si prompt à condamner les journalistes parfois…
La vocation de ce dernier n’est pas de balancer des communiqués ou de pousser des coups de gueule, mais de se saisir d’une plainte et de la traiter à la lumière de la déontologie. Si Le Nouvelliste l’a alerté, il va réagir.
Les médias sont constamment pris à partie, accusés de tous les maux. Par Donald Trump, par Emmanuel Macron, par Vladimir Poutine, par Recep Tayyip Erdogan. Et de plus en plus violemment. Inquiétant, non?
Je ne crois pas, c’est au contraire plutôt bon signe. Quand les puissants, les hommes de pouvoir s’en prennent aux médias, c’est en général que ceux-ci font bien leur travail. Je perçois ces agitations comme des signes de faiblesse venant de dirigeants à court d’arguments. J’ai confiance dans la démocratie, dans les électeurs et dans le fait que ces derniers sont suffisamment cultivés, matures, intelligents et capables de séparer le vrai du faux. Qui peut nier que l’affaire qui secoue actuellement la France n’est pas d’intérêt public? Qui peut accuser les médias suisses de ne pas avoir fait leur travail dans l’affaire CarPostal? Le citoyen n’est pas dupe.
Condamnée par le Tribunal fédéral (TF) à la suite de la diffusion d’un «Temps présent» consacré à l’affaire Dominique Giroud, la RTS va faire appel de cette décision à la Cour européenne des droits de l’homme. Qu’en est-il?
Cela peut prendre des années. Mais je suis optimiste. La RTS avait déjà saisi cette juridiction à la suite de la diffusion, à l’époque, d’un Temps présent consacré à l’affaire des fonds juifs et avait obtenu gain de cause. En l’occurrence, l’arrêt du TF est dommageable pour toute la profession dans le sens où il induit une sorte de droit de veto que les Anglo-Saxons appellent le chilling effect. Un effet d’intimidation. La loi dit que lorsqu’une personne incriminée dans un reportage refuse d’y participer, le journaliste a le devoir de restituer au mieux son point de vue. C’est ce que nous avons fait et que le TF a jugé insuffisant. En clair, vous vous retrouvez condamné parce que la personne a refusé de participer. C’est clairement un obstacle à la recherche de la vérité.