«Nous sommes champions du monde!» Nelson Mendy, 21 ans, est en boucle. Sur la pelouse du petit stade Léo-Lagrange de Bondy, sa fille de 10 mois dans les bras, le jeune homme est ému. «J’avais le même âge qu’elle, il y a vingt ans, lorsque nous avons gagné en 1998, je n’ai rien pu fêter, mais aujourd’hui, c’est mon tour!» Il y a quelques minutes, le coup de sifflet final de ce Mondial a sacré la France et la petite ville de Bondy a explosé. Comme dans toutes les villes de France, ses habitants ont fêté. Comme dans toutes les villes de France, ils ont klaxonné, lancé des pétards, chanté I Will Survive de Gloria Gaynor. Mais à Bondy, il y avait la fierté en plus. Celle d’avoir vu naître Kylian Mbappé dans la maternité de la ville, de l’avoir formé dans le club local et d’avoir côtoyé sa famille, très appréciée, qui n’a déménagé que l’année dernière. «Je vous mets au défi de trouver quelqu’un qui n’est pas fier de Kylian», en rigolent les jeunes. Bienvenue à Bondy, ville de 54 000 habitants à 12 kilomètres de Paris et desservie par le RER E, qui porte haut son nom.
Fracture sociale
La journée de dimanche avait commencé sous un soleil de plomb. Nelson, arborant dès le réveil un t-shirt tricolore à l’inscription «20 ans après», était confiant: «Je ne pronostiquerai rien, mais je sens que nous allons gagner grâce à Kylian Mbappé.» De retour sur ses terres natales, dans le nord de la ville, Nelson salue des passants à tous les coins de rue. La ville de Bondy, il la connaît comme sa poche. Après y être né et y avoir grandi, il travaille aujourd’hui pour la mairie comme directeur des centres de loisirs et entraîne une équipe de jeunes du club de la ville, l’AS Bondy, premier club de Kylian Mbappé. Il y a quelques mois, le jeune homme a quitté son quartier pour s’installer près de la gare, dans le sud de la ville, plus aisé, avec sa fille Kayssie et sa compagne, Licaria. La route nationale qui traverse la ville de Bondy en illustre la fracture sociale. Au sud, la gare RER, des pavillons et un petit centre-ville avec quelques commerces. Au nord, des quartiers défavorisés. «Ici, tu ne naîtras jamais avec les mêmes chances que les autres», s’attriste Nelson.
Devant la laverie, Laurent Vandergheynst, un Franco-Belge de 43 ans né à Bondy, vend des drapeaux. «Trois euros le grand, 2 euros le petit, encore moins cher que chez Leclerc!» Un attroupement se forme. A quelques heures de ce qui sera peut-être le deuxième sacre de la France en Coupe du monde, chaque Bondynois veut son drapeau, son brassard, sa trompette ou sa casquette. «Et des slips, tu en as?» rigole Nelson. Micheline, qui s’est surnommée la Beyoncé de Bondy Nord, a mis le champagne au frais. «Quand l’équipe de France a perdu contre le Portugal en finale de l’Euro 2016, j’ai pleuré, cette année je veux faire la fête grâce à Mbappé!» A côté d’elle, Gigi achète tout l’attirail d’une vraie supportrice des bleus. «Vous savez, mon père vivait en face de la famille Mbappé, je l’ai bien connu quand il était petit, c’est un exemple, un symbole.»
Quand il n’est pas vendeur de drapeaux, Laurent est gardien de l’école primaire voisine. Sur sa devanture, il a créé un patchwork de drapeaux pour la Coupe du monde: «J’ai même mis des drapeaux d’équipes qui n’étaient pas qualifiées pour ne blesser personne!» Nelson et lui se connaissent bien. Il y a quelques semaines, ils sont partis ensemble en Russie avec une quinzaine d’autres jeunes de Bondy pour assister aux matchs de poules de l’équipe de France. Un voyage organisé par l’association Bondynamique et rendu possible, notamment, grâce à la famille Mbappé, qui a participé aux frais. Sur place, Nelson a aussi eu la chance de voir un match de l’équipe du Sénégal, dont ses parents sont originaires. «C’est aussi ça notre force à Bondy, ce mélange de cultures. Ma fille est Sénégalaise, Française et Espagnole, Kylian, lui, est Français, Camerounais et Algérien. Cela ne l’empêche pas d’aimer la France et de tout donner pour elle.»
Liberté, égalité, Mbappé
Amoureux de sa ville, Nelson ne se voit pas partir. «Malgré ce que certaines personnes peuvent penser, j’ai vraiment l’impression d’être bénéfique pour ma ville.» Animateur, il devient bien souvent éducateur malgré lui. «Il faut savoir que le gros problème ici, c’est l’éducation. Nous sommes appelés ZEP (zone d’éducation prioritaire), mais ce sont des stagiaires qui sont envoyés ici et ils sont souvent dépassés par la situation. Le niveau dans nos écoles est très faible.» Nelson, qui a changé d’école en cours de scolarité, est d’ailleurs passé de meilleur élève de sa classe en banlieue à élève moyen dans un lycée parisien. «Même si Bondy porte haut son nom grâce à Mbappé, il ne faut pas oublier le manque d’infrastructures, des enseignants démissionnaires et un fort taux de chômage qui sont la réalité de la banlieue.»
Et si, grâce à cette finale, les Bondynois rayonnent à travers le monde, ils n’ont pas attendu Kylian Mbappé pour être fiers de leur ville. Dans un endroit où le tissu associatif est très fort, plusieurs jeunes ont atteint le plus haut
niveau dans leur domaine. «Mais pas seulement dans le sport, rappelle Kozi Pastakia, journaliste. Des Bondynois sont devenus médecins, avocats ou encore journalistes.» Et peu importe l’issue du match de dimanche, les habitants sont réalistes. «Nous savourons ce moment, mais le football est éphémère.
La mixité culturelle est une de nos forces
Nous savons qu’au moindre grain de sable dans la machine, Kylian Mbappé sera renvoyé à son image de jeune des banlieues, continue Kozi. Souvenez-vous, en 2002, quatre ans après la victoire de l’équipe de France dite black, blanc, beur, Jean-Marie Le Pen était au second tour de l’élection présidentielle.» Cette finale, Kozi veut la voir à Paris pour être près de l’avenue des Champs-Elysées. «J’ai un souvenir frustrant de la victoire en 1998. J’avais 7 ans et je voyais les grands du quartier depuis ma fenêtre partir à Paris faire la fête.» Cette année, ce sera aussi son tour.
Dimanche, 17 h, la pelouse du stade Léo-Lagrange de Bondy se remplit. Ils sont plus de 2500 à regarder ce match devant l’écran géant installé par la mairie sur l’herbe qu’a foulée pendant des années Kylian Mbappé lorsqu’il était enfant. Ce soir, la France sera peut-être championne du monde et Bondy avec elle. Les paris sont lancés: «Si nous gagnons la coupe, je suis sûr que Kylian reviendra à Bondy pour nous la montrer, comme ce qu’il avait fait quand il jouait à Monaco!»
Le match commence, les Bondynois vibrent devant la déferlante de buts et tremblent face à la hargne des Croates. Et puis, cette 65e minute. Ces cris, cette ferveur, ce but, le quatrième pour la France, qui libère un peuple. Ce but, c’est Kylian qui l’a inscrit.