Il est dehors, à l’entrée d’un hôtel cossu parisien, à deux pas de l’Elysée. Blond, grand, massif, tout de noir vêtu, l’acteur fait de grands moulinets avec ses bras devant trois jeunes gens qui le regardent amusés. Il se retourne et m’annonce sans préambule: «Je viens de leur demander ce qu’ils font de leurs mains quand ils sont debout parce qu’à leur âge on est un peu empoté, on ne sait jamais quoi en faire. Ils m’ont dit qu’ils fumaient ou buvaient des bières. Pff, quelle jeunesse!» Il sourit avec malice et m’entraîne sur la terrasse après avoir fait le tour de la réception en jouant au directeur d’hôtel. Il est comme ça, Benoît Poelvoorde, un acteur éternel. Un enfant de 56 ans coincé dans un corps d’adulte et qui jubile dès qu’il peut jouer à être un autre. Très vite, il pose les règles du jeu en me disant qu’on va se tutoyer, que je ne dois pas écrire mais enregistrer «parce que sinon je lis chaque phrase que tu notes et je me dis que je n’arrête pas de dire des âneries», et enfin il m’affirme qu’on a tout notre temps parce qu’après il a une interview sur la transgression et la provocation et ça, ça ne l’amuse pas du tout. «En plus, le journaliste est habillé comme un clown avec un costume à carreaux.»
Coralie, l’épouse du comédien belge, viendra trois fois essayer d’interrompre son gamin de mari pour que je laisse la place à mon confrère. Poelvoorde ne capitulera qu’au bout d’une heure trente en rajoutant, malicieux: «Nous sommes ensemble depuis 1992. Je l’ai rencontrée à Cannes. Elle était l’attachée de presse de C’est arrivé près de chez vous. Elle a abandonné son activité pour s’occuper d’un être aussi infantile et sans responsabilité que moi. Coralie est extrêmement compréhensive.» Il sourit, presque gêné d’avoir baissé la garde. Conversation, souvent au troisième degré, avec un être qui s’échine à masquer sa pudeur et sa sensibilité.
- Comment vous choisissez un film?
- Benoît Poelvoorde: En dehors du facteur argent…? Je n’ai aucune logique de choix. Il y a tellement de choses qui interviennent. L’amitié beaucoup. J’aime les gens qui sont givrés, décalés, qui peuvent déranger ou énerver. J’ai fait quantité de mauvais films. Pas encore ce que l’on appelle des navets même si je commence à m’en approcher divinement. Mais contrairement à ce que certaines personnes pensent, vous ne me ferez pas avouer qu’Astérix est un nanar (Astérix aux Jeux olympiques, ndlr). C’est un film raté, moche, mais avec trop d’argent investi pour répondre à la définition d’un navet. Car un nanar, c’est un film pauvre avec beaucoup d’intention, auquel l’acteur et le réalisateur croient.
- Et «Mystère à Saint-Tropez», savez-vous pourquoi vous avez accepté de le faire?
- Dans le scénario, Christian Clavier parle d’une Facel Vega. Il était écrit: «Monsieur Tranchant (c’est le nom du personnage de Benoît Poelvoorde dans Mystère à Saint-Tropez, ndlr) se déplace dans une Facel Vega décapotable.» Vous les Suisses, vous devez savoir ce que c’est, Camus est mort au volant d’une Facel Vega. Alors la voiture, un beau bateau, des filles avec des seins à l’air, un mois de tournage à Saint-Tropez et l’admiration sans borne que j’ai pour Christian… Je n’avais aucune raison de refuser le rôle.
- Comment avez-vous rencontré Christian Clavier?
- Chez un ami à moi qui est monteur. Je suis le parrain de ses enfants. Il faisait un barbecue lors d’un horrible après-midi modeste et avait aussi invité Christian. Là, Christian me dit qu’il aimerait bien faire un film avec moi. Je l’interromps en lui disant que toute personne qui a bu du vin modeste dans des endroits modestes finit par proposer des projets à n’importe qui, comme on finirait par donner du foin aux pauvres. Sincèrement, il faisait chaud, on avait bu et j’ai cru qu’il s’était un peu emporté. Eh bien, six mois plus tard, il m’a envoyé le scénario. Christian n’est pas connu pour être quelqu’un d’aussi extraverti que moi. Il est élégant, très pudique, il a un côté noble France, mais sa joie de jouer est tellement intense et il peut tout faire! Il a tout de même incarné avec brio Napoléon! Mais mon film préféré, celui dans lequel j’ai profondément aimé Christian, c’est Je vais craquer, de Lauzier, dans lequel il est un écrivain maudit. Soyons honnêtes, la mise en scène n’est pas époustouflante mais il a ce côté dépressif, il m’émeut tellement… Alors vous vous doutez bien que lorsqu’il m’a proposé de jouer avec lui…
- Christian Clavier dit de vous que vous êtes un acteur génial. Qu’en pensez-vous?
- Oui, c’est vrai, je ne vais pas faire le faux modeste… Mais bon, Christian m’aime bien et il est gentil. Même si génial, finalement, ça ne veut pas dire grand-chose… Cependant, je reconnais admettre depuis maintenant quatre à cinq ans que j’avais un plaisir de jouer tellement fort qu’il fallait bien que je me rende à l’évidence: je suis né pour être acteur, tout comme Jean-Michel Jarre est né pour faire de la musique! Il joue à tout va comme moi. D’ailleurs, en Belgique, on a le même que lui. Il s’appelle Luc Baiwir. C’est un Jean-Michel Jarre beaucoup moins cher, qui joue sur des lacs beaucoup plus petits que le Léman, avec des buvettes beaucoup plus près de lui et devant des gens beaucoup plus avinés. D’ailleurs, je dois rajouter qu’il n’est pas au milieu du lac parce qu’il y a le covid, non, on l’a mis là pour éviter qu’on lui jette de la bière une fois qu’il a entamé son deuxième morceau. Je finirai probablement comme ça, dans un théâtre un peu décadent où l’on me demandera de la fermer. Pour l’instant, je suis comme Jean-Michel Jarre, un acteur son et lumière.
- Vous avez tourné plusieurs fois avec Gérard Depardieu en plus de «Mystère à Saint-Tropez»?
- Oui. On s’entend très bien car nous sommes tous les deux très rieurs. Avec lui, j’ai fait Saint Amour et L’autre Dumas. J’ai rencontré Gérard par l’intermédiaire de sa fille avec qui je suis très ami. Gérard, c’est comme si tu rencontrais un monstre de jeu; d’ailleurs, je vais te donner un petit scoop, puisque en Suisse, vous n’avez pas la télé ni internet… Je vais bientôt refaire un film avec Gérard dans lequel je n’ai franchement rien à faire. N’importe qui dirait non, mais c’est pour le plaisir d’être avec lui et parce qu’il me l’a demandé. Pour les esprits chagrins, je tiens à préciser que ce n’est même pas pour l’argent car je vais gagner à peine de quoi m’acheter du gel pour les cheveux. En même temps, je n’ai pas beaucoup de cheveux.
- Clavier, Depardieu, Poelvoorde, vous avez dû vous amuser sur le tournage?
- Oui, on a eu plusieurs fous rires. Christian, à 69 ans, a toujours une joie de jouer incroyable. Les mauvaises langues peuvent dirent qu’il joue toujours de la même manière, mais c’est faux et archifaux. C’était un vrai plaisir de les regarder jouer.
- Qu’est-ce qui vous fait rire?
- Un mec qui se prend une porte dans la gueule en disant salut, une actrice qui glisse sur un tapis. Je me contrefous de l’humour intelligent. Comme disait votre ami Charlie Chaplin: si on le filme de loin, c’est drôle, si on le filme de près, c’est dramatique. Et Clavier, il a ce génie d’avoir fait des films de près et de loin. Il ne faut pas le cantonner à son rôle de «Okkkaiiiiiiiii» (Les visiteurs, dans lequel il joue Jacquouille la Fripouille, ndlr). Je défie qui que ce soit de se jeter sur un os de porc en faisant des onomatopées. Il oublie que c’est grotesque et il est à fond. C’est comme avec Gérard (Depardieu, ndlr). Ces deux, ce qu’ils aiment au-delà de tout, c’est jouer. Tu ne les verras plus ou que très rarement faire des interviews. Ils ne peuvent pas parler d’eux-mêmes.
- Si vous deviez vous décrire?
- Ah! Hmm... Je dirais trublion, prétentieux (si, si, c’est vrai), vaniteux, conformiste à un point que tu ne peux pas imaginer, réactionnaire, vieux, ce qui excuse les autres qualificatifs, et angoissé. Mais attention, je n’ai pas que des défauts, je suis aussi joueur, rieur, enthousiaste pour plein de choses et chiant. Mais j’ai de la chance, on me laisse l’exprimer.
- On dit que vous êtes paresseux, mais vous avez tourné plus de 60 films en moins de trente ans, c’est énorme!
- C’est dans mon sang et même dans mes gènes d’être acteur, donc cela ne me demande aucun effort. La paresse, c’est ne pas vouloir entreprendre des choses, avoir des projets avec des finalités, c’est pour ça que je me dégage de toutes formes de résultats, de conséquences, de responsabilités. Comme dit mon épouse: «Evidemment tu te déresponsabilises de tout, c’est une liberté, mais c’est un poids pour les autres. D’ailleurs, il y a un signe assez révélateur, tu ne te souviens jamais du nom des gens.» Alors je lui réponds que c’est un choix.
- Vous avez tourné à Vevey dans «La rançon de la gloire» qui raconte comment deux malfrats ont dérobé le cercueil de Chaplin afin de demander une rançon. Alors la Suisse, ça vous a plu?
- Le tournage était à Vevey. On a aussi filmé dans une prison pas trop loin de là avec une porte magnifique et il y avait même des plantes à l’intérieur. Et ce n’était pas du décor! En fait, la taule en Suisse, c’est comme si on partait en vacances en Espagne. Je me suis même demandé pourquoi ne pas être malhonnête en Suisse! Sinon, c’est un des rares pays, avec l’Allemagne, où je peux retourner avec plaisir. J’ai fait les plus grosses soirées de ma vie en Suisse. Ce qui m’émeut le plus chez les Suisses, c’est qu’ils sont d’avant la barbarie. Comme si quelque chose avait été épargné. A part ça, je me permets de rajouter que j’ai quand même pris un coup de béquille sur la tronche à Vevey. D’ailleurs, cela a fait la une à l’époque dans un journal local: Benoît Poelvoorde, acteur belge blessé par un Suisse. En fait, on tournait à 10 h dans un café en bas d’un immeuble et un type, énervé par le bruit, l’agitation et le trouble que provoquaient les projecteurs, est sorti sur son balcon et m’a balancé sa béquille à la tête, déjà pour nous signifier son handicap mais aussi sa colère. Je me suis dit: «Dieu du ciel, j’ai failli mourir en Suisse!»
Une filmographie très riche
Drames et comédies
Au début de sa carrière, Benoît Poelvoorde préfère les comédies, mais sa sensibilité à fleur de peau et la richesse de son jeu font qu’il décide de se risquer dans des films plus graves comme «Entre ses mains» ou «L’autre Dumas».
Profil
22.09.1964
C’est à Namur que l’acteur est né et c’est toujours à Namur qu’il réside aujourd’hui. Benoît Poelvoorde adore sa Belgique natale et ne s’imagine pas vivre ailleurs.
Film culte (1992)
«C’est arrivé près de chez vous», inspiré de l’émission belge «Strip-tease», est présenté à Cannes. Le film, complètement atypique, remporte le Prix de la Société des auteurs et compositeurs dramatiques, le Prix de la critique internationale ainsi que le Prix spécial de la jeunesse. Aujourd’hui, il est juste mythique.