Il n’y a pas que l’Ecosse qui regorge de lieux mystérieux ou de fantômes qui squattent des châteaux. Il existe aussi en Suisse romande des endroits auxquels sont attachés peut-être des esprits mais en tout cas de vieilles légendes, des croyances extraordinaires ou un passé parfois sanglant. Nous vous proposons cinq lieux mystérieux, que nous avons visités pour certains d’entre eux accompagnés d’une médium et d’une druidesse. De nuit bien sûr, à l’heure où les fées, les loups-garous ou les fantômes ont quartier libre. Esprit cartésien qui nous lisez, votre lecture peut s’arrêter ici, mais ce serait quand même dommage.
Nous voici donc pour cette première mission occulte sur les ruines du château de Rouelbeau, dans la campagne genevoise. La légende veut qu’une Dame Blanche hante le lieu, surtout les nuits de pleine lune. L’histoire est connue à la ronde et a même fait l’objet d’un spectacle. Nous voici donc, photographe et journaliste, in situ peu avant minuit, accompagnés d’une médium, Begoña Favre-Gonzalo, à qui nous avions déjà consacré un article dans notre magazine. Si l’esprit d’une Dame Blanche du XIVe siècle se baladait dans les parages, elle serait sûrement en mesure d’établir un contact. Elle nous avait déjà bluffés par la force des témoignages des personnes qui l’avaient consultée et que nous avions publiés.
Bon, avouons-le humblement, on a beau ne pas forcément se prendre trop au sérieux, on fait moins les malins en pleine nuit au milieu de ruines avec le croassement des crapauds et le craquement des branches d’arbres qui zèbrent le silence. Nous progressons à la lumière des lampes de poche et notre médium parcourt l’ancien chemin de ronde tous les sens en éveil. Les heures passent. Rien à signaler. Begoña Favre-Gonzalo a soudain une vision furtive, celle d’une silhouette qui bouge. Nos cœurs battent un peu la chamade, mais le fantôme de la Dame Blanche, si c’est d’elle qu’il s’agit, a pris la poudre d’escampette. Les heures passent et seuls les moustiques sont une réalité bien tangible. Soudain, la médium s’immobilise et nous désigne un point sur la partie centrale qui correspond à l’entrée du château. On croit aussi apercevoir une masse plus sombre, mais difficile de faire confiance à ses sens dans un contexte aussi insolite. «C’est quelque chose de figé, pour moi, cela s’apparente à un égrégore, explique-t-elle, une entité constituée par toutes les pensées, les projections psychiques des personnes qui sont venues ici. Ce n’est pas un esprit.» C’est noté. Nous veillerons encore quelques heures, en vain. Il est temps de rentrer se coucher. La Dame Blanche n’aura pas pointé le bout de son nez délicat.
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Notre deuxième rendez-vous avec un lieu mystérieux sera plus fructueux. Nous sommes dans le canton de Neuchâtel et, après avoir passé par le village de Valangin, nous laissons la voiture à l’orée d’une forêt. But de la sortie nocturne: atteindre le gibet du même nom, qui se trouve sur un sentier de randonnée. On se dit à ce propos que le marcheur qui s’assied sur le banc de pierre pour manger son sandwich au calme et profiter de la vue sur le lac hésiterait à s’attarder s’il savait que des centaines de personnes ont péri ici après d’horribles supplices. D’ailleurs, à peine sur place, notre médium, qui ne connaît pas l’histoire du lieu, ressent de violents haut-le-cœur, une oppression sur la poitrine. Nous nous isolons pour la laisser travailler. Comme dans ses consultations privées, elle invite une âme, la conscience d’un défunt à se manifester. La voici qui se met à parler tout à coup avec une jeune femme qui confie avoir été exécutée ici même, condamnée pour adultère et dénoncée par l’épouse de son amant.
La femme décrit le gibet de Valangin comme il était à l’époque, beaucoup moins boisé, et insiste sur l’importance de transmettre ce qui s’est passé, tout en ajoutant que «l’humain n’a pas retenu la leçon». «Elle me montre des scènes de torture, de têtes qui roulent, de feux comme des feux d’artifice», explique Begoña. Quid de la dernière sorcière, Marie Brunet, accusée d’être possédée par le diable et qui périt ici en 1667? L’esprit de la femme semble indiquer qu’elle n’est pas là. Nous assisterons par la suite à un dialogue à travers les siècles un peu surréaliste entre la médium et l’exécuteur des sentences. L’homme dit n’avoir fait que son devoir. La médium lui demande son âge, de décrire ses habits, une caractéristique physique afin de pouvoir éventuellement retrouver son portrait et corroborer qu’il s’agit d’un vrai contact avec l’au-delà. Etonnamment, la description de cet homme et quelques-uns de ses attributs correspondent au personnage dont nous verrons plus tard le portrait. Coïncidence ou preuve de la réalité d’un contact médiumnique? A chacun de se faire sa propre idée.
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Quelques jours plus tard, nous nous retrouvons dans une forêt proche de Gorgier (NE). Il y a cinq mille ans déjà, les hommes levaient des pierres pour leurs rituels et cette forêt du Devens où nous emmène la druidesse Joëlle Chautems regorge de lieux sacrés. Un menhir va retenir tout particulièrement notre attention. Il mesure 2,5 mètres et fait toujours manifestement l’objet de visites puisque, à côté de lui, une pierre couchée est ornée de copeaux de bois et de pives. «Ce sont des offrandes pour le gardien des pierres, explique la druidesse. Il faut toujours le saluer en arrivant sur ce lieu.» Dans sa tenue d’officiante, la jeune femme, qui préside de nombreuses cérémonies dans la nature selon les rituels celtiques, explique encore que le menhir est «un condensateur d’énergie». «Avec celui-ci, il faut entrer en contact en s’appuyant sur sa face sud, la plus lisse, là où se trouve le centre du vortex. Votre énergie vitale y sera démultipliée par dix et vos cellules peuvent être régénérées», confie celle qui a suivi durant près de quinze ans l’enseignement d’un druide breton. Et qui peut capter les vibrations les plus profondes de la pierre et les messages d’un lointain passé. La voilà qui se met à brûler du millepertuis, qu’elle disperse sur le menhir comme un prêtre brûlerait de l’encens. «Son énergie se déstructure, car il y a trop de visites profanes, il faut la recentrer.» Puis la druidesse nous enjoint de quitter ce lieu. Qui reste un espace sacré à respecter.
Si un autre menhir de cette forêt du Devens a le pouvoir, selon notre druidesse, de rendre les femmes fertiles (elles glissaient dessus, d’où le terme pierre à glisse), les arbres ne sont pas en reste dans la distribution des pouvoirs. Nous voici au pied d’un épicéa vieux de presque quatre siècles dans la forêt du Risoux, au cœur de la vallée de Joux. On ne trouvera pas mention de ce conifère dans les guides ou à l’office du tourisme, le lieu n’est connu que de quelques initiés. Mais, par le passé, les femmes en mal d’enfant venaient le visiter afin de tomber enceintes en touchant son tronc. Ce soir-là c’est Théo Magnin, un cueilleur d’arbres professionnel du Brassus, capable de désigner d’un seul coup d’œil les spécimens qui feront de bons instruments de musique, qui nous emmène au pied du fameux épicéa.
Cet arbre, en fait, ne nous était pas inconnu. Nous l’avions déjà photographié pour «L’illustré» il y a quelques années en compagnie d’Almir Surui, un chef amazonien en visite en Suisse. Un habitant du coin avait tenu à le lui faire découvrir, sachant tout l’intérêt que le chef portait aux arbres, lui, l’ardent défenseur de la forêt amazonienne. Quelle ne fut pas notre surprise quand le tronc de l’épicéa s’était couvert de petites gouttes de sève après que le chef l’eut entouré de ses bras! «L’arbre pleure, c’est normal, parce qu’il a emmagasiné beaucoup de chagrin», avait expliqué le plus naturellement du monde ce représentant d’un peuple premier. Il fallait le voir pour le croire. Oui, il existe encore bien des endroits mystérieux dans ce coin de pays!
>> Pour aller plus loin: «Guide des lieux mystérieux de Suisse romande» (2 vol.), de Stefan Ansermet, Ed. Favre et «Guide des hauts lieux vibratoires de Suisse romande», de Joëlle Chautems, Ed. Favre.