Il fallait se réveiller avant les aurores pour participer à la traditionnelle balade du 1er Août de «L’illustré» et de la «Schweizer Illustrierte», lundi dernier, veille de la fête nationale. Départ à 6 heures du matin de Lausanne et, quatre heures d’autocar plus tard, nous étions au Gothard, avant même les deux véhicules des lecteurs alémaniques. Ce col historique, c’est le symbole du Tessin, patrie de l’hôte et vedette du jour, le conseiller fédéral Ignazio Cassis.
«Mais le Gothard n’est pas seulement le symbole du Tessin, nous corrige le politicien, c’est le symbole de la Suisse. Car le Gothard unit en fait deux pays très différents: au nord, la Suisse centrale, la Suisse primitive, qui a fondé notre pays et, au sud, une partie de la Lombardie, qui a été tantôt sous le contrôle de l’Italie, tantôt sous le contrôle de la Suisse centrale, et qui a pris un jour la décision d’appartenir à cette Confédération. Et la Suisse ne serait pas la même Confédération sans cette partie de la Lombardie, qui est devenue le canton du Tessin. Nous autres, Tessinois, sommes contents d’être appréciés pour des raisons touristiques, bien sûr, mais nous sommes aussi et peut-être surtout fiers d’être une partie de l’âme suisse.»
Reconnu même à Naples
Tout au long de cette journée ensoleillée, le chef du Département des affaires étrangères s’est montré un hôte parfait, à l’écoute, répondant aux innombrables sollicitations, questions et inévitables selfies avec une gentillesse et une patience jamais prises en défaut. Un lecteur romand voulait d’ailleurs savoir si l’inévitable célébrité d’un conseiller fédéral n’était pas parfois pesante. «Oui, c’est une conséquence de cette fonction. On me reconnaît presque partout. Même en vacances près de Naples, sur la côte amalfitaine. Car il y a décidément des Suisses partout! C’est pour cette raison qu’avec mon épouse nous nous réservons régulièrement des vacances vraiment à l’écart du monde, dans la montagne notamment, pour pouvoir se ressourcer dans le silence.»
Ayant eu le privilège d’accompagner le chef du DFAE au Niger l’année passée dans le cadre d’une visite de travail, nous lui demandons s’il suit attentivement ce coup d’Etat militaire: «C’est un vrai drame, la situation actuelle dans ce pays. J’ai tissé une relation personnelle avec le président Mohamed Bazoum, que j’ai revu en septembre dernier aux Nations unies. Je suis très inquiet pour lui et pour son pays.»
Lors du trajet aller en autocar, nous avions organisé un quiz spécial Conseil fédéral pour les participants. Une des questions consistait à deviner la durée moyenne d’un mandat de conseiller fédéral. Celle-ci est exactement de dix ans. Si Ignazio Cassis est réélu en fin d’année, il atteindra donc cette moyenne puisque cela fait six ans qu’il est en poste. «Ce sera au parlement fraîchement élu d’en décider, précise prudemment le ministre. De mon côté, j’ai l’énergie, la motivation, la santé et le plaisir nécessaires pour poursuivre mon mandat. Je suis à la disposition du pays.» On lui rappelle que seuls quatre conseillers fédéraux (sur 121 dans l’histoire de la Confédération) ont connu ce désaveu. «Oui, mais rien n’est jamais acquis en politique, vous savez.» Rendez-vous donc en novembre prochain.
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Impossible de ne pas évoquer l’Ukraine avec notre diplomate en chef. La Suisse ne peut-elle décidément pas s’engager plus avant pour faire avancer la cause de la paix, après une année et demie de guerre? «Non, en l’état actuel, il est illusoire d’être aussi ambitieux dans ce domaine, répond catégoriquement le conseiller fédéral. Sur l’Ukraine, il faut des ambitions réalistes. Sinon nous suscitons des attentes irréalistes et contre-productives. Nos ambitions se concentrent sur la reconstruction, le déminage et l’action humanitaire. Et nous sommes actifs et reconnus dans ces domaines. En revanche, entreprendre une médiation entre les deux pays belligérants n’est pas possible, car la Suisse a clairement condamné l’agression russe. La Russie considère donc que la Suisse n’a en l’occurrence pas le statut de pays neutre indispensable pour une telle action. Ce qui ne nous empêche pas de fournir des services discrets, en coulisses, pour faciliter le dialogue.»
«Seul est libre celui qui...»
Après la traversée du barrage du lac de la Sella, nous arrivons à l’alpage de Sorescia pour le brunch (charcuterie, fromage, polenta et saucisses du Tessin) animé par une «bandella» tessinoise, un ensemble très sonore de cuivres et d’accordéon. Puis il était temps de passer au discours du 1er Août (avec un jour d’avance) du conseiller fédéral. Signe sans doute de ces temps de crises à répétition, le Tessinois a mis un accent prononcé sur la responsabilité individuelle des citoyens. Le covid puis le renchérissement actuel ont exacerbé de manière inédite en Suisse les rancœurs d’une partie de la population contre ses dirigeants. «Aux droits de la liberté s’ajoutent les devoirs de la responsabilité. Ce n’est pas populaire de le rappeler.» Mais Ignazio Cassis, lui, a osé, dans ce monde qui a pourtant tendance à privilégier une culture de l’excuse permanente. Et d’ajouter que «seul est libre celui qui use de sa liberté».
Petite émotion à la fin du discours: le conseiller fédéral sort précipitamment de la grande tente. Un problème de sécurité? Une réunion de crise du Conseil fédéral? Rien de tout ça: une participante à la balade venait d’avoir un malaise et la vedette du jour était aussi le seul médecin de l’opération. Rien de grave, heureusement, selon «il dottore», sans doute une bénigne déshydratation.
Il était temps de se quitter, car le conseiller fédéral devait s’envoler pour l’Indonésie pour célébrer notamment la fête nationale avec les Suisses de l’étranger. Avant de repartir avec une meule de fromage d’alpage qu’on lui avait offerte, le Tessinois, heureux de sa rencontre avec les citoyens, a lancé un ultime: «Grazie a tutti e buon ritorno!»