Dernier Café du Coin en Suisse alémanique. Et cette fois, au centre mythique du pays et avec une assistance hors du commun: Bernhard Russi, 73 ans, la légende du ski d’Andermatt, Dani Arnold, 38 ans, de Biel ob Bürglen, sans doute le meilleur alpiniste de l’extrême du pays, Franz Steinegger, 79 ans, de Flüelen, ex-star de la politique nationale, Daniela Gisler, 58 ans, active dans le management et la communication sportive, et Armin Landerer, 61 ans, CEO de la DEAR Foundation-Solidarité Suisse. Dans la Salle des chevaliers du restaurant Lehnhof, à deux pas du monument dédié à Guillaume Tell, ils se soumettent tous les cinq aux questions du modérateur Werner De Schepper.
- Franz Steinegger, les Etats-Unis se déchirent sur le thème de l’avortement. Assiste-t-on à une réécriture de l’histoire?
- Franz Steinegger: Je crois que le vent a tourné depuis belle lurette. Mais j’espère bien que nous ne sommes pas en train de devenir fous. Aux Etats-Unis, ça semble déjà être le cas. Mais finalement, c’est un processus normal. Il y a toujours eu des ressacs. On le constate aussi au bistrot où les gens s’expriment sans ambages. Mais quand je vois ce qui se passe dans les universités américaines, je me fais du souci. Je n’aurais jamais cru que, en matière d’interruption volontaire de grossesse, on assisterait à un tel retournement. Je trouve la situation que nous avons encore la chance de vivre en Suisse normale.
- Bernhard Russi: Je vois la chose comme le mouvement d’un pendule. Pour changer quelque chose dans la société, il faut pousser le pendule dans une direction. Mais, ensuite, il se déplace dans l’autre sens, avant de se stabiliser. Mais avant tout ça, il faut débattre avec les extrêmes, aller aux limites.
- Franz Steinegger: J’aime cette image. Mais, en ce moment, le pendule oscille à un rythme que je peine à suivre. Et les médias en sont également responsables.
- Daniela Gisler: J’ai moi-même été journaliste. Nous avons bien sûr aussi recouru à de gros titres pour vendre nos infos, qui n’étaient pas toutes inoffensives. Mais, au cours de la pandémie, j’ai parfois trouvé cela irresponsable et dangereux. J’aurais souhaité voir, devant et derrière la caméra, plus de femmes avisées, capables de contribuer à une certaine désescalade dans la communication. Désormais, une crise chasse l’autre et les médias en parlent sur un ton parfois alarmiste, renforçant ainsi le sentiment d’insécurité au sein de la société. Quant aux Etats-Unis, le débat s’y résume à l’affrontement entre les idéologies toujours plus affûtées des deux camps.
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- Franz Steinegger: La pandémie est un bon exemple. Il n’y a pas eu de jour sans qu’on nous rebatte les oreilles avec une nouvelle info.
- Armin Landerer: Nous avons créé la fondation Solidarité Suisse à cause du Covid-19 et sommes très sensibles au sujet. Il importe de garder le problème présent à l’esprit mais sans désécuriser les gens.
- Franz Steinegger: Il y a aussi bien des gens qui tentent de profiter de la crise. Je n’ai clairement jamais reçu autant de demandes de dons. Beaucoup d’organisations essaient d’exploiter les gens.
- Armin Landerer: Ce qui nuit aux institutions les plus sérieuses, comme Solidarité Suisse.
- Daniela Gisler: En ce moment, il est ardu dans tous les domaines de collecter des fonds. Je m’occupe notamment de la meilleure nageuse suisse. Elle est Russe de naissance, vit en Suisse depuis dix-sept ans et a été naturalisée en 2015. Quand la guerre entre la Russie et l’Ukraine a été déclenchée, l’intérêt de potentiels sponsors s’est évanoui. Cela me contrarie au plus haut point. D’un côté, nous nous réjouissons de ses médailles, de l’autre, les ressources se tarissent sous des prétextes qui m’irritent et compromettent la poursuite d’une carrière sportive suisse.
- Armin Landerer: Nous pourrions peut-être en parler et vous soutenir. Nous sommes intéressés par les gens susceptibles de servir de porte-paroles de nos idées.
- Daniela Gisler: Les opportunités sont très différentes d’un sport à l’autre. Dani Arnold peut aisément vendre ses performances, y compris sur les réseaux sociaux. Mais dans la plupart des sports de niche, c’est beaucoup plus compliqué, y compris au niveau mondial. On y gagne à peine de quoi vivre et il ne demeure rien pour assurer l’avenir.
- Dani Arnold: Pendant la pandémie, j’ai moi aussi été en difficulté. Je génère une partie de mes revenus à l’aide de mes contrats. Le confinement a tout bouleversé: d’un jour à l’autre, il te manque 30 000 à 40 000 francs. Or les gens restent très motivés à aller dans la nature. Et pour le canton d’Uri c’est une chance. Les gens ont envie de s’aérer et nous pouvons leur proposer cette expérience. Cela dit, en tant qu’Uranais, je n’ai encore jamais eu l’impression que nous souffrions d’une image médiocre. Nous devons y veiller. Car ici aussi il y a des gens qui trichent, même si, dans l’ensemble, les gens sont authentiques et sincères.
- Franz Steinegger: Et dire qu’ici, du point de vue purement économique, nous faisons partie de l’agglomération de Zurich (il rit).
- Bernhard Russi: Notre bonne réputation dépend aussi de nos représentants politiques. A Berne, ils passent pour des gens qui ont les pieds sur terre et sont francs du collier.
- Dani Arnold: Nous pouvons être fiers de ce que nous avons ici et devons veiller sur notre canton.
- Bernhard Russi: C’est pourquoi nous disposons aussi d’un frein à main: pas besoin de construire deux ports sur le lac des Quatre-Cantons.
- En d’autres termes, vous préférez un Andermatt à deux Andermatt?
- Bernhard Russi: Mais un Andermatt était à l’évidence nécessaire.
- Franz Steinegger: C’était une autre configuration. Quand l’armée a quitté, il n’y avait plus un rond. Andermatt doit se réjouir que Sawiris ait investi dans le tourisme. Ici, en plaine, les conditions sont clairement différentes.
- Bernhard Russi: Parce que la région n’est pas autant branchée sur le tourisme.
- Daniela Gisler: A Andermatt, on a parfaitement marié la montagne et le confort. Cela a rendu la destination plus attrayante, tout en préservant le caractère originel des lieux. Mes athlètes en sont, elles aussi, fascinées, notamment par le restaurant Wachthuus, à Gütsch.
- Bernhard Russi: Ce n’est pas un restaurant, c’est une pinte.
- Franz Steinegger, revenons à la politique. Peut-on négocier avec Vladimir Poutine?
- Franz Steinegger: Il faut soutenir l’Ukraine jusqu’à ce qu’une négociation s’impose. Sans quoi, ce sera le tour de la Moldavie, puis des Etats baltes. Nous devons soutenir l’Ukraine pour que des négociations s’avèrent possibles. Poutine ne doit pas avoir l’impression qu’il peut tous nous bouffer.
- Bernhard Russi, vous avez fait personnellement connaissance avec Poutine avant les JO d’hiver de Sotchi. Comment est-il?
- Bernhard Russi: Il est excessif de dire que j’ai vraiment fait sa connaissance. Et c’était en 2015. J’ai parlé allemand avec lui, j’en ai eu une certaine impression, mais je ne saurais dire que je le connais à 100%. Il voulait savoir ce que les Suisses diraient s’il se représentait. Je lui ai rétorqué que ça n’allait pas du tout. Alors il m’a répondu: «Vous avez la démocratie, nous avons la démocrature.» J’ai l’impression que Poutine est aujourd’hui un tout autre homme qu’alors. Ce qui se passe me fait mal, en particulier quand je vois à Andermatt des réfugiés d’Ukraine, des femmes et des enfants. Ce sont des personnes disposant d’une bonne formation et qui ont les mêmes valeurs que nous, qui s’intègrent mais voudraient avant tout rentrer chez elles. Chaque journée de cette guerre est une journée de trop.
- Armin Landerer: Ce qui se passe est bouleversant. Avec notre fondation, nous entretenons des foyers pour enfants en Russie. Mais plus ça va, plus nous manquons de médecins. Ils sont appelés sous les drapeaux et vont à la guerre. Nul ne songe aux aspects humanitaires. Cela m’affecte profondément.
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Des atouts en réserve
Le canton d’Uri manque certes de nombreux secteurs innovants. Mais les impôts peu élevés et le niveau modéré des salaires rendent la Suisse primitive attractive.
En Suisse centrale, le canton d’Uri est situé un peu à l’écart des grandes métropoles, ce qui limite son accès aux infrastructures urbaines. Outre une densité de population déjà faible, il en résulte l’une des zones de chalandise les plus petites de Suisse. Les secteurs à forte croissance et les entreprises innovantes ont tendance à y être sous-représentés. Toutefois, le canton primitif a aussi quelques atouts dans sa manche. Grâce à des impôts attractifs et à un niveau de salaires relativement bas, il compte parmi les cantons les plus intéressants en termes de coûts. En ce qui concerne les finances publiques, il se situe également au-dessus de la moyenne compte tenu de son faible taux d’endettement. Les perspectives économiques à long terme d’Uri sont globalement modérées en comparaison intercantonale. Néanmoins, des investissements ciblés dans les régions plus reculées pourraient donner lieu à de fortes impulsions de croissance, à l’image du complexe touristique d’Andermatt.
Le Café du Coin est une initiative promotionnelle de L’Illustré et de la Schweizer Illustrierte, en collaboration avec DEAR Foundation-Solidarité Suisse et UBS Suisse.