Certains appellent les thuyas le «béton vert». Originaire d’Amérique du Nord, ce conifère a été à la mode dès les années 1960 et a été planté en abondance dans les années 1980 et 1990. Ces plants sont connus pour leur capacité à former des haies impénétrables. Dotés d’un feuillage pérenne, ils isolent les jardins et bloquent les regards des voisins, été comme hiver. Cette essence pousse en outre rapidement, en ne demandant qu’une taille annuelle pour tout entretien.
Mais aujourd’hui, c’est une page qui se tourne. Agés d’une quarantaine d’années, les thuyas ont pris un méchant coup de vieux. Secs, encombrants et souvent malades, ces arbustes symbolisent les excès de la société de consommation de la fin du XXe siècle. Ils illustrent le déni des impératifs écologiques en raison de leur absence d’intégration à l’écosystème local. Avec la prise de conscience générale de la population en matière d’écologie, leur cote est en chute libre, tandis que les administrations locales cherchent à les éradiquer.
Une évolution internationale
Dans toute la Suisse, dans les espaces publics, des communes ont commencé à arracher les thuyas, de même que des essences exotiques invasives comme les laurelles. La pression des autorités envers les privés est plus ou moins forte selon les règlements communaux qui cadrent les pratiques. La mesure la plus engagée est d’inciter les citoyens à remplacer les intrus végétaux par des essences locales à travers une politique de subventions. C’est la tendance générale. Celle-ci correspond à une évolution internationale, de même qu’aux attentes de la loi fédérale sur la protection de l’environnement (LPE) remaniée en 2022. Les cantons suivent le mouvement. Ainsi, dans le canton de Vaud, l’interdiction de la vente d’organismes exotiques envahissants est effective depuis janvier 2023, avec l’entrée en vigueur de la loi sur la protection du patrimoine naturel et paysager.
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Ce que l’on reproche précisément aux thuyas? D’abord le fait que cette essence qui ne produit ni fleurs ni fruits rend les espaces complètement inhospitaliers et la terre acide. «En termes de biodiversité, ces conifères sont beaucoup moins intéressants que les arbustes indigènes, car ils n’offrent que très peu de nourriture pour les insectes, les oiseaux et les petits mammifères», indique Myriam Charollais, conseillère pour les projets Nature en ville, à Lausanne. Inconvénient supplémentaire lié aux longues périodes de sécheresse que nous vivons depuis quelques années, l’arbuste assoiffé prend facilement feu.
Inadapté au réchauffement global
«Avec les changements climatiques de ces vingt dernières années, le thuya n’est plus adapté à nos régions. Il lui faut des froids rigoureux qui le nettoient des champignons et des insectes ravageurs. Avec des hivers doux, cet arbre tombe facilement malade, tandis que son entretien passe par l’utilisation de pesticides. Notre entreprise a arrêté d’en planter il y a une dizaine d’années déjà», observe Julien Sandoz, à la tête de Sandoz Paysages & Pépinières (Fribourg, Vaud, Neuchâtel). Le spécialiste poursuit: «Ces arbres sont en fin de course. Rien d’étonnant à ce qu’ils soient devenus si laids.»
De leur côté, les laurelles figurent sur la liste noire des espèces exotiques qualifiées d’envahissantes, car, en se disséminant dans l’environnement, elles concurrencent la végétation indigène. Ces buissons ont longtemps été très populaires pour leur feuillage persistant. A Nyon, la municipalité s’est emparée du problème avec le projet d’arracher les laurelles qui recouvrent 1 hectare de terrains publics. Conseiller communal PLR, Christian Perrin voit rouge: «J’ai planté une haie de laurelles autour de ma villa il y a vingt ans. J’entends maintenant que ce sont des plantes indésirables. Mais ce n’est pas à l’Etat de me dire ce que je dois faire chez moi. C’est une atteinte à la liberté individuelle.» Les propriétaires peuvent cependant se rassurer: personne ne va venir dans leur jardin arracher les thuyas ou les laurelles. Le conseiller municipal vert Pierre Wahlen assure: «L’arrachage des laurelles et des thuyas ne concerne que les espaces qui appartiennent à la commune. Les propriétaires privés seront incités à faire de même par le biais de subventions. Mais en aucun cas ils n’y seront obligés.» Et les incitations peuvent être intéressantes. Lausanne offre ainsi jusqu’à 10 000 francs par projet de haie diversifiée, ainsi que pour des aménagements comme la création d’un étang et d’une prairie fleurie.
La Charte des jardins
A Fully (VS), Jean-Baptiste Bruchez est la cheville ouvrière de la pépinière du Triage forestier de Collonges-Dorénaz-Fully, créée en 2017 avec la mission de promouvoir la culture et la vente d’arbustes locaux. Le garde forestier témoigne: «Le projet cartonne grâce à un formidable bouche à oreille. La population est enthousiaste à l’idée d’amener de la nature dans les zones urbaines. Si vous prenez un lièvre qui veut traverser la plaine du Rhône, il doit suivre des couloirs de végétation locale qui le protègent des rapaces. C’est le rôle que jouent les haies diversifiées.» Le Valaisan ajoute: «Aujourd’hui, c’est la biodiversité qui est à la mode et je ne peux que m’en réjouir. Les jeunes qui construisent sont très sensibles à cette question, tandis que nos aînés ont beaucoup de plaisir à embellir leur jardin.»
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Les communes et les privés intéressés par la promotion de la biodiversité sont encouragés à adhérer à la Charte des jardins. Né en 2007 dans la commune genevoise de Chêne-Bougeries, ce projet favorise les liens entre voisins et l’embellissement des quartiers. Le mouvement réunit à ce jour plus de 1500 adhérents romands, indique Pierre-André Magnin, de la plateforme d’information des services cantonaux genevois de l’énergie et de l’environnement. «On sent actuellement un vrai changement dans la gestion des espaces verts par les services des communes. Et ça, c’est encourageant. Les entreprises de paysage font parallèlement de plus en plus attention à la question de la nature en ville. C’est d’ailleurs souvent une obligation.» S’inscrivant dans cette ligne, les signataires de la Charte des jardins s’engagent à entretenir le terrain de manière à accueillir des oiseaux, hérissons, papillons et lézards. Pierre-André Magnin précise: «La Charte des jardins ne demande pas de déraciner les haies de thuyas mais seulement de renoncer à en planter.»
Bon pour le jardin: des haies pleines de vie
Chèvrefeuille, viorne, groseiller des Alpes... Une abondance d’essences indigènes n’attendent que de remplacer thuyas et laurelles, avec de nombreux avantages à la clé. Ces espèces attirent la faune locale qui les connaît et sait que, auprès d’elles, il y aura de quoi se nourrir sous la forme de baies, de fruits et d’insectes. Le forsythia est apprécié pour sa floraison précoce. D’une belle couleur jaune dès les premiers jours du printemps, le cornouiller mâle produit des fleurs riches en nectar appréciées des papillons. Quant au sureau noir, il est visité par une soixantaine d’oiseaux différents, dont les migrateurs. Pour se cacher des regards, le genévrier constitue une solution intéressante en raison de son feuillage d’aiguilles persistant.
Oui, les essences locales, c’est bien. Mais la variété, c’est mieux. Attention à éviter les haies en monoculture, en charmilles par exemple. Certes, la faune indigène en est familière, mais la monotonie décourage nombre d’insectes et d’oiseaux. Enfin, les jardiniers sont unanimes sur ce dernier point: un gazon tondu au millimètre dans un jardin méticuleusement nettoyé fait fuir toute vie sauvage. Les hérissons ont besoin de feuilles mortes pour s’abriter. Les débris végétaux jonchant le sol sont une aubaine pour une myriade d’insectes qui, à leur tour, nourrissent de petits animaux. Une herbe fauchée deux fois par année seulement permet aux graines de fleurs de se disséminer et d’éclore spontanément d’année en année. Bref, fatiguez-vous un peu moins, laissez faire la nature et admirez le résultat.
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