A chacune son époque. A l’heure où le rideau tombait sur les horreurs de la Grande Guerre, les paysannes helvétiques ne songeaient pas à créer un calendrier pour attirer l’attention de l’opinion. En ce temps-là, le glamour n’était pas dans le pré ou, plutôt, n’était pas tout court. La grande majorité des épouses d’agriculteurs trimaient dur pour faire vivre l’exploitation, parallèlement à leur statut de maman. C’était le cas d’Augusta Gillabert.
Née Randin en 1869 à Orbe, dans une famille protestante de Chavornay, elle s’était vue propulsée à la tête du domaine familial à Moudon à la suite du décès subit de son mari en 1914. Et voua sa vie à la terre tout en élevant seule ses cinq enfants.
Mais ce n’est pas dans les sillons de ses champs que la courageuse Vaudoise laissa sa plus grande empreinte. A côté de ses lourds travaux, elle fut en effet de tous les combats. A la fois traditionnels, lorsqu’elle fit œuvre de pionnière dans la valorisation du travail des femmes dans l’agriculture, et progressistes, en militant en faveur du suffrage féminin. Présente sur tous les fronts, celle qui fonda en 1918 l’Association des productrices de Moudon – laquelle devint plus tard l’Association agricole des paysannes vaudoises – s’engagea également contre l’alcoolisme en milieu rural à travers la Ligue suisse des femmes abstinentes et ce, malgré les fortes résistances de son milieu professionnel.
Jamais en retard d’une idée, Augusta Gillabert se battit également pour que ses consœurs aient accès à de véritables formations et se spécialisent afin de profiter de nouveaux débouchés économiques. Consciente des tensions qui régnaient entre les populations urbaines et rurales, elle tenta de réconcilier les deux mondes en publiant des centaines de chroniques de haute tenue dans la presse agricole romande. En 1933, elle parvint même à imposer une page féministe dans le légendaire Sillon romand, qui deviendra Terre & Nature.
Cette militante mourut en 1940, sans avoir vu le droit de vote accordé aux femmes. Mais, saluait récemment le président des Archives de l’histoire rurale, Peter Moser, «elle a clairement participé à l’évolution des mentalités dans l’agriculture et à améliorer l’image des femmes dans la société».