Elle a les yeux turquoise, pour de vrai, c’est troublant quand on lui parle, ces yeux couleur piscine. On l’a vue jouer dans «Intouchables», dans la série «Le Bazar de la Charité», où elle mettait le feu à l’écran, avec sa rousseur, sa force et son indépendance, qualités qui n’étaient pas de mise pour une femme en cette fin de XIXe siècle. Mais dans «HPI» (pour haut potentiel intellectuel), la série qui cartonne sur TF1, elle révolutionne le paysage audiovisuel français avec son personnage de Morgane Alvaro, une femme de ménage au QI de 160, «comme Einstein», qui résout les enquêtes dans lesquelles la police judiciaire patine. Pour jouer ce rôle, qu’elle a coécrit, elle a décidé d’offrir à Morgane une grande partie de ce qu’elle est.
«C’est peut-être le personnage qui me ressemble le plus parmi tous ceux que j’ai pu interpréter jusqu’à présent, confie-t-elle à RFM. [...] Je me sens très proche d’elle, même si je suis beaucoup plus policée qu’elle ne l’est. Je l’ai ramenée à moi alors que, d’habitude, on fait le parcours inverse: on va vers son personnage.»
La costumière ne l’a pas loupée. Elle lui a dessiné une silhouette entre la cagole et l’adulescente, maquillée comme une voiture volée, affublée de faux ongles, de faux cils, sans oublier le tatouage de tigre sur un sein. «Le costume est très important pour moi dans la création des personnages, car j’ai besoin de me sentir quelqu’un d’autre immédiatement. C’est une carapace, c’est ce qui permet de se prendre au sérieux», nous confiait-elle lors d’une interview en 2018. «Je n’oserais pas mettre le quart de la moitié de ce que Morgane porte. Elle a un mauvais goût totalement assumé, ne se pose pas la question du décolleté ou de la jupe, porte une sorte de panoplie comme une ado de 15 ans», dit-elle au Parisien.
Quand on la voit débarquer sur les scènes de crime en minijupe et talons hauts, il est difficile d’imaginer que, enfant, elle détestait son physique. «A 16 ans, j’étais laide. Vraiment laide. J’avais 20 kilos de plus, un appareil dentaire et des coupes de cheveux approximatives. A ce niveau-là, mon adolescence a été dure. Je me souviens d’humiliations», confie-t-elle à Elle.
Audrey Fleurot a vu le jour le 6 juillet 1977 et a grandi dans la banlieue parisienne à Mantes-la-Jolie, entre une mère puéricultrice et un père sapeur-pompier à qui il arrive d’être de garde à la Comédie-Française. Un soir, sa femme lui demande d’emmener leur fille au théâtre avec lui. «Je crois que j’avais 8 ou 9 ans. C’était une pièce de Goldoni, mais je ne me souviens plus laquelle.» De son strapontin, l’enfant regarde tout, avale tout, de la scène aux machines, des acteurs au public. «J’ai eu une épiphanie.» C’est le métier qu’elle veut faire et elle va organiser toute sa vie pour réaliser son rêve.
Audrey Fleurot a fait une école de cirque, a suivi des cours dans les conservatoires du XVIIIe et du XIXe arrondissement de Paris, puis, après le bac, elle réussit le concours d’entrée à l’Ecole nationale supérieure des arts et techniques du théâtre (Ensatt) à Lyon. Elle quitte Paris sans regret pour aller vers sa nouvelle vie. Elle pratique toutes sortes de sports, s’adonne à sa passion, le tango, et peu à peu transforme ce corps qu’elle a si peu aimé. Pendant dix ans, elle enchaîne les tournées sur les scènes de France et vit sa passion pleinement. «Je sens qu’au théâtre j’ai plus de possibilités. On peut jouer un bébé, un chien, un vieillard, un homme, un objet, le champ des possibles est beaucoup plus large», dit-elle.
Ce sont les personnages de la Dame du lac de la série «Kaamelott», diffusée à la télévision entre 2004 et 2009, et, surtout, de l’avocate Joséphine Karlsson dans «Engrenages» (2005-2020) qui l’éloignent momentanément de la scène et lui donnent le temps d’entrer dans le cœur, et le salon, des Français et des Romands. En 2011, lorsque sort le film «Intouchables», elle fait déjà partie des actrices les plus aimées des habitants de l’Hexagone. Elle enchaîne alors les tournages, en travailleuse acharnée qu’elle est.
Le théâtre la rappelle en 2018, où elle joue «Le tartuffe» en anglais, à Londres. Sur scène, elle porte des vêtements signés Julien Fournié, le grand couturier parisien. «Ses yeux sont tellement clairs qu’ils prennent la couleur de ses vêtements, confie celui-ci au téléphone. C’est magique! Elle a une peau de lait, des attaches fines, elle est gracieuse. Quand on fait des essayages, elle salue toute l’équipe, elle s’intéresse à la manière dont est fait le vêtement, à l’origine des tissus. Quand elle arrive dans une pièce, elle entre avec la lumière. Je ne sais pas comment elle fait, c’est comme si tout s’arrêtait. Pourtant, en réalité, elle n’est pas du tout autocentrée: elle s’étonne elle-même de tout ce succès qui lui arrive!»
A l’occasion d’une série de photos réalisées à Paris où elle portait justement des tenues haute couture de Julien Fournié, il est arrivé la pire des choses qui puissent être: une panne d’ascenseur! Six personnes sont restées coincées pendant vingt minutes entre deux étages: la star, le grand couturier, la coiffeuse, la maquilleuse, la photographe et votre servante. Audrey Fleurot aurait pu faire sa diva, or c’était la seule à faire des blagues, tandis que le reste de la troupe se décomposait, à la fois de chaud et d’angoisse.
Son humour, c’est ce qu’elle apporte au personnage de Morgane. «Morgane, c’est elle, poursuit le couturier. Dans l’intimité, elle est sympathique, drôle, n’a pas peur de l’autodérision. Audrey ne surjoue pas: c’est une vraie actrice, à la manière des acteurs de l’Actors Studio, elle est dans l’énergie, l’instinct du moment. Elle participe au scénario de «HIP». On lui a demandé son accord pour tous ses partenaires, elle est partie prenante dans la série.»
Tout ce qu’elle est lui permet de nourrir ses personnages: sa drôlerie comme sa part obscure, sa relation avec les enfants aussi. «Paradoxalement, les acteurs sont souvent des gens qui n’ont absolument pas confiance en eux. J’ai un rapport très ludique au jeu. C’est comme quand j’étais petite fille et qu’on jouait à «On dirait que»: «On dirait que tu es un Indien et que je suis un cow-boy», nous confiait-elle.
Depuis 2014, l’actrice française partage la vie du réalisateur et scénariste Djibril Glissant. Elle l’a rencontré lors d’un week-end marathon de tango à Barcelone, activité où elle excelle. Ensemble, ils élèvent trois enfants: deux sont issus de la précédente union de son compagnon tandis que Lou, le fils qu’ils ont eu ensemble, est né le 19 novembre 2015. «Lou, c’est le seul prénom de la short list sur lequel nous étions d’accord, avec le papa. Lou est un prénom qui nous tenait à cœur depuis longtemps, surtout dans une version masculine anglo-saxonne.»
Les deux artistes forment un couple contemporain, où c’est la femme qui est en voyage d’affaires. «J’essaie de rentrer chaque week-end et c’est assez fatigant, confie-t-elle au Parisien. Les enfants ont la chance d’avoir un papa qui assure, et moi, quand je suis là, j’essaie de marquer des points, d’être là à fond. C’est très commun chez les hommes qui sont en déplacement et dont la femme s’occupe de gérer la maison. Là, la situation est inversée, mais nos enfants ont toujours connu cela, et toutes les configurations sont bonnes pour eux.»
Paris en période de confinement est d’un ennui achevé. Audrey Fleurot s’est récemment acheté une maison en Normandie et s’y échappe dès qu’elle a le temps. Or elle en a peu. «Je tourne 300 jours sur 365.» Sa manière à elle de vivre mille et une vies...