«Bienvenue à la cabane aux oiseaux», nous salue Christophe Chammartin. Au bord de la petite route forestière, dans un trou de verdure sur l’arrière du Mont-Pèlerin, la petite baraque est suffisamment accueillante pour qu’on s’y sente bien, autour d’un café et d’un poêle, malgré la pluie de mai qui vous mouillerait jusqu’à l’os. C’est ici que le photographe s’isole, pour se retrouver ou pour plancher sur ses prochains projets; ici aussi qu’il médite sur sa relation intime avec la forêt. «C’est mon camp de base», dit-il.
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La forêt, il ne l’a pas toujours connue. Avec des parents venus de la campagne fribourgeoise, il a grandi dans l’agglomération lausannoise. C’est au moment où il devient père pour la première fois, il y a dix-neuf ans, que sa petite famille s’installe aux Thioleyres, un village de 200 habitants sur la commune d’Oron. Il y vit depuis lors avec sa femme, infirmière en néonatologie au CHUV, et leurs trois filles.
Christophe Chammartin a fait son apprentissage de photographe chez Jean-Pierre Mottier, un vrai maître, tout en suivant les cours de l’école de Vevey. Il deviendra photojournaliste indépendant, travaillant non seulement pour la presse quotidienne, dans le cadre de l’agence Rezo, mais aussi en se faisant remarquer par ses reportages au long cours. Il traite de problématiques agraires et sociales, la culture des tomates espagnoles et l’accaparement de terres par les firmes européennes dans une Roumanie qui venait d’entrer dans l’UE. Un écho, en somme, à ses révoltes de jeune homme qui manifestait pour le logement ou les réfugiés. Il s’intéresse à beaucoup de choses, comme en témoignent sa participation à l’aventure de Solar Impulse et son pèlerinage sur les traces d’Alphonse de Lamartine.
Aux Thioleyres, à une heure de marche de la cabane aux oiseaux, il va créer ce lien avec la forêt, dans une expérience quotidienne de proximité. «La forêt, c’est mon temple, c’est là que je me repose et que je me nourris, explique-t-il. Là où je me sens le plus en lien avec mon ressenti, ma joie intérieure.» Dans le passé, on associait la forêt aux sorcières, aux brigands, aux bêtes sauvages, au risque de se perdre. Aujourd’hui, elle offre un retour à l’intuition, à la spontanéité, un lieu pour échapper à «notre société masculine dans laquelle il faut être fort, au taquet, travailler, gagner».
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La forêt de notre photographe est plus profonde encore. Il y a de cela une quinzaine d’années, cet homme élevé comme un bon catholique a croisé les voies du chamanisme et y a «plongé tête baissée: au milieu des arbres, je vivais beaucoup de sensations sans savoir ce que c’était, sans y mettre de mots. Le chamanisme m’a permis de reconstituer le puzzle, de récupérer des bouts de mon âme.»
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Depuis, il fait partie de ces chercheurs de sens. Si la culture de l’Eglise, dogmatique et jugeante, n’avait jamais résonné en lui, sa quête spirituelle devait bien être présente. Après une rencontre fortuite avec ce nouvel univers, il a été initié comme il se doit par Ulla Straessle, selon les préceptes de la Foundation for Shamanic Studies (FSS). Issue de diverses traditions animistes, de Sibérie et d’Amazonie en particulier, cette école offre une base universelle dans laquelle chacun peut mettre sa culture et son environnement, explique Christophe Chammartin.
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Tout autant que photographe, il se définit aujourd’hui comme praticien de soins chamaniques. Pour ceux qui viennent lui confier leurs doutes, leur quête ou leur souffrance, il empoigne le tambour rituel. Ou alors, tel un médiateur, il s’enfonce dans les bois pour consulter les esprits invisibles, espérant revenir avec des réponses. Pour d’autres, il organise des épreuves initiatiques au cœur de la forêt, qui peuvent durer jusqu’à douze jours, préparation et débriefing compris. «Je me sens à ma juste place dans ces accompagnements», assure-t-il au profane venu faire son portrait et qui se montre sceptique face aux flux mystérieux et aux énergies non mesurables.
Sur les photos de Christophe Chammartin, les forêts ne sont pas forcément apaisées. Elles sont volontiers en pagaille, frappées par l’orage. Un arbre déchiqueté, un tronc renversé, une branche cassée rompent l’unité verticale des plantations. Une forêt souvent accidentée, sans joliesse, toujours dramatique. Dans la lumière tamisée qui s’infiltre peu à peu à travers les rideaux de sapins et menace d’envahir tout l’espace, quelque chose est sur le point de se produire, à moins que cela ne vienne d’avoir lieu. Le photographe nous assure que, dans sa pratique de chasseur d’images en forêt, il essaie de déconstruire tout ce qu’il a appris pour faire de belles photos. Afin de mieux rester à l’écoute de ses émotions, à l’affût du passage de la lumière physique à la lumière spirituelle.
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Dans l’éventail de son offre de soins, notre homme des bois a établi un lien direct entre photographie et chamanisme. Cela s’appelle «une image pour guérir». Lors d’une rencontre avec un patient, en même temps qu’il demandera conseil à un arbre ou à une cascade, le praticien va prendre, là où il en aura l’impulsion, une photographie de la nature. «Ce sera une œuvre porteuse de la forme, de la teinte, de la force dont vous avez besoin», promet-il sur le site internet très soigné consacré à ses activités de thérapeute.
Christophe Chammartin ne manque pas d’empathie pour tous ceux qui ont souffert du covid. Mais il tendrait plutôt, pour lui-même, à saluer les changements que la pandémie a introduits dans notre vie, même s’ils lui ont coûté une partie de ses revenus. Car cette période nous épure, nous pousse à enlever du superflu: «Nous vivons au plus juste, mais nous sommes d’autant plus cohérents.» Au moment où il passe le cap de la cinquantaine, le maître de la cabane aux oiseaux montre du reste de la reconnaissance, voire de l’admiration pour une société dont il s’est toujours tenu un peu en marge.
Outre une modeste aide covid perçue en tant que petit indépendant, il a gagné une bourse culturelle vaudoise pour un projet photographique bien de son cru. «On donne l’occasion à un hurluberlu comme moi d’aller demander aux arbres ce qu’ils ont à dire sur l’état de la société. J’y vois une forme d’ouverture à cette autre forme d’intelligence, celle pour laquelle je mets à disposition mes outils de perception.» La petite voix intérieure qui lui dit «Continue avec la forêt, continue!» a bien raison.
>> Sites internet: le photographe chammartin.net, le praticien chamanique www.danslaforet.ch, info@danslaforet.ch
Initiation aux rites chamaniques
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