1. Home
  2. Actu
  3. L'économiste Simon Wieser fait le point sur l'augmentation des coûts de la santé à la veille des votations fédérales du 9 juin
Votations fédérales du 9 juin

Assurance maladie: «Il faut revaloriser les généralistes»

S’ils acceptaient, le 9 juin prochain, les deux initiatives sur le financement de la santé, les citoyennes et citoyens suisses modifieraient bel et bien le système. Mais le soigneraient-ils de ses vieux maux, notamment de cette maudite augmentation des coûts synonyme d’augmentation des primes? Avec le professeur zurichois Simon Wieser, spécialiste de l’économie de la santé, tentons de comprendre les enjeux de ces deux initiatives.

Partager

Conserver

Partager cet article

Les primes de l’assurance de base ont plus que doublé en vingt-cinq ans. La faute au système, aux patients ou à la science?

Les primes de l’assurance de base ont plus que doublé en vingt-cinq ans. La faute au système, aux patients ou à la science?

Mallaun Photography/Zhaw, Shutterstock

Les 9 millions d’habitants de la Suisse ont consommé l’année passée pour près de 90 milliards de francs de prestations médicales. Sur ces 90 milliards de francs, 40 milliards étaient à la charge de l’assurance obligatoire des soins (AOS), soit une hausse de 4,6%. Une hausse forcément reportée sur les primes de l’assurance de base. Autant dire que les initiatives «Pour un frein aux coûts» et «Allègement des primes» ont le mérite d’être d’actualité. La première prétend s’attaquer aux causes du mal, la seconde à ses effets dans les budgets familiaux. Mais dans un dossier aussi sensible, ancien et complexe que celui du financement de la santé, les solutions miracles n’existent qu’au café du Commerce.

1. Les enjeux respectifs des deux initiatives


a) Lancée par le Centre, l’initiative «Pour un frein aux coûts» prétend pouvoir économiser 6 milliards de francs sur les 90 milliards de frais annuels mais sans péjorer la qualité des soins. Sa recette miracle: s’attaquer sans pitié aux prix excessifs, aux doublons de soins ou encore aux traitements inutiles.
b) L’initiative «Allègement des primes» du PS propose une mesure sociale simple: les primes à la charge des assurés s’élèveront au maximum à 10% de leur revenu disponible.

2. Mais pourquoi la santé coûte toujours plus cher?


Pour le professeur Simon Wieser, cette augmentation endémique est due à l’augmentation des volumes de prestations médicales, mais pas à une augmentation des prix. Les Suisses consomment toujours plus en soins et en médicaments alors que les prix sont restés plutôt stables. Il faut donc comprendre quelles sont les raisons de cette hausse importante de la consommation. Pour ce spécialiste, il y a certes le viellissement de la population et l’augmentation de certaines maladies comme le diabète. Mais la cause principale viendrait du fait qu’on traite les patients de manière plus intensive que par le passé, notamment grâce à des progrès scientifiques ou encore parce que certaines maladies autrefois moins traitées comme les maladies psychiques (le burn-out, par exemple) sont socialement acceptées.

3. Est-il vraiment possible de stabiliser les coûts, voire d’inverser la tendance?


Pour l’expert zurichois, on devrait d’abord se demander si cette augmentation des coûts correspond ou non à une amélioration des soins dans notre pays, si l’augmentation de sept ans de l’espérance de vie des hommes en trente ans ne justifie pas ces sacrifices financiers. Mais s’il faut se préoccuper exclusivement de la facture globale, le professeur Wieser estime qu’il n’y a pas de recettes miracles. Il existe en revanche de nombreux petits leviers déjà existants ou à mettre en place, comme le financement uniforme des prestations ambulatoires et stationnaires (EFAS). Il y a bien sûr aussi la numérisation de la santé. «C’est un aspect très important pour favoriser une politique de la santé plus efficace. Mais la Suisse est en l’occurrence pénalisée par son système de santé extrêmement fragmenté. Le dossier électronique du patient, dans son état actuel, n’est pas efficace. Il faudrait imposer un standard qui permette à tous les acteurs de la santé d’être efficacement reliés.» Comme au Danemark? «Oui, mais le Danemark a pu développer cette numérisation plus vite parce que son système de santé est national.» Notre fédéralisme serait-il donc une cause du problème? Non, répond Simon Wieser, qui estime notamment que le fédéralisme a l’avantage d’ajuster les primes en fonction de la consommation cantonale.

4. Les tarifs des spécialistes font-ils exploser les coûts?


Une quarantaine de minutes chez un cardiologue lausannois, le temps de pédaler sur un vélo pour faire un ECG en raison d’un diagnostic d’hypertension, et cela vous vaut une facture de 670 francs. N’est-ce pas trop, voire beaucoup trop? Pour le professeur zurichois, les tarifs des spécialistes posent en effet quelques problèmes. «Certains tarifs de spécialistes sont trop hauts et il faudrait sans doute en revoir certains à la baisse. Et il faudrait parallèlement revaloriser les généralistes en augmentant un peu leurs tarifs, qui sont trop bas, alors que ces médecins de famille sont justement un maillon essentiel pour la maîtrise des coûts, notamment en décidant si le recours à un confrère spécialiste s’impose ou non pour un patient. Cela dit, le potentiel d’économies en jouant sur les tarifs médicaux est très modeste.»

5. Et la surconsommation de prestations médicales?


Les Suisses, et tout particulièrement les Romands, sont-ils devenus des consommateurs compulsifs de médicaments et de traitements? Se ruent-ils pour un oui ou pour un non chez le médecin ou aux urgences? Et est-ce que ce serait cette manie, en se généralisant de plus en plus, qui expliquerait en bonne partie l’augmentation des coûts? Le professeur Wieser demeure prudent quand il s’agit d’expliquer ce mécanisme d’augmentation de la consommation des soins, mais il confirme en tout cas que la consommation de médicaments comme les antibiotiques ou les antidépresseurs est nettement plus élevées en Romandie et au Tessin qu’en Suisse alémanique. Il y a sans doute une question culturelle derrière cet écart statistique entre Latins et Alémaniques. Mais l’augmentation de la consommation de prestations est un phénomène qui se vérifie au niveau national. Le professeur Wieser estime qu’un des meilleur garde-fous contre cette surconsommation devrait être le médecin de famille. Le généraliste est l’acteur le mieux placé pour éviter le recours à des prestations inutiles.

6. Quelles familles de maladies coûtent le plus cher?


Le cliché selon lequel les coûts de la santé augmentent surtout en raison des traitements sophistiqués pour soigner des cancers, par exemple, est faux. Le professeur Wieser a participé à une étude récemment rendue publique qui établissait un classement des familles de maladies les plus onéreuses. Ce sont en fait les maladies psychiques (y compris les addictions) qui occasionnent la plus grande part de frais (14,3%), suivies par les maladies de l’appareil locomoteur (13,8%) et les troubles neurologiques comme la démence (8,5%). Les tumeurs ne viennent qu’en septième position (6,5%). De manière générale, le dossier extrêmement touffu de la santé ne se prête ni aux explications ni aux solutions simplistes.

7. Conclusion


Alors, que votera ce parfait connaisseur du dossier santé le 9 juin prochain? «Je refuserai l’initiative «Pour un frein aux coûts», car je ne pense pas que ses propositions soient pertinentes. En revanche, je voterai oui à l’initiative pour l’allègement des primes, qui permet de mieux répartir les coûts de l’assurance de base. Dans le fond, ce système qui soulage les ménages à faible revenu est déjà en vigueur dans le canton de Vaud depuis cinq ans.» 

Par Philippe Clot publié le 7 juin 2024 - 11:55