Il est plaisant, dans ce petit pays romand, de voir émerger une tête bien faite qui exprime de manière nouvelle les causes d’une ancienne colère, qui suggère des pistes inédites pour sortir de l’impasse. Un nouvel acteur, c’est souvent un discours plus franc, plus clair. Et puis Arnaud Rochat sait de quoi il parle, en tant qu’employé agricole avec un salaire entre 4000 et 4500 francs pour 51,5 heures hebdomadaires et des week-ends réduits à un jour et demi de congé.
- Votre revendication majeure, c’est un meilleur prix payé au paysan pour ses produits?
- Arnaud Rochat: Oui, c’est le point le plus important: être enfin payé pour ce qu’on produit, pour ces bonnes choses. Nous sommes las d’être rémunérés avant tout pour des services rendus à la Confédération.
- Deuxième revendication: diminuer la surcharge administrative, qui est la rançon à payer, en quelque sorte, de ce système de paiements directs assez complexe?
- Exact. Nous passons beaucoup trop de temps devant un ordinateur et en plus pour des tâches répétitives. La paysanne ou le paysan doit encore saisir les mêmes informations à plusieurs places différentes et à destination d’organisations différentes. Il faut mettre en place un système répondant au principe une fois et une seule. Et puis il faut aussi rationaliser les contrôles. Ici, dans le domaine où je travaille, pourquoi sommes-nous contrôlés à plusieurs reprises par exemple sur la dimension des logettes où dorment les vaches? Nous sommes inspectés par trop d’organismes différents. Il suffirait d’une bonne base de données partagée pour alléger ces contraintes. Et puis il y a un vrai stress causé par ces tâches administratives, ce monitoring dont dépendent les paiements directs. Il suffit de passer à côté d’une coche pour perdre 5000 francs et, à lʼinverse, il suffit dʼune coche de trop pour être sanctionné.
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- Il y a encore la concurrence des produits étrangers. Mais libre-échange oblige, que faire?
- Nous demandons par exemple de n’apposer la croix suisse que sur les produits qui sont 100% suisses, mais pas sur ceux qui sont composés de 20% de produits étrangers. Et pour les produits suisses de saison, il est agaçant de constater quʼon tolère lʼimportation de produits de lʼétranger, meilleur marché, mais qui ne sont pas de saison dans leur pays dʼorigine.
- Quels sont les principaux acteurs d’un changement possible?
- D’abord la grande distribution. Surtout la Migros et la Coop. Puis c’est l’Office fédéral de l’agriculture. Et à la troisième place les politiciens, principalement nos élus à Berne.
- Vous parlez au nom de quelle paysannerie?
- Au nom de toute la paysannerie. Les problèmes actuels touchent tous les types de production, aussi bien la viande que le lait et les céréales. Toutes les régions suisses sont concernées et tous les paysans, petits ou grands.
- Les paysans eux-mêmes ont-ils une part de responsabilité dans cette impasse, dans cette agriculture dépendante de l’aide publique et peu rémunératrice?
- Si nous avons une part de responsabilité, c’est celle de ne pas avoir réussi à créer des liens plus étroits entre la ville et la campagne. Depuis dix ans, nous nous efforçons de compenser ce déficit. Cela dit, les consommateurs sont coresponsables de ce fossé. Ce lien était encore assez fort quand toutes les familles ou presque comptaient des grands-parents ou des cousins paysans. Cette probabilité s’est drastiquement réduite au fil du temps.
- Qu’est-ce que cela changerait si un plus large public connaissait mieux le monde agricole?
- Les grands distributeurs pourraient moins facilement s’approprier les messages sur l’agriculture avec leurs pubs mettant en scène de manière idyllique le quotidien de la paysannerie et la proximité entre les paysans et les grandes enseignes. Il faut rappeler que le lait n’est pas produit par le berlingot, mais par la vache et par le travail du paysan avec son bétail. Et que ce n’est pas un métier facile même s’il est très beau.
- Les paiements directs représentent presque 3 milliards de francs sur les 3,7 milliards du budget agricole fédéral. Et pourtant, votre mouvement de contestation est critique avec ce système.
- Parce que les paiements directs servent surtout à la grande distribution, qui peut nous acheter notre production moins cher et reporter une plus grande marge sur le consommateur, qui est aussi contribuable et donc qui finance ces mêmes paiements directs. Ce système est devenu à notre avis un tour de passe-passe financier. Il avait été créé pour aider les consommateurs à consommer aussi local et de saison que possible. Mais ce système a été dévoyé. Avec des prix à la production 20% supérieurs, on pourrait couvrir nos frais de production et moins dépendre de ces aides. Et le revenu moyen de l’agriculture ne stagnerait pas à ces malheureux 17 francs de l’heure.
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- C’est perçu comme une récompense un peu humiliante, ces paiements directs?
- Oui, un peu. Certains agriculteurs regrettent d’ailleurs d’avoir adapté leur production en fonction des paiements directs.
- Et si les 150 000 derniers travailleuses et travailleurs de l’agriculture suisse unissaient leurs efforts pour créer, avec de l’aide, leur chaîne de magasins?
- Ah, oui, pourquoi pas, mais ce défi logistique face aux géants existants est énorme. Cela dit, nous évoquons ce type de scénario, mais en se contentant dʼune ampleur bien plus modeste. Il y a par exemple des applications pour smartphones qui permettent de savoir quelle ferme vend quoi.
- Vous êtes inquiets de la diminution constante des travailleurs actifs dans l’agriculture?
- Oui, car moins on sera, moins on sera en contact avec les consommateurs. C’est le scénario idéal pour l’Union européenne qui veut, au fond, des industriels de l’alimentation dès le stade de la production.
- Votre mouvement était indépendant des associations et syndicats paysans. C’est un signe de défiance envers ces organismes?
- Ils font du bon travail, mais ils peinent à améliorer vraiment les choses. On a le sentiment qu’ils sont déjà satisfaits quand la situation n’empire pas. Nous avons besoin d’un comité suisse plus indépendant, notamment de l’industrie alimentaire.
- Quelle est l’histoire paysanne de votre famille?
- Mon père était agriculteur et avait un domaine en location. Mais il l’a perdu, car le bail n’a pas été reconduit. Nous avons donc dû déménager de Biolley-Orjullaz à Bavois et mes parents ont racheté la petite ferme où travaille ma mère, principalement avec une pension pour chevaux. Mais mon père a toujours travaillé à côté comme chauffeur.
- Votre rêve professionnel une fois passé votre brevet fédéral?
- Idéalement reprendre le domaine de mes parents et l’agrandir aux alentours de 30 hectares pour avoir des vaches allaitantes en plus des cultures, car j’aime beaucoup les bovins. Acheter un tel domaine, si vous ne reprenez pas une exploitation familiale, c’est quasiment impossible à moins d’être millionnaire. C’est regrettable, car il y a plus de vocations que jamais pour le métier et la moyenne d’âge des patrons d’exploitation est de 50 ans. Il faudrait là encore faciliter la relève au lieu de laisser les domaines disparaître au profit de la concentration.