L’affaire était pliée ce 19 janvier dernier, dans la première des deux descentes du Hahnenkamm. Les people et autres VIP avaient déserté leur tribune, des milliers de spectateurs s’étaient déjà réfugiés dans les gargotes alentour et le Français Cyprien Sarrazin, accompagné par son dauphin italien Florian Schieder et de notre «Odi» national, Marco Odermatt, «seulement» troisième, n’attendait que le signal du chef du protocole pour sauter sur le podium, ultime image avant que les commentateurs ne rendent l’antenne. Quatre «gladiateurs» devaient certes encore plonger dans l’effrayant toboggan autrichien, mais aucun ne semblait en mesure de contrarier ce rituel de fin de course. Dossard 53 sur 57 partants, le surprenant Valaisan Arnaud Boisset, qui s’élançait pour la première fois sur le tracé, avait bien ravivé le suspense en signant le meilleur temps sur le haut du parcours mais, poissard, il avait été stoppé net dans son envolée par le drapeau jaune, une bâche publicitaire menaçant de se balader sur la piste. Un coup du sort qui briserait son bel élan pensait-on, le malchanceux, contraint par le règlement de repartir avant le dernier concurrent, devant être ramené en urgence au départ par hélicoptère.
C’était mal connaître sa volonté et sa ténacité. Une demi-heure de stress et un violent 360° aérien plus tard, l’athlétique champion d’Europe de super-G (185 cm/95 kg) réussissait en effet l’exploit de répéter sa performance pratiquement au centième près. «J’étais au top physiquement et en pleine confiance. J’avais l’impression que rien n’avait d’emprise sur moi», raconte-t-il avec quinze jours de recul, entre deux gorgées de jus de fruit, ses yeux bleus écarquillés.
L’hommage d’«Odi» et de Sarrazin
Son chrono s’arrêtera finalement 1’’11 après celui de Sarrazin et 77 centièmes après celui du Nidwaldien. Malgré l’adversité, Arnaud Boisset venait ni plus ni moins de claquer son premier top 10 en Coupe du monde après seulement quatre descentes à ce niveau, et de faire passer un gros frisson dans le dos du leader français et de ses compères. «Tu m’as fait trembler jusqu’au bout», m’a glissé Cyprien alors qu’en me serrant dans ses bras Odermatt m’a dit avoir été séduit par mon passage dans le mur et qu’il voulait en faire de même lors de la deuxième descente. Je n’oublierai jamais ces incroyables moments d’émotion», sourit le neuvième du classement, la tête encore dans les étoiles.
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Le lendemain, flanqué du dossard 51, Boisset ne renouvellera pas l’exploit (20e à 2’’32 de Sarrazin, double vainqueur de l’épreuve, et à 1’’40 d’«Odi»). Encore que... En intégrant coup sur coup le top 30 sur la piste la plus impitoyable du monde, le Martignerain a fait sensation. Mieux, une semaine plus tard, à Garmisch et en super-G cette fois, il frappera au moins aussi fort en accrochant un douzième rang à 65 centièmes du vainqueur, puis un septième à moins d’une seconde du graal. «Des résultats fantastiques qui vont bien au-delà de ce qu’on attend d’un skieur qui ne connaît pas les pistes de la Coupe du monde», s’enthousiasme Patrice Morisod, ex-entraîneur au long cours de Swiss-Ski et de l’équipe de France, avant de prédire: «Quand il aura acquis de l’expérience, Arnaud aura les portes du succès grandes ouvertes. C’est un garçon posé, réfléchi, qui a une grande confiance en ses moyens. Avec Franjo von Allmen, Alexis Monney, Marco Kohler ou encore Lars Rösti, il fait partie de nos grands espoirs dans les disciplines de vitesse.»
«J’en ai marre de la salle d’attente!»
Un éloge dithyrambique partagé par Franz Heinzer, l’entraîneur du Valaisan depuis quatre ans au sein de Swiss-Ski. «Je suis épaté. Je ne pensais pas qu’il irait aussi loin aussi vite. Arnaud a montré qu’il était capable de se surpasser lors des grands rendez-vous, de skier parfois à la limite», confie l’ex-descendeur aux 15 victoires en Coupe du monde et aux trois globes de cristal de la discipline. Ce, même s’il reste un peu gêné aux entournures lorsqu’on lui demande si, à l’aune de ces débuts fracassants, Swiss-Ski n’a pas trop tardé à lancer ce grand espoir romand dans le grand bain de la catégorie reine. Allusion à certaines surprenantes non-sélections d’Arnaud Boisset alors qu’il réussissait pourtant des chronos censés le qualifier dans le huit de départ, comme à Wengen, en 2021 déjà, évincé après avoir signé l’un des meilleurs temps du team aux entraînements. «Il a de nombreuses années devant lui s’il reste en bonne santé», détourne le Schwytzois. «Laissons-lui le temps d’éclore. Il doit encore progresser dans les passages de glisse pure. Pour l’instant, il réussit déjà beaucoup», poursuit-il en reconnaissant que son protégé préfère les pistes difficiles de la Coupe du monde à celles de la Coupe d’Europe.
Un constat que martèle l’intéressé depuis plusieurs saisons. «La Coupe d’Europe est une étape nécessaire pour se mesurer à l’opposition et pour progresser. Mais il ne faut pas s’y éterniser, car les conditions sont très différentes de la Coupe du monde. En descente, les pistes se dévalent en 1 minute 10, à 90 km/h de moyenne, alors que dans l’élite nous sommes à plus de 2 minutes et à 110 km/h de moyenne», détaille celui qui s’est ménagé une place fixe en super-G grâce à son titre européen mais confesse sa lassitude de ce circuit B en descente. «J’en ai marre de cette salle d’attente dans laquelle je suis enfermé depuis quatre ans. Aujourd’hui, je me sens beaucoup plus à l’aise en Coupe du monde. De toute façon, dépasser dix podiums en Coupe d’Europe devient contre-productif.»
«Le ski est toute ma vie»
Patient mais «non troppo» en somme. «Depuis mes 18 ans, le ski est toute ma vie. Je me suis toujours dit qu’accrocher un podium de Coupe du monde à l’âge de 27 ans serait parfait. Je ne m’affole pas, donc. La saison d’avant, il n’y avait que cinq athlètes de moins de 30 ans dans le top 30 des disciplines de vitesse», relève l’Octodurien, 140 points FIS au compteur, revenu d’une grave blessure en 2020 (rupture du ligament croisé antérieur du genou gauche), puis d’une fracture de l’humérus du bras gauche deux ans plus tard.
Autant d’épreuves qui, ajoutées à celle, plus douloureuse encore, de la perte de son papa l’année dernière, l’ont rendu plus fort et plus déterminé que jamais. Reste toutefois une dernière étape, pour ne pas dire un dernier obstacle, à franchir: convaincre les sélectionneurs de Swiss-Ski qu’il monte actuellement encore plus vite qu’il ne descend. Une ultime épreuve qu’Arnaud Boisset espère bien remporter cette semaine sur les pistes de Kvitfjell, en Norvège, avant les courses d’Aspen (Etats-Unis) début mars et les finales de Saalbach dans la foulée. Tout un programme...