La première fois que j’ai entendu son nom, c’était en 1986. Dans une bande-annonce de l’émission éco de la TSR, ce jeune journaliste jurassien free-lance, déjà connu pour sa participation à «La course autour du monde», affirmait avoir retrouvé la trace d’André Plumey, fameux escroc jurassien en cavale. Scoop! Par déduction, il l’avait repéré au Paraguay. En raisonnant, il en avait conclu qu’il ne pouvait être que dans ce pays, sans traité d’extradition avec la Suisse. Typique de la méthode Bédat: il écoute son flair, se rend sur place et, neuf fois sur dix, fait mouche!
Même approche, en 1999, lorsqu’il se met en tête de retrouver d’autres coquins en cavale, au Brésil cette fois: les ravisseurs de Stéphane Lagonico, un jeune nanti enlevé contre rançon par des proches. «Je sais où ils sont, ils sont quelque part par là...» me lançait-il, frondeur, en jetant sur la table les cartes de visite d’une série de night-clubs de Copacabana. Bingo! Billet d’avion en poche, il retrouvera leur trace dans plusieurs de ces établissements. Du grand art.
OTS, la piste canadienne
Mais c’est sans doute dans l’affaire de l’Ordre du Temple solaire (OTS), cette secte devenue tristement célèbre à la suite de ses suicides collectifs, à Cheiry (FR) et à Salvan (VS) notamment, que Bédat a surclassé l’ensemble de ses confrères. Alors que tout le monde enquête en Suisse romande, il décide de partir pour le Canada, où un petit groupe de disciples de l’OTS avait aussi décidé d’en finir. Grâce à son talent de charmeur, il convainc un policier de lui remettre toutes les photos de la secte, retrouvées sur les lieux du drame. Un incroyable trésor de guerre qui fera la couverture de plusieurs éditions de «L’illustré». Signé Arnaud! Il se passionnera tant pour cette affaire qu’il en tirera un livre*, corédigé avec ses fidèles complices Gilles Bouleau et Bernard Nicolas, grands reporters à TF1.
Et, bien sûr, on ne peut pas raconter Arnaud Bédat sans évoquer le pape François, pour lequel il s’est pris d’une affection sincère, sans véritable fondement religieux. Son intérêt pour le Vatican est né d’un fait divers, comme toujours avec Arnaud: le meurtre du garde suisse Cédric Tornay, en 1998, resté inexpliqué. Cette enquête au long cours le conduira plusieurs fois à Rome, où il finira par avoir ses entrées. Ainsi, lorsque le pape François est élu, il décide de s’envoler pour l’Argentine avec pour projet de raconter l’homme en partant à la rencontre de son entourage, en journaliste. Le livre* inspiré de ce reportage inédit sera traduit en plusieurs langues.
S’éloignant de la presse, devenue moins friande de ces faits divers pourtant si éclairants sur l’état de notre société, le Jurassien se tourne résolument vers l’écriture de livres et participe au tournage de séries TV consacrées à des faits divers marquants. Son personnage à la Tintin, sa faconde, son art de la narration n’échappent pas aux producteurs parisiens, qui se l’arrachent.
Un second ouvrage sur le pape et une étonnante biographie de Jacques Brel raconté par son pilote valaisan connaîtront ainsi un joli succès en librairie*.
Avec la disparition de notre cher Arnaud à 58 ans, c’est une brillante page du journalisme romand qui se tourne. Chasseur, séducteur, audacieux, un rien voyou (au sens affectueux du terme), maître du récit: il appartenait à cette race de journalistes qui firent les grandes heures de notre magazine.
Nous lui en resterons éternellement reconnaissants et partageons notre tristesse avec Oona, sa chère fille, ainsi qu’avec toute sa famille.
* Bibliographie:
«L’Ordre du Temple solaire – Les secrets d’une manipulation» (2000), Ed. Flammarion
«François l’Argentin – Le pape intime, raconté par ses proches» (2014), Ed. Pygmalion
«François, seul contre tous – Enquête sur un pape en danger» (2017), Ed. Flammarion
«Voir un ami voler – Les dernières années de Jacques Brel», avec Jean Liardon (2018), Ed. Plon.