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Immobilier

Arnaques immobilières: «Le système favorise et protège les escrocs!»

Le boom de l’immobilier attire son lot de promoteurs et d’entrepreneurs autoproclamés qui n’ont ni les moyens ni les compétences pour mener à bien des chantiers d’importance. Pratiquement sans défense, leurs victimes, le plus souvent de jeunes familles, voient leur rêve et même parfois leur vie brisés. Cri d’alarme et conseils pour déjouer les pièges de ces bâtisseurs de ruines.

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La Valaisanne Marie-Hélène Rey et le conseiller national Benjamin Roduit.

Flouée par un entrepreneur qui lui a fait perdre 45'000 francs, la Valaisanne Marie-Hélène Rey mène croisade pour inciter le parlement fédéral à durcir la législation en matière de construction et de faillite. Un combat porté sous la Coupole par le conseiller national Benjamin Roduit, auteur d’une interpellation intitulée «Mettre fin aux faillites à répétition». Mais six ans après l’avoir déposée et malgré un large soutien des deux Chambres, son initiative est encore loin d’aboutir. Saisi à Baar-Nendaz, devant une construction abandonnée par son entrepreneur, le duo s’est juré de ne rien lâcher.

Louis Dasselborne

Vingt et un! C’est le nombre de témoignages spontanés qui nous sont parvenus du Valais et de la Broye fribourgeoise depuis que nous avons dénoncé il y a un peu plus d’un mois, dans nos colonnes, un duo d’entrepreneurs véreux sévissant dans le Valais central.

Vingt et une familles, en grande majorité de trentenaires avec des enfants en bas âge, qui se sont retrouvées du jour au lendemain dans la précarité et une terrible détresse morale à cause de promoteurs ou d’entrepreneurs autoproclamés qui leur avaient promis monts et merveilles, précisément de réaliser pour elles la maison de leurs rêves. Des châteaux en Espagne en réalité, que ces escrocs sans le moindre scrupule abandonnent en cours de construction en déposant le bilan de leur société, non sans avoir ponctionné plusieurs acomptes à leurs clients et profité des crédits que les banques leur ont généreusement accordés.

«Leur mode opératoire est simple: ils attirent le chaland avec force plans et photos de belles bâtisses qu’ils construisent, disent-ils, à des prix plus que raisonnables, voire défiant toute concurrence», explique Nicolas Rufener, secrétaire général de la Fédération genevoise des métiers du bâtiment et directeur de Constructionromande, une faîtière de la branche qui rassemble une quinzaine d’associations cantonales regroupant près de 10 000 entreprises et 85 000 employés.

Qui gagne perd...


A l’heure où il devient de plus en plus difficile pour de jeunes parents de réunir les 20 à 25% de fonds propres exigés par les banques pour se voir accorder un crédit, l’offre est alléchante. Pour pouvoir en profiter, ils investissent le plus souvent leur deuxième et leur troisième piliers. Confiants et sous le charme des boniments de personnes qui ne sont pas à un mensonge près, ils signent ensuite avec ces dernières un contrat d’entreprise générale par lequel ils leur confient le mandat total. Un choix avantageux lorsqu’on travaille avec une entreprise compétente et honnête, mais qui s’avère souvent fatal quand on a affaire à des escrocs.

Faute d’autre toit, ces deux familles de Prévondavaux (FR) trompées par leur constructeur ont été contraintes d’emménager dans ce lotissement encore en plein chantier.

Faute d’autre toit, ces deux familles de Prévondavaux (FR) trompées par leur constructeur ont été contraintes d’emménager dans ce lotissement encore en plein chantier. De gauche à droite: Aurore, Nicolas et leurs enfants Iris (6 ans) et Valentin (5 ans); Samuel, Aurélie et leur fils Aloïs (4 ans).

DR

Marie-Hélène Rey en sait quelque chose, elle qui s’est battue de toutes ses forces mais en vain durant huit ans, après avoir payé 30'000 francs à une entreprise pour la construction d’une terrasse à laquelle elle ne pouvait pas accéder. «Sur la base d’un rapport d’expert neutre concluant que la terrasse était dangereuse et qu’elle devait être démolie, le tribunal a fini par nous donner raison. Le hic, c’est que ce verdict n’était en fait que symbolique et qu’à partir de là il fallait intenter un procès à la société en question. Qui avait déposé le bilan dans l’intervalle. Autant dire que nous avons laissé tomber, après avoir payé 16'000 francs de frais de justice», confie celle dont le cas avait fait l’objet d’un sujet de l’émission «A bon entendeur» sur la RTS et qui se bat depuis sans relâche pour sensibiliser et faire réagir le monde politique afin qu’il renforce les dispositions légales pour empêcher autant que faire se peut les escrocs de sévir et mieux protéger le maître d’ouvrage.

 

«Tous complices!» 


«On a l’impression de prêcher dans le désert, se désole Nicolas Rufener. La Suisse, en particulier alémanique, a une vision à ce point libérale en la matière qu’il est très, très difficile de bouger les lignes. Tout se passe comme si une partie du parlement fédéral croyait qu’une main invisible va régler les problèmes et neutraliser les brebis galeuses. Ce n’est pas le cas, bien sûr. Pire, même le Tribunal fédéral a fini par vider la loi sur les faillites et celle sur la concurrence déloyale de toute leur substance. Une situation qui favorise et protège les escrocs, malheureusement.» Le Genevois pense percevoir la raison, sournoise voire scandaleuse, qui explique ce laxisme ambiant. «Sachant qu’au bout de la chaîne il y a un pigeon qui a endossé tous les risques en signant son contrat et qui devra forcément passer à la caisse, je soupçonne une sorte de complicité implicite et tacite entre les promoteurs, les notaires et les banques. Dans certains cas, nous sommes montés jusqu’à l’ombudsman de la Confédération qui nous a répondu, en substance: «Circulez, y a rien à voir!» lâche le boss de Constructionromande, en citant un autre exemple très emblématique de la situation. «Un jour que j’ai rencontré la responsable des crédits d’une grande banque pour lui faire part des pratiques douteuses d’un entrepreneur à qui elle accordait des crédits, je lui ai demandé à la fin de notre discussion si elle-même achèterait une villa ou un appartement à ce monsieur. Elle m’a répondu spontanément: «Non, jamais de la vie!»

Case prison et exemple allemand 


Dans son incessante croisade auprès des médias et du monde politique, Marie-Hélène Rey multiplie pour sa part les propositions. Parmi elles, celle de poursuivre non pas les sociétés mais leurs propriétaires en cas de faillite douteuse. Une idée que partage sans autre Howard Rees, l’une des 12 victimes résidant à Seiry, dans la Broye. «C’est tellement facile aujourd’hui. Vingt mille francs de fonds propres suffisent pour créer une Sàrl, qui permet à ses détenteurs de brasser des millions par la suite. Et quand ça tourne mal, ils mettent la clé sous le paillasson et disparaissent des radars.» Et Nicolas Rufener, qui en a vu de toutes les couleurs du haut de sa double casquette, d’ajouter: «Les sommes en jeu sont si importantes que l’immobilier attire naturellement pas mal d’escrocs. Y compris des personnes condamnées à de la prison ferme qui ont recommencé à sévir sitôt libérées.»

Mais alors, comment faire stopper ces pratiques? Marie-Hélène Rey voit des solutions dans les pays voisins: «En Belgique, une personne prise en défaut ne peut pas créer une nouvelle société pour une période de dix ans. L’Allemagne fait encore mieux: dans ce pays, ce n’est pas au maître d’ouvrage de prouver qu’il y a des malfaçons ou que le contrat n’est pas respecté, mais au maître d’œuvre de démontrer que sa construction répond aux normes et qu’il a tenu ses engagements. Un tel renversement du fardeau de la preuve change tout.»

Marie-Hélène Rey s’érige depuis en porte-drapeau du combat contre les escrocs sévissant dans la construction. 

Grugée en 2006 lors de la construction de sa terrasse, Marie-Hélène Rey s’érige depuis en porte-drapeau du combat contre les escrocs sévissant dans la construction. 

Louis Dasselborne

Haro sur les «serial failliteurs» 


Mais pour le conseiller national valaisan Benjamin Roduit, «il faut veiller à ne pas surcharger les lois et les règlements, au risque de décourager les entreprises qui travaillent consciencieusement et honnêtement. Elles sont au moins 95% dans ce cas, qui bataillent déjà jour après jour pour trouver du personnel compétent en suffisance. Importer ce genre de modèle pourrait de surcroît bénéficier à des personnes malintentionnées, qui prétexteraient des manquements des entreprises pour ne pas les payer. Et je ne parle pas de l’explosion des procédures que cela engendrerait.»

Le politicien a préféré déposer une initiative parlementaire fédérale en 2021, dont l’objectif est de durcir la loi sur les faillites. «Aujourd’hui, les "serial failliteurs", comme on les appelle dans le milieu, ou les entrepreneurs qui utilisent des méthodes déloyales ou trompent délibérément leurs clients se jouent trop facilement de procédures civiles qui n’aboutissent jamais. L’initiative demande de pouvoir les poursuivre pénalement», explique l’élu du Centre.

Inertie fédérale 


Après l’acceptation des commissions des deux Chambres à une large majorité, la balle est maintenant dans le camp du Conseil fédéral et des services concernés, lesquels doivent préparer le texte définitif de la proposition ainsi que les messages qui l’accompagnent. «Devant la lenteur de l’Office fédéral, qui n’avait toujours pas mis le texte en consultation en décembre dernier, j’ai haussé le ton et demandé des explications à la Commission des affaires juridiques. Une piqûre de rappel qui devrait contribuer à accélérer le processus», espère le Bas-Valaisan, qui profite de la session actuelle pour battre le fer auprès de ses collègues.

Malgré son volontarisme, Benjamin Roduit, qui compte beaucoup sur les accords de branches pour isoler «les mauvais coucheurs», confesse que rien de concret n’aboutira cependant avant 2026. «Au mieux.» Quant au pire, comme disait Paul Claudel, il n’est jamais certain. Ce qui fait dire à Nicolas Rufener que les filous et les aigrefins ont sans doute encore, hélas, de beaux jours devant eux… 


10 conseils pour éviter de se faire piéger


Par Me Jean-Rodolphe Fiechter, avocat, spécialiste FSA du droit de la construction et de l’immobilier, associé de l’étude Kellerhals Carrard

  1. Avant toute chose, demander des références, discuter avec les acquéreurs de projets précédents, avec l’architecte. Ne pas se fier aveuglément aux beaux sites internet ou prospectus sur papier glacé.
  2. Se renseigner sur la solidité financière du promoteur en commandant un extrait du registre des poursuites directement à l’Office des poursuites, au guichet ou en ligne sur les sites officiels. Jamais par des intermédiaires ni par le promoteur lui-même. Les banques octroyant des prêts hypothécaires procèdent en général de même et établissent des listes noires.
  3. Pour savoir qui est derrière la société de promotion, vérifier auprès du Registre du commerce, sur le site officiel, zefix.ch.
  4. Libérer les fonds au gré de l’avancement du chantier. Prévoir le mécanisme avec le notaire et, cas échéant, l’architecte, qui pourra confirmer l’avancement convenu.
  5. Pour éviter les hypothèques légales, demander aux sous-traitants (s’il y en a) s’ils ont bien été payés avant de libérer les fonds en faveur de l’entreprise, ou même prévoir contractuellement la possibilité de payer directement les sous-traitants au lieu de l’entreprise. 
  6. Faire la connaissance des autres futurs propriétaires, se coordonner et avoir une stratégie commune face au promoteur.
  7. Etre vigilant pendant le chantier, venir régulièrement sur place pour constater le bon déroulement des travaux.
  8. Ne pas imaginer que la justice pénale pourra sauver la situation si les points susmentionnés n’ont pas été observés. Cela ne permettra pas de recouvrer les fonds, ni d’obtenir satisfaction.
  9. Info importante: à moins que les promoteurs indélicats n’aient commis des crimes ou délits (faux dans les titres, escroquerie, banqueroute frauduleuse, utilisation indue des prêts covid), ils ne seront pas poursuivis ni punis.
  10. Soumettre le contrat à un avocat de confiance. Il pourra vous conseiller et vous soutenir également en cas d’apparition de défauts dans l’exécution, défauts qui doivent faire l’objet d’un avis immédiat, sous peine de perdre tous les droits de garantie, et le contacter à temps.
Par Christian Rappaz publié le 12 juin 2024 - 10:00