Tout a commencé à la mi-octobre. Une petite phrase lâchée au détour d’un sujet de «Mise au point» sur la question sensible de l’abattage d’arbres, à Genève. «Le but, ce n’est pas de faire comme si chaque arbre était un être vivant.» Des mots qui en ont crispé plus d’un dans le camp écologiste. Dix jours plus tard, au lendemain de la vague verte aux élections fédérales, c’est sa promptitude à se positionner comme papable pour le Conseil fédéral qui a fait jaser. «C’est une question qui peut se poser. En tout cas, pour moi, elle se pose.» Puis c’est une pique adressée aux Valaisans qui a fait tiquer. «Au sein de la direction de la RTS, il n’y a pas beaucoup de Genevois. Je vois beaucoup de Valaisans, qui, eux, sont partout, comme toujours.»
Enfin, il y a dix jours, au cours de l’émission satirique «Les Beaux Parleurs» de la radio romande, ce sarcasme jugé sexiste au sujet d’une journaliste du Temps. «Elle est amoureuse de Pierre Maudet comme une jeune fille est amoureuse de Justin Bieber.»
Autant dire qu’en un mois, Antonio Hodgers (43 ans), dont l’épouse va accoucher d’un petit garçon dans quelques jours, a cristallisé les critiques et cumulé les polémiques. «Les maladresses», rectifie-t-il, en s’excusant auprès des personnes qui se sont senties attaquées ou blessées.
- En quatre semaines, cela fait tout de même beaucoup, non?
- Antonio Hodgers: Il y a eu des malentendus, des phrases sorties de leur contexte, des boutades certes un peu ironiques mais qui ne cherchaient pas à blesser, des propos maladroits de ma part, en effet. Mais pas que. Pour être à ce point en permanence sous le feu des critiques, je comprends aussi qu’il y a un mécanisme qui se met en place. Une partie des médias, des réseaux sociaux et de mes opposants qui focalise sur moi. Je suis l’homme à abattre à Genève, maintenant que je suis président. J’ai pris beaucoup de place, malgré moi, avec cette présidence qui m’est tombée dessus. Et, c’est vrai, je le reconnais, j’ai le sang chaud. J’ai eu des réactions directes, un peu frontales et j’ai peut-être blessé des gens. Si c’est le cas, je m’en excuse sincèrement auprès d’eux.
- Vous avez blessé des gens, c’est certain. Qui ne comprennent pas ces dérapages…
- Je réfute le terme «dérapages». J’exprime les choses comme je le pense, de manière un peu carrée parfois. Mais mon but n’a jamais été de blesser. Si le rédacteur en chef du Temps n’avait pas fait tout un pataquès autour de cette histoire des «Beaux Parleurs», personne ne parlerait de tout ça. Je suis un écologiste convaincu et je crois l’avoir démontré depuis vingt-cinq ans; voilà qu’on m’accuse de ne pas aimer la nature parce qu’il est nécessaire de couper des arbres pour construire des logements que des gens attendent depuis très longtemps. Je suis un féministe convaincu. J’ai été élevé par ma mère, qui est une résistante, une femme forte, autonome et Dieu sait si j’ai soutenu la vague #MeToo; malgré tout, on me fait passer pour un sexiste. On me qualifie d’anti-valaisan alors que j’ai plein d’amis originaires de ce canton, que j’adore et que j’admire pour leur faculté à être bien partout tout en restant très fiers de leurs origines. Cherchez l’erreur.
- N’êtes-vous pas en train de céder à la grande mode actuelle de qualifier de «fake news» ce qui vous déplaît, finalement?
- Pas du tout. J’ai des convictions affirmées et je les exprime. J’ai aussi une grande sensibilité à l’injustice et à la mauvaise foi. Ça ne plaît pas à tout le monde et, au final, ça se retourne contre moi. Ce qui me joue des tours, c’est une trop grande proximité, un excès de confiance dans mes interlocuteurs. J’oublie parfois que Genève, c’est déjà un peu la France. Ça tire et ça matraque tout le temps. Je suis constamment sous le feu de la critique et c’est dur. Dans l’affaire des arbres, par exemple, ma langue a fourché entre «être vivant» et «être humain». Je m’en suis excusé et expliqué dès le lendemain, ce qui n’a pas empêché la polémique d’enfler.
- Ce qui ne justifie pas vos propos dans «Les Beaux Parleurs»…
- Je me suis laissé emporter par l’ambiance potache et rigolote de l’émission. Mais je ne pensais pas à mal. C’était une sorte de réponse du berger à la bergère. Comme la journaliste a donné son opinion très personnelle et subjective sur moi, moi, je l’ai donnée sur elle sous la forme d’une boutade, dans le cadre d’une émission humoristique. Je me suis dit: «Un partout, balle au centre et on passe à autre chose.» Aujourd’hui, je me dis que ce sont les journalistes qui cèdent trop souvent au réflexe corporatiste. Les politiques sont des personnes publiques soumises en permanence à la critique, mais les journalistes le sont également et devraient à leur tour accepter de faire leur introspection lorsque la qualité n’est pas au rendez-vous.
- Vous auriez dit la même chose si cela avait été un homme?
- Bien sûr. Ma critique ne visait pas la femme mais la journaliste. Pour un homme, j’aurais peut-être dit une phrase du genre «il est amoureux de Maudet comme un ado fan de foot est amoureux de Messi», ou quelque chose de cet acabit. Mais je le répète, si cette journaliste s’est sentie blessée en tant que femme, je lui présente mes sincères excuses.
- Reste à savoir si un président de Conseil d’Etat a sa place dans une telle émission…
- Bonne question. Je crois que oui, que nous avons droit à l’humour et au deuxième degré. Les citoyens sont assez intelligents pour le comprendre. C’est ça, le postulat. Soit on reste politiquement correct et on n’y va pas, soit on postule qu’on peut avoir des sorties humoristiques. Dans cette émission, j’ai été caricaturé en Simplet de Blanche-Neige et je me suis marré.
- Vous n’avez pas accepté qu’elle vous qualifie de surfeur, opposé au marathonien Pierre Maudet, ce pote que vous avez trahi selon certains…
- Il n’y a aucune amitié brisée dans cette affaire. Pour être potes, il faut au moins avoir été une fois boire une bière ensemble, ce qui n’est jamais arrivé. Il n’y a pas de trahison non plus, mais une énorme déception engendrée par ses mensonges qui contribuent à alourdir le climat et ma tâche de président. Car il faut l’avouer, ce qu’on nomme «l’affaire Maudet» affaiblit le gouvernement genevois et c’est à moi de porter les conséquences et l’exposition médiatique de tout cela. C’est d’ailleurs mon poste de président qui m’expose aux attaques. Il n’y a pas de hasard.
- Vous n’êtes donc ni sexiste ni macho?
- Sexiste, macho, les mots sont posés. C’est comme homophobe, raciste. C’est la marque des bannis. Je suis hyper sensible aux questions de discrimination, mais ces attaques doivent être argumentées. Et, désolé, ici ce n’est pas le cas. Je ne suis pas sexiste mais un féministe assumé. Je ne suis pas macho non plus. Je n’ai pas ce mécanisme en moi. Sans doute parce que je n’ai pas eu de père, de grand-père, d’oncle ou de cousin. Je vais être père d’un petit garçon, c’est un enjeu particulier pour moi. N’ayant aucun homme dans ma famille, je n’ai pas de modèle. Je dois m’inventer comme père d’un garçon. J’espère lui donner l’exemple sur ce plan, notamment par mon engagement dans les tâches ménagères et domestiques.
- Vous avez une fille, issue d’un premier mariage. Quel rapport entretenez-vous avec elle?
- Oui, Luna, qui a 6 ans. Elle va super bien et attend son petit frère avec une grande impatience. Comme féministe, je m’investis fortement dans son éducation. J’essaie, comme tous les papas, d’être très présent, d’aller la chercher à l’école, de lui faire à manger, de lui donner le bain, de lui lire une histoire, de la mettre au lit.
- Revenons aux reproches récurrents qu’on vous adresse, si vous êtes d’accord. Celui d’être devenu un donneur de leçons vis-à-vis des médias, par exemple…
- C’est une réputation qu’on me fait depuis que je me suis permis une petite remarque lors de l’affaire des soi-disant fraudes électorales à Genève, annoncées avec grand fracas par les médias et qui n’est pas à leur gloire, puisque le procureur général a totalement évacué ce soupçon trois jours plus tard. Je vous rappelle que la radio romande affirmait détenir des preuves des falsifications de scrutins. C’est grave, comme accusation. Et la rédaction n’a même pas pris la peine de s’excuser.
- On dit que le pouvoir vous a changé. Vous n’êtes plus le jeune écolo sympa et charismatique que l’on a connu dans les années 1990…
- Encore heureux que je ne sois pas le même à 43 ans qu’à 20! Cela étant, il est clair que la fonction me donne une image plus institutionnelle. Je ne peux pas être à la fois le président d’un canton de 500 000 habitants et le petit gars sympa de Meyrin à la tête du parlement des jeunes. J’ai pourtant l’impression de rester accessible. Je réponds à tous les e-mails, à toutes les sollicitations sur les réseaux sociaux, pour autant qu’elles soient respectueuses.
- Vous recevez beaucoup d’insultes?
- Pas mal, oui. Jamais un mois ne se passe sans une attaque raciste ou xénophobe sur mes origines argentines. C’est d’une grande violence. J’essaie de résister pour garder une certaine sincérité dans le propos, ne pas devenir un politicien distant, lisse, fade, barricadé derrière son service de communication.
- Avouez au moins que les gens peuvent percevoir de l’opportunisme quand vous vous présentez spontanément comme candidat au Conseil fédéral au lendemain d’élections auxquelles vous n’avez pas participé…
- Soyons clairs sur la séquence. Le parti suisse m’a sollicité. J’ai répondu que je laissais la porte entrouverte mais que, en raison de la vague féminine des fédérales, il devait à tout prix privilégier une candidature féminine. J’ai soutenu à fond le mouvement du 14 juin et je trouve sincèrement que, si candidat il doit y avoir, c’est une candidate qu’il faut. Cela me permettrait de pouponner sereinement.
- Il vous arrive de vouloir jeter l’éponge?
- Je n’ai jamais vu la politique comme un métier ou une carrière, jamais pensé qu’un jour je serais conseiller d’Etat et encore moins président. J’ai toujours eu le sentiment que mon engagement était une sorte de parenthèse dans ma vie. Depuis le parlement des jeunes, je me pose donc tous les trois mois la question de savoir si je continue ou pas. Aujourd’hui, je ne peux pas dire que j’ai des regrets, mais je ne peux pas non plus affirmer que je le referais. En même temps, mes combats donnent beaucoup de sens à ma fonction. Mais si on me disait «demain, c’est fini», je crois que je passerais vite à autre chose…
à savoir sur Antonio Hodgers
8 mai 1976: alors que sévit la dictature militaire, disparition, en Argentine,
de son père, Héctor Fernández Baños, à l’âge de 32 ans.
Novembre 1981: arrivée en Suisse avec sa mère et sa sœur, après avoir transité par le Mexique et l’Italie. Demande d’asile en Suisse.
2 octobre 2013: naissance de son premier enfant, Luna, sa fille.