- Le premier épisode de «Crimes suisses» a été diffusé le 5 janvier 2024. A quel moment avez-vous commencé à travailler sur ce podcast?
- Antoine Droux: Début 2023, je savais que «Médialogues» (son ancienne émission diffusée sur La Première sur le fonctionnement des médias, ndlr) allait s’arrêter et je me suis posé la question de mon futur. Ça faisait un petit moment que l’idée de faire du récit me trottait dans la tête. Et il se trouve qu’au même moment la RTS voulait faire un podcast sur des affaires criminelles. Une fois le projet validé, on a commencé à produire les épisodes en octobre 2023.
- Quels sont vos critères pour choisir les faits divers?
- Premièrement, il faut que ce soit une affaire criminelle s’étant déroulée en Suisse, puisque le podcast s’appelle «Crimes suisses». Ensuite, il faut que ce soit une histoire terminée, avec un début, un milieu et une fin. Ça peut aussi être comme dans le crime de Maracon (épisode 10, ndlr), où il y a prescription. Je travaille en ce moment sur le crime de l’absinthe, qui s’est déroulé en 1905 à Commugny. C’est un meurtre qui a débouché sur l’interdiction constitutionnelle de l’absinthe en Suisse. Il faut qu’on puisse tirer un fil, ça n’aurait aucun sens d’enchaîner les faits divers comme des noix sur un bâton. Ce qu’on veut, c’est raconter le pays, les époques, les populations, la société suisse à travers ces crimes.
- Chaque épisode se termine par une interview. Comment choisissez-vous ces intervenants?
- Alors ça, c’est la magie de ce métier. Il faut trouver quelqu’un qui a envie d’analyser un crime sur lequel il n’a pas forcément travaillé. Ça donne une réflexion supplémentaire et ça permet d’être plus libre pour parler. Pour l’épisode sur l’infirmier de la mort en Suisse centrale (épisode 13, ndlr), je trouvais intéressant d’avoir Vincent Barras, un historien de la médecine, qui parle de cette figure de l’infirmier de la mort et de ce grand questionnement de la médecine: c’est quoi, soigner, quand les gens souffrent et sont atteints d’une maladie incurable?
- Combien de temps faut-il pour produire un épisode, depuis le choix du sujet jusqu’au moment où il est prêt à être diffusé?
- J’ai six jours de travail par épisode et ça comprend de lire la doc, établir une «timeline» précise des faits, écrire le texte, trouver un invité, préparer l’interview, dire le texte, faire l’interview, monter l’interview, faire la réécoute et les dernières modifications. Et puis, à côté de ça, il y a un réalisateur qui a trois jours pour enregistrer et faire le montage. Toute la documentation et les archives sont présélectionnées par un documentaliste. Donc, en tout, c’est à peu près dix jours de travail par épisode au total.
- Quelles sont les étapes de ce travail?
- Tout d’abord, il faut sélectionner les crimes. C’est ce que j’ai fait cet été: je me suis plongé dans les affaires criminelles et c’était très glauque. Je cherche un équilibre entre les régions et les époques. Une fois que ce planning-là est établi, je le donne au documentaliste. Et, un beau jour, je reçois un PDF d’environ 80 pages. Je lis tout ça et je complète. Je vais aussi dans nos archives à la RTS. Mon brouillon est fait d’extraits de journaux, de liens vers des archives, de «screenshots» de mon écran sur des photos que je vais décrire. Pour construire mon récit, je découpe chaque histoire en cinq actes de huit scènes. J’utilise cette méthode parce que j’ai tellement d’infos que si je me lance sans mon canevas de base, je vais me perdre. Lorsqu’on passe au studio, ça prend du temps. Pour vingt-cinq à trente minutes de voix seule, on fait généralement trois à quatre heures de prise de son.
- Comment faites-vous pour ne pas vous laisser envahir par des histoires aussi terribles?
- C’est une question qui m’a beaucoup travaillé parce que, au début, je ne cache pas que je me suis laissé un peu déborder par l’horreur. Et c’était compliqué. Je me suis posé beaucoup de questions, j’en ai beaucoup parlé. Et en fait, c’est la même chose que quand un correspondant de guerre va sur un terrain de guerre. C’est la même chose quand on fait un flash et qu’on raconte un attentat qui a fait des centaines de morts à l’autre bout du monde. Ce sont des choses qui sont touchantes, qu’il faut qu’on comprenne, qu’il faut qu’on dise, parce que c’est important, parce que c’est notre métier. Puis, en même temps, on est obligé d’avoir une distance professionnelle. J’ai trouvé une solution relativement simple, c’est d’appliquer cette distance journalistique pour pouvoir travailler ces événements.
- Dans l’épisode 8, qui raconte le crime commis par le dépeceur d’Onex, un avertissement est énoncé concernant l’horreur de la situation. Comment décidez-vous d’instaurer ce genre d’avertissement?
- En voyant cette affaire, on s’est dit qu’il fallait dire quelque chose. On se retrouvait face à ces trucs... C’est tellement atroce, cette histoire, l’acharnement sur cette pauvre femme, c’est tellement abject. Il fallait absolument qu’on donne un avertissement. C’est difficile de mettre une échelle. Il y a le temps qui atténue l’horreur, mais ça reste délicat. Comme le crime de Commugny, par exemple. Pour moi, c’était le crime de l’absinthe: un homme ivre qui a tué trois personnes. Après cent vingt ans, c’est devenu un fait divers. Mais quand on fait la «timeline», on se rend compte que le type a chargé son fusil devant ses victimes. Il a tué sa femme enceinte, a rechargé son fusil à la main, a tué sa fille, a rechargé son fusil à nouveau et a tué sa deuxième fille. Il faut que je le dise, il faut que je le raconte pour qu’on prenne conscience de l’émotion qui a saisi toute une population jusqu’au niveau national. Et on comprend mieux pourquoi ce fait divers a eu un tel impact dans tout le pays pendant presque un siècle. C’est éminemment humain, comme le sont toutes ces histoires.
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