Il faut reconnaître une qualité à notre époque: il est impossible de s’ennuyer. Prenons par exemple, avec un brin de cynisme, les raisons d’angoisser face à l’avenir. Elles n’ont jamais été aussi nombreuses: réchauffement climatique, effondrement de la biodiversité, épuisement des ressources, retour des guerres de haute intensité et du risque d’affrontement nucléaire, irruption non maîtrisée de l’intelligence artificielle, pour ne citer que les plus médiatisées. Mais on pourrait aussi mentionner l’antibiorésistance, qui menace l’humanité d’une impasse thérapeutique tragique.
L’invention et le développement des antibiotiques ont révolutionné la santé publique. Ces molécules qui épaulent notre système immunitaire face aux infections bactériennes dangereuses ont sauvé des centaines de millions de vies depuis 1941, année où la première d’entre elles, la pénicilline, a commencé à être administrée à large échelle. Pour la première fois dans l’histoire, diphtérie, scarlatine, septicémie ou encore pneumonie devenaient des maladies sinon bénignes, du moins contrôlables. Un miracle de la science pure et dure, du génie et de l’opiniâtreté de chercheurs passionnés préférant s’enfermer dans le capharnaüm de leur laboratoire plutôt que de jouer au golf avec ceux qui commercialiseront plus tard leurs découvertes.
Le problème, c’est que la sagesse reste confinée dans ces mêmes laboratoires. L’inventeur de la pénicilline lui-même, Alexander Fleming, avait pourtant très tôt mis en garde l’humanité contre un usage irréfléchi des antibiotiques. En vain: on a administré à la louche ces molécules, non seulement aux humains mais aussi aux animaux d’élevage. Ces mêmes molécules se sont disséminées dans la nature, créant un environnement favorable à l’apparition de germes résistants et dangereux pour la santé. A quand un antibiotique contre le germe de l’irresponsabilité?
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