Les temps sont à la fois fastes et durs pour les professionnels du vélo électrique. La demande demeure élevée, même si on est loin de la ruée de 2020, quand l’oisiveté forcée de la pandémie de covid avait converti des foules à la bicyclette, avec ou sans assistance électrique. Cette période de fermeture provisoire d’usines en Chine avait créé une pénurie de produits et de pièces et donc une frénésie de commandes. Cette foire d’empoigne a finalement débouché sur des excédents désormais bradés à prix cassés. Les très grands distributeurs arrivent à s’en sortir avec des marges infimes grâce à leur volume. Les petits magasins souffrent.
Mais qu’en est-il des fabricants? Plus précisément des fabricants suisses, puisqu’il existe de nombreuses marques helvétiques. Parmi elles, une marque haut de gamme genevoise, Miloo, créée il y a six ans à Meyrin (GE) par Anna Bory et son associé, rencontré en Chine, Daniel van den Berg. Après avoir goûté aux délices des embouteillages des grandes villes asiatiques, ces deux créatifs décident de proposer une réponse chic et choc en Suisse avec la création d’un vélo électrique parfait. Le Classy Beast aux pneus si costauds qu’ils défient les sournois rails de tram a été suivi de cinq autres modèles. La gamme Miloo (de 3500 à plus de 10'000 francs) est désormais complète grâce aux deux petits derniers: l’Adventure, une merveille (25 ou 45 km/h) de légèreté, avec Marco Odermatt comme ambassadeur, et un modèle 25 ou 45 km/h, fabriqué en collaboration avec Nespresso, à partir, en partie du moins, de l’aluminium recyclé des fameuses capsules de café.
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- Au fond, c’est quoi un vélo électrique pour vous qui en fabriquez depuis six ans?
- Anna Bory: Refaisons un peu d’histoire: le vélo a été inventé pour être un mode de transport. Mais quand la voiture est arrivée, le vélo est devenu de plus en plus un loisir. Au fond, c’est un peu le même destin que celui du cheval. Mais il y a une vingtaine d’années, le vélo électrique a commencé gentiment à se populariser. Au début, cet engin était considéré comme un vélo de loisirs adapté pour les seniors, mais les gens ont compris que, en fait, c’était aussi un moyen de transport à part entière. Donc le vélo électrique, le VAE, pour moi, c’est un moyen de transport, mais qui peut aussi être utilisé pour les loisirs.
- Et qu’est-ce qui vous a convaincue d’en fabriquer et de lancer Miloo alors que la concurrence suisse et étrangère était déjà féroce en 2018?
- Je revenais d’Asie où j’avais travaillé dans l’automobile. J’arrive à Genève et je constate que le trafic est aussi problématique qu’à Pékin et ses 26 millions d’habitants. Avec mon associé, nous nous sommes dit qu’il y avait un vrai problème, tout en constatant aussi que les vélos n’étaient pas vraiment adaptés à la réalité du trafic. Il fallait, par exemple, des clignotants et aussi un petit «boost» pour faciliter le démarrage. Il fallait un vélo électrique vraiment adapté au trafic urbain et périurbain souvent difficile.
- En fait, vous vous êtes, avec votre associé, efforcée d’imaginer un vrai vélo électrique de transport et non plus une bicyclette de loisirs électrifiée?
- C’est exactement ça. Même si nos modèles peuvent aussi être utilisés pour le loisir, nous avons cherché à produire des vélos aussi sûrs et aussi pratiques que possible en prenant en compte tous les paramètres routiers, afin de révolutionner la mobilité pendulaire.
- Comme vivez-vous la crise actuelle du marché du vélo électrique avec ses excédents de stocks synonymes de prix cassés et de marge réduite?
- Cette crise devrait se terminer en 2025. Les magasins ont encore trop de stock et 2024 restera comme une année difficile pour les professionnels. Mais ces stocks vont se résorber, car ce n’est pas la demande qui baisse. Le problème, c’est que, pour diverses raisons, il y a eu une production excessive d’unités au sortir de la période covid.
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- Votre marque Miloo propose un monde parallèle avec ses propres magasins à Genève, Lausanne, Zurich, Berne. Sans parler de vos ambassadeurs illustres, Mike Horn et maintenant Marco Odermatt. Il faut se singulariser pour faire sa place dans cette multitude de marques?
- Nous essayons d’une part d’être aussi proches que possible de nos clients en leur proposant une expérience très différente de celle d’un revendeur qui a une vingtaine de vélos différents. Nous assurons aussi un service après-vente impeccable. Et depuis cette année, notre gamme, grâce aux deux nouveaux modèles, est complète. En fait, nous sommes assez forts pour créer des produits émotionnels.
- Le risque que des grands noms comme Apple ou Tesla lancent leur propre gamme de vélos et écrasent les innombrables petits pionniers comme vous existe-t-il?
- Range Rover, Porsche, Audi ont tous lancé leur vélo électrique et ça n’a jamais marché. Apple parle depuis longtemps de sa voiture autonome qu’on attend toujours. Je crois que le principe «chacun sa spécialité» est valable aussi pour le vélo électrique. En fait, le scénario le plus plausible, c’est plutôt celui du rachat des petites marques de vélo par des grandes marques automobiles afin d’étoffer leur portfolio.
- Où vendez-vous vos vélos aujourd’hui?
- Pour l’instant en Suisse seulement. Cette année, nous sommes très fiers d’avoir vendu plus d’unités en Suisse alémanique qu’en Suisse romande. Cela dit, en Suisse alémanique, une personne sur quatre a un vélo. En Romandie, ce taux est bien plus faible. Nous continuons à nous concentrer sur le marché suisse pour l’instant.
- Et ce nom, Miloo, ça vient d’où?
- De notre «tagline», notre slogan, «To go the extra mile», c’est-à-dire «Faire un effort supplémentaire». Le mot «mile» est connecté à deux roues de vélo et ça donne Miloo.