Une poétesse en première page du prestigieux magazine Vogue, un tel prodige n’était jamais arrivé. Tant pis pour Poe ou T. S. Eliot, il a fallu qu’une jeune audacieuse de 22 ans récite avec ardeur son poème «The Hill We Climb» pour qu’elle accède à cet honneur. La circonstance exceptionnelle dans laquelle elle a parlé a aidé, bien sûr. Ce 20 janvier 2021, elle s’exprime lors de l’investiture de l’homme le plus puissant du monde, le président des Etats-Unis, Joe Biden. Peu après l’assaut honteux du Capitole, son texte parle d’espoir, de réconciliation, de guérison.
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Ensuite, sa biographie est racontée par les plus grands médias. Eprise de la romancière noire Toni Morrison, disparue en 2019, la jeune femme, qui se décrit elle-même comme «une fille noire maigre, descendante d’esclaves, élevée par une mère célibataire, qui peut rêver de devenir présidente», a d’abord enchaîné les concours locaux de poésie et a été sacrée en 2014 lauréate des jeunes poètes de Los Angeles, avant de remporter ce titre trois ans plus tard au niveau national, alors qu’elle étudie la sociologie à Harvard. Le déclic date de cette même année 2017: elle déclame son poème «In This Place: An American Lyric» pour ouvrir la saison littéraire de la Bibliothèque du Congrès, à Washington. La future First Lady Jill Biden la repère et la contacte. C’est elle qu’elle veut sur les marches du Capitole. D’autant que, tout comme Joe Biden, Amanda Gorman a souffert d’un problème d’élocution, ainsi que d’un trouble auditif.
On est en Amérique et rien n’est laissé au hasard. A l’investiture, la poétesse porte des vêtements de l’Italienne Miuccia Prada, connue pour ses combats féministes. Son long caban au jaune solaire devient illico mythique. Quant à ses boucles d’oreilles, elles lui ont été envoyées par la présentatrice Oprah Winfrey elle-même. L’histoire est en marche, les symboles en pagaille. Amanda Gorman s’inscrit dans le sillage des poétesses noires qui avaient pris la parole lors des cérémonies d’investiture de Bill Clinton en 1993 et de Barack Obama en 2009: Maya Angelou et Elizabeth Alexander.
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Puis tout s’emballe. Elle est interviewée par Michelle Obama, se produit au Super Bowl et signe un contrat avec IMG Models, qui représente Gigi et Bella Hadid. Ses deux livres deviennent des best-sellers. Dernier point d’orgue, cette présence dans le Vogue du mois de mai, photographiée par Annie Leibovitz, avec deux looks différents pour des couvertures alternées du magazine. Les propositions affluent, elle les sélectionne. A l’avenir, elle ne compte poursuivre des partenariats que s’ils s’alignent sur ses objectifs à long terme, comme se présenter à la présidence du pays en 2036, et s’ils ne symbolisent pas son identité noire. Elle ne veut pas être étouffée par son image: «Je ne veux pas que cela devienne une cage où, pour réussir en tant que fille noire, il faut être Amanda Gorman et aller à Harvard.»
(Collaboration: Nadine Schick)