Quel est le point commun entre la conseillère nationale vaudoise Léonore Porchet, l’acteur canadien Dan Levy, cocréateur de la géniale série «Shitt’s Creek», la poétesse de l’investiture américaine Amanda Gorman, les filles d’une amie de jeunesse établie en Australie et ma consœur Camille? Tous comptent parmi les 8,9 millions d’abonnés à Alexandria Ocasio-Cortez sur Instagram. Une star absolue de la politique, une élue démocrate au Congrès américain qui fascine et conquiert au-delà des frontières.
VIP Alexandria Ocasio-Cortez
Pourtant, il y a quatre ans à peine, personne ne connaissait son nom. Aujourd’hui, tout le monde l’appelle «AOC», initiales devenues l’emblème d’une nouvelle génération de politiciennes décomplexées. Disons-le: sa spectaculaire trajectoire doit autant à son charisme dévastateur qu’à son talent politique et à ses convictions bien ancrées. Le documentaire «Cap sur le Congrès», diffusé sur Netflix en 2019, permet de toucher du doigt le phénomène. Le film suit quatre inconnues qui ont fait le pari de se présenter aux primaires démocrates avant les élections de mi-mandat, qui renouvellent les deux Chambres. Alexandria Ocasio-Cortez, qui a étudié les relations internationales et l’économie à Boston, vise une circonscription englobant son Bronx natal et le Queens, des quartiers populaires largement hispanophones de New York.
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Tornade passionnée, qu’elle rie ou qu’elle pleure, Alexandria Ocasio-Cortez crève l’écran, au détriment des autres candidates. Sa campagne est d’autant plus haletante que, à 28 ans, celle qui a été repérée par des démocrates progressistes à Standing Rock, mouvement de protestation contre un pipeline en construction sur des terres amérindiennes dans le Dakota, se présente contre un autre démocrate dix fois élu, qu’elle dénonce comme un membre privilégié de l’establishment.
Avec son équipe, elle sillonne inlassablement le terrain, frappant aux portes des abstentionnistes, et utilise abondamment les réseaux sociaux pour mettre en avant ses origines portoricaines et ses idées proches de celles du sénateur Bernie Sanders, pour lequel elle a fait campagne en 2016. A la stupeur générale, elle s’impose avec près de 57% des voix. Son élection au Capitole sera une formalité: le 6 novembre 2018, elle l’emporte face au candidat républicain avec plus de 78% des suffrages, devenant la plus jeune élue du Congrès de tous les temps.
Congress New Members
Les pontes du parti la regardent alors de haut. La cheffe démocrate, Nancy Pelosi, parle d’un «phénomène local». C’est méconnaître sa jeune camarade et la vague de fond qui est en train de faire bouger les lignes du parti. Galvanisée, Alexandria Ocasio-Cortez ne cesse de démontrer, depuis, qu’elle est tout sauf un feu de paille.
Ses discours pugnaces au Congrès, contre la corruption ou les violences sexistes, qu’elle dénonce après avoir été qualifiée de «putain de salope» par un républicain, deviennent viraux. Elle dégaine et dézingue à tout va, jusqu’à Donald Trump, qu’elle appelle à destituer en 2019 pour obstruction présumée à la justice. La même année, elle présente le Green New Deal, programme d’investissement massif dans les énergies renouvelables endossé par Bernie Sanders, qui n’a aucune chance d’être approuvé par le Sénat. Les observateurs lui dessinent déjà un destin national.
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Comme une pro du show-business, la parlementaire n’hésite pas à mélanger les genres sur ses plateformes. Lorsqu’elle se filme sur Instagram, elle évoque le coût faramineux des études universitaires et des soins de santé comme la marque de son rouge à lèvres, qui disparaît des rayons dans la foulée. Elle partage ses recettes de cuisine et défend le mouvement Black Lives Matter d’un même élan. Les médias raffolent du personnage, multipliant les unes – Vanity Fair, Rolling Stones, Time, le Guardian avec Greta Thunberg – qui la voient photographiée par les plus grands; et, nous glisse-t-on, elle se montre intransigeante sur les images, qui ne sont validées qu’après avoir été retouchées à New York.
Si ses convictions la placent en position minoritaire au Capitole, son impact est indéniable: chacune de ses prises de position est immédiatement relayée. Ses attaques contre Amazon sur Twitter contribuent à faire plier le géant de l’e-commerce, qui renonce à s’installer dans le Queens. Il y a quelques jours, à la suite de la vague de froid meurtrière au Texas, qui montrera la désinvolture du sénateur républicain Ted Cruz, elle lance un appel aux dons, récolte des millions de dollars et se rend à Houston dans la foulée.
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A droite, évidemment, elle est honnie. Ses coups de gueule et son socialisme assumé, anathème aux Etats-Unis, font enrager le camp adverse. Elle est moquée pour avoir été serveuse, elle mentirait sur son lieu de résidence, qu’elle refuse de dévoiler pour des raisons de sécurité. En janvier, après l’assaut du Capitole, elle se filme en direct et raconte avoir «craint pour [sa] vie» lorsqu’un homme a frappé à la porte de son bureau. Sauf qu’il n’est pas situé dans les bâtiments envahis, s’enflamment ses détracteurs. Même si, dans la vidéo dûment contrôlée par les agences de presse, elle ne prétend pas y être et précise que l’homme en question était un policier. Un mois plus tard, dans une nouvelle vidéo, elle révèle, au bord des larmes, que l’événement a réveillé le traumatisme d’une agression sexuelle dont elle a été victime dans le passé.
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Réélue en novembre, «AOC» n’entend pas laisser l’administration de Joe Biden en faire à sa guise. Son dernier coup de gueule sur Twitter fait suite à la réouverture prévue d’un camp pour réfugiés mineurs. Elle y appelle à la réforme du système d’immigration et plaide pour le statut de réfugié climatique. Avec Bernie Sanders, elle vient de présenter un projet de loi pour que l’administration déclare l’urgence climatique. «Il est plus que temps.» Le temps d’Alexandria Ocasio-Cortez ne fait, lui, que commencer.