Son spectacle commence par une promesse: «Ensemble, on va prendre une tornade de plaisir.» Une heure dix plus tard, mission accomplie. Seul sur scène, Alexandre Kominek aura surtout réussi à faire sauter les derniers verrous de notre pudeur. Son show «Bâtard sensible», qu’il joue trois soirs par semaine au Théâtre du Marais, à Paris, et que l’on retrouvera cet automne en Suisse romande, s’accompagne d’une affiche sur laquelle, dans un peignoir léopard, il se tient négligemment appuyé sur un bolide doré. Dessous, un slogan annonce la couleur: «Venez rire et avoir honte».
Décrire l’univers scénique de ce Genevois de 33 ans est une gageure. En vous attirant dans sa bulle intime, lieu de permissivité, le garçon vous extirpe du réel et il ose tout. Au bout de quelques minutes, frappé du syndrome de Stockholm, le public captif en redemande. Parmi les salves de rires, en réponse à ses saillies délirantes, on perçoit un cri aigu. Entre la peur et le plaisir, certains ont ressenti l’effroi des montagnes russes. On se demande jusqu’où Kominek va oser aller trop loin avec le sentiment qu’il va forcément y aller. Et il y va.
C’est absurde, mais jamais méchant, car la cible principale, c’est lui. Un loser magnifique. «Je suis très autocentré, j’évite les sujets d’actualité», dit-il. Lors de son dernier passage en Suisse romande, dans l’intimité du D! Club, à Lausanne, il a dézingué tous les tabous. Sur France Inter, deux fois par semaine, chez Nagui, avec sa bouille de marshmallow ingénu, il vanne le gratin du showbiz et colle aux infos du moment, alignant volontiers des mots que l’on croyait rayés du vocabulaire.
De Niro, Al Pacino et... Elie Kakou
Mais d’où sort cet olibrius que certains ont découvert sur Couleur 3 et Léman Bleu, ou en une du magazine Closer, à l’été 2021, aux côtés de Florence Foresti, avec laquelle il s’est affiché l’an dernier au tournoi de Roland-Garros? On le retrouve dans un salon du Lausanne Palace pour une visite guidée de son CV.
«Ma mère roule les r, mon père roule des galoches», blague-t-il. Kominek est de père tunisien. Un juif séfarade nostalgique de sa jeunesse, bercée au bord de la Méditerranée. Né Krief, il fait partie de cette diaspora éparpillée entre Paris, Los Angeles, Netanya et Genève après l’indépendance de 1956. Là où le paternel est décrit comme un beau gosse flamboyant, jouisseur, autrefois diamantaire, maman, elle, est réservée. «Ma mère est une très belle femme, polonaise et catho. En les voyant aujourd’hui, je me demande bien comment ils ont pu se rencontrer.» Il a grandi avec elle. Et, au milieu des origines de ce couple tôt séparé, Alexandre s’avoue un peu schizophrène.
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Avant d’être ce type large d’épaules – «Je fais beaucoup de boxe» – il a été le petit gros d’une joyeuse bande de copains. «Mes meilleurs potes étaient des immigrés turcs, albanais, africains ou portugais. Tu rajoutes un juif au milieu, mais on se charriait toute la journée. Je n’ai jamais été mis de côté pour mon apparence ou victimisé. J’avais une bonne répartie, j’étais gardien au foot, agile et sportif. Un gros chat, quoi.» Un jour, un plus grand lui a demandé ce qu’il voulait faire plus tard. «Acteur dans des films d’action avec des super-héros», confie l’ado, qui s’entend répliquer: «Mais Spider-Man, c’est pas un gros porc!» Kominek se marre. «Ça m’a fait mal, mais en même temps, il avait raison.» Il découvre le cinéma avec son demi-frère. «Je m’identifiais à De Niro et à Al Pacino. Ils me faisaient rêver, je les comparais à des personnages de ma famille.» Le premier comique qui l’attire, c’est Elie Kakou. Alexandre a 10 ans quand l’humoriste disparaît, en 1999. «Il avait une tronche, une galerie de personnages. Il arrivait sur scène à l’Olympia à dos de chameau, déguisé en femme (son personnage de madame Sarfati, ndlr).»
Un soir à Lausanne, c’est la révélation
Avant d’écumer les clubs, Kominek a fait marrer ses camarades de classe. «La scolarité m’oppressait. Après ma matu au Collège de Saussure, j’ai pris une année sabbatique.» Il devient vendeur, aide électricien, installateur de spas et piscines. «On allait chez les millionnaires à Cologny. Je me disais que ça allait me forcer à faire des études. En fait, je refoulais un désir artistique, je ne me sentais pas légitime.» Pour faire plaisir à sa mère, il tente le droit à l’Université de Genève. «Les élèves avaient un MacBook et une Rolex, moi, j’avais un simple cahier. En 2011, je me suis dit: «Arrête de te mentir.» Il finira par décrocher un bachelor avec mention en direction artistique à l’école CREA, avant d’essayer d’intégrer la Classe Libre du Cours Florent, à Paris, et se fera recaler. «Je travaillais à la chaîne du froid à la Coop. Quand j’ai reçu le message, j’ai eu envie de me tirer une balle.» Ses amis l’inscrivent à son insu sur la scène du Chat Noir, à Carouge. «J’ai refusé en me disant que si je me prenais un bide, ça allait se savoir. C’est petit, Genève.»
On est en février 2013. Il a 23 ans et affronte le public du Bleu Lézard, à Lausanne. Là, au moins, personne ne le connaît. Sur le thème «il ne faut pas aller en boîte avec sa meuf», il fait rigoler la salle. «Mes mains tremblaient. C’était indescriptible. J’avais découvert le plaisir de faire marrer des gens que je ne connaissais pas. Ces premiers rires que vous déclenchez, c’est comme le crack. On a envie d’en reprendre!» Ce soir-là, comme lui, une standupeuse réussit son examen de passage: c’est Marina Rollman, devenue l’une des figures de proue d’une pépinière d’humoristes romands.
L’année suivante, Alexandre Kominek remporte le Banane Comedy Club, puis représente la Suisse au Jokenation sous l’aile de Thomas Wiesel. Il arpente les scènes romandes avant de partir à Paris. «Entre 2017 et 2018, je me suis retrouvé à vivre seul dans un petit studio, rue des Boulets. Dans une rue avec un nom pareil, tu te dis: «J'aurais pas dû faire ça.» Ce qui est terrible, c'est le sentiment de solitude. Je n’avais pas d’amis. Je traînais dans les Comedy Clubs. Je buvais pour passer le temps. J’ai fait ma première saison en sympathisant avec plein de monde et j’ai beaucoup joué.» Lorsque le covid arrive, il a déjà rencontré son producteur. Autodidacte comme lui, Lenin Arulchelvam, fondateur d’Am Squad Production, à Genève, va devenir un jeune incontournable du circuit.
Remplaçant puis titulaire chez Nagui
Pendant le confinement, Alexandre Kominek fait des live de 18h à 5h du matin. L’écriture de son spectacle évolue. «Je parlais beaucoup de ma rupture avec mon ex-copine. Tout est passé à la trappe.» Son style évolue, s’affine. Il participe à la série «6 x confiné.e.s», sur Canal+. Fin 2021, il est Judas dans La vie de J. C., série signée Zep et Gary Grenier diffusée sur la RTS. A l’été 2021, il débute dans «La bande originale» de Nagui. «On m’a demandé de faire des essais, puis un remplacement.» Kominek plaît, il est titularisé. On lui propose même deux chroniques par semaine. «J’ai hésité, un peu flippé. Deux bons papiers, c’est beaucoup.» Il s’en sort avec un sourire XXL et les projets s’enchaînent. «Je viens de terminer le tournage d’une comédie, un premier long métrage entre Paris et Cannes, pour Netflix, réalisé par Julien Royal, coécrit par le comédien Nassim Lyes. Bref, ça charbonne.»
Et ses parents? «Mon père vous dirait que je suis le meilleur, tout en me rappelant, depuis qu’il est sur les réseaux sociaux, de soigner mon apparence (il prend le ton râleur de Jean-Pierre Bacri): «Je sais que tu ne vas pas aimer ce que je vais te dire. Mais coiffe-toi. Tu es beau, pourquoi tu fais des grimaces? C'est les moches qui font des grimaces. Comme ça, ils sont drôles et on oublie leur physique. Pourquoi tu t'amochis? Explique-moi la logique.» Sa mère reste stoïque. «Elle est contente, mais me dit: «Calme-toi.» Il compte aussi sur le regard des autres, comme l’auteur, humoriste et metteur en scène Jérémy Ferrari. «C’est mon parrain. Il m’a aidé sur la mise en scène au printemps 2022.»
Foresti, femme inspirante...
Quand on évoque la «pression médiatique», la une des magazines people l’épinglant au côté de Florence Foresti, il hausse les épaules. «Je m’en tape! Au début, c’était: «Oh! Waouh!» On ne s’attend pas à être affiché comme ça. Et en plus, les paparazzis, on ne les voit pas. C’est pas comme si je sortais avec Amy Winehouse en Angleterre.» S’il refuse d’évoquer sa vie privée, il admire la championne du rire à ses côtés. «C’est la femme la plus inspirante que j’ai connue. Il n’y a qu’à voir son parcours. Elle a quand même mis une tarte à beaucoup de mecs. Quand elle donne un conseil, tu écoutes vraiment. Elle a un regard, une expérience. Moi, je viens d’arriver dans ce métier et ça la bouleverse. De façon positive...»
Depuis l’avènement des réseaux sociaux, le monde de l’humour ressemble à une autoroute encombrée. «Chaque année, il y en a un qui émerge. Roman Frayssinet, Paul Mirabel, Redouane Bougheraba... Je poursuis ma route et si le succès vient vers moi, c’est super.» A la sortie du show, les gens vont à sa rencontre pour le remercier: «Ils me disent: «Ça fait du bien. On en a marre du consensuel.» Il y a une dictature de la bien-pensance. Parfois, mais c’est rare, certains diront: «C’est scandaleux.» Ils s’arrêtent souvent sur un «mot alerte». Si on en utilise trois dans la même phrase, comme «trans», «juif» ou «islam», ils n’écoutent même pas la phrase. Ils pensent en hashtag.»
C’est en découvrant les Américains qu’il a repoussé ses limites. «Dave Chappelle ou Louis C.K. vont très loin. Pareil avec Jim Jefferies. Il balance des anecdotes sur sa vie. Il parle de drogue, de putes. Des trucs sur lesquels je me bridais.» Si personne ne lui enlèvera sa liberté, chaque mot est pesé. «Une chronique bien faite passe par un angle intéressant. Une vanne gratuite, c’est comme une balle perdue.» Alexandre Kominek ne s’interdit rien. «Je n’ai aucune limite, mais j’ai toujours un cadre. M’interdire de rigoler de quelqu’un sous prétexte qu’il appartient à une minorité serait la chose la moins inclusive. Si je ne peux pas charrier tel ou tel, c’est que je ne les considère pas comme moi. L’inclusivité, c’est inclure tous les autres dans mon monde.»