Remdésivir, vaccins à ARN, anticorps monoclonaux… la Genevoise de 51 ans est de ces spécialistes que le covid a poussés sur le devant de la scène. Elle répond volontiers, mais insiste: «Il nous faut toujours garder à l’esprit que la science est une marche en progrès. Cette part d’incertitude, qui est au cœur de toutes les discussions depuis deux ans, est difficile à transmettre.»
C’est donc un autre virus, celui du VIH, qui a façonné son parcours. En 1987, matu en poche, elle s’envole pour Haïti. «Une grosse claque. C’était les débuts du sida, les gens étaient très stigmatisés. Les soins étaient imprégnés d’une notion de morale qui m’avait bouleversée. C’était la forme ultime de l’injustice. Je me suis rendu compte que, pour aider, il fallait déjà être capable de commencer par aider une seule personne.» Elle va consacrer sa carrière à la lutte contre le sida. Et retrouve dans la pandémie actuelle cette question: «Comment la société réagit-elle à une menace sanitaire? C’est une période fascinante, extra-ordinaire au sens premier du terme. La science-fiction est devenue réalité.»
Pour elle qui a vu les ravages du choléra au Rwanda, participé à la création de programmes de lutte contre le VIH au Cameroun et au Mozambique, les inégalités vaccinales sont «évidemment» frustrantes. Mais «elles sont aussi liées aux infrastructures de santé, au manque d’oxygène par exemple. Le covid a simplement remis en lumière ces différences importantes dans les soins.»
Elle était adolescente lorsque son père est tombé gravement malade. «Quand vous avez à la maison quelqu’un qui souffre, qui est entouré de tous les livres de médecine possible, cela vous influence forcément.» Ce père apatride qui avait fui la Roumanie lui a transmis «une histoire familiale complexe». Elle insiste. «Je suis la fille de mes deux parents.» Pas seulement, donc, de Micheline Calmy-Rey, qui l’a, elle, marquée par sa rigueur et sa force de travail. «Elle n’était pas du genre à partir en randonnée», rit-elle. Elle-même a transmis sa passion: ses trois filles étudient la médecine. Ce qui, sourit-elle, lui fait très plaisir. Son engagement à elle pourrait-il passer par la politique? «Je dirais surtout que mon engagement professionnel est politique, comme auprès de Médecins sans frontières pour l’accès aux médicaments ou auprès de SOS Méditerranée. A l’hôpital, je suis médecin, en dehors, je suis une citoyenne.»