- Vous êtes directeur sportif à Saint-Gall depuis deux ans et demi. Comment évaluez-vous votre travail?
- Alain Sutter: Seul le présent m’importe. Et je n’ai jamais considéré Saint-Gall comme quantité négligeable en termes de football. Nous jouons dans un super stade, dans une région où le football revêt de l’importance. Quand je jouais aux Grasshoppers, j’ai vécu des moments très chauds à l’Espenmoos, l’enceinte de l’époque.
- Qu’avez-vous de plus que la concurrence?
- Mettre en parallèle nos performances me semblerait présomptueux. Nous nous concentrons sur notre parcours, qui doit beaucoup à l’incroyable solidarité qui règne dans l’équipe, ainsi qu’à une volonté de racheter toute erreur commise par un de ses membres. Saint-Gall était une équipe courageuse la saison dernière, elle a présenté un football frais et offensif et n’a pas eu peur de perdre.
- Au cours des deux dernières saisons, il y a eu beaucoup de transferts de «sans-grades» et autant de coups gagnants. De la chance?
- Parmi nos transferts, il n’y a pas eu que des grandes réussites. Le projet est basé sur des transferts comportant un certain risque. Nous n’avons pas les moyens d’attirer des grands noms ou des joueurs confirmés. Nous nous concentrons sur des joueurs se trouvant à un moment charnière de leur carrière, désireux de prendre un nouveau départ. Ou des jeunes que nous jugeons talentueux, bien qu’inexpérimentés.
- Comment attraper un petit poisson comme Jordi Quintillà, hors du «football business»?
- Il faut un peu de chance. Jordi était un joueur parmi d’autres que nous proposait un agent. Notre scout en chef a examiné des vidéos de chacun. Son commentaire: «Trop bon pour être vrai!» Comme son club venait de faire faillite, il était au chômage et pouvait venir chez nous à l’essai une semaine.
- Et la personnalité d’un joueur?
- Même en hébergeant un individu pendant une semaine, vous ne serez pas certain que son caractère s’intégrera. On peut affirmer, en revanche, que Saint-Gall offre un environnement solide, propre à minimiser le risque de voir quelqu’un mal tourner. Avec Peter Zeidler, nous possédons un technicien au feeling humain hors du commun. Et j’ose croire que je développe certaines connaissances humaines.
- Saint-Gall, une famille qui met tout le monde à l’aise: n’est-ce pas là un cliché?
- Bien sûr, ce n’est qu’un cliché. Nous ne sommes pas une famille, mais un club professionnel. On abuse du mot famille. Il s’agit juste de collaborer dans une relation professionnelle sérieuse.
- Lorsque Peter Zeidler et vous n’êtes pas d’accord, qui a le dernier mot?
- Nous ne débattons pas à l’infini. Nous préférons renoncer.
- Le contingent comprend beaucoup de jeunes. Un rapport avec votre passé de joueur, vous «l’enfant prodige»?
- Aucun. L’apparente jeunesse de notre équipe est due à notre projet et à nos possibilités financières. Les joueurs chevronnés ont des attentes salariales différentes. Les jeunes sont plus malléables. Peter Zeidler a des idées claires sur sa façon de jouer. Aux acteurs d’intégrer le style de jeu et non l’inverse.
- Le style de jeu intense et exigeant prôné par Zeidler est-il devenu une unité de doctrine pour toutes les équipes du FC Saint-Gall, comme au Barça ou à l’Ajax?
- Absolument. Ce fil conducteur est aussi lié à la manière dont le club traite les gens. Nous l’appliquons partout, à travers les responsables techniques. En arrivant ici, j’ai émis l’espoir qu’on puisse reconnaître les équipes grâce à leur style de jeu.
- Comment définissez-vous votre style jeu?
- En un mot: actif. Cela doit se voir dans chaque situation de jeu, en possession de la balle ou non, lors des balles arrêtées, qu’on mène au score ou qu’on soit menés.
- N’est-il pas cruel de devoir céder des joueurs essentiels comme Itten, Demirovic et Hefti?
- Trois joueurs ne représentent pas la moitié d’une équipe, même s’ils sont des acteurs clés. D’autre part, si je me plaignais, je n’aurais jamais dû accepter ce boulot. Le défi ici est de garder l’équilibre d’une formation dans des conditions données, de progresser quoi qu’il arrive. Il est passionnant.
- Joueur, vous étiez considéré comme une forte tête. Vous avez par exemple brandi la banderole «Stop it Chirac», contre les essais nucléaires de la France. Où est ce rebelle?
- Je suis resté celui que j’ai toujours été. Mais à l’époque, j’avais entre 20 et 30 ans (ndlr: le 6 septembre 1995, lors du Suède-Suisse de la banderole, Alain Sutter avait 27 ans)…
- Le directeur sportif que vous êtes devenu s’entendrait-il avec le jeune Alain Sutter?
- (Il réfléchit.) J’étais têtu, mais facile à gérer. Je ne verrais aucun obstacle avec un tel joueur.
- Saint-Gall récidivera-t-il?
- Ce qui s’est passé ici la saison dernière était et reste exceptionnel. Même si nous n’avions pas eu ces importants départs, même si nous nous étions renforcés, il n’est pas raisonnable de penser que nous pourrons de nouveau inquiéter les «grands».
- Saint-Gall sera-t-il en mesure de rivaliser un jour avec les «cadors» de la ligue?
- En aucun cas nous ne nous orientons d’après les clubs phares. Nous agirons selon nos moyens. Il est certain que, sans la crise du coronavirus, notre stade aurait toujours affiché complet ce printemps et nous aurait permis de faire un pas en avant significatif sur le plan économique.
- En lieu et place, les ventes de joueurs doivent combler le manque à gagner causé par les «matchs fantômes»?
- Heureusement non! C’est un des points qui m’ont poussé à accepter le job. Les produits des transferts ne font pas partie intégrante de notre budget. Je ne suis pas obligé de vendre des joueurs pour maintenir l’équilibre budgétaire.
- Quelles sont les conditions pour que le parcours du FCSG vous rende heureux cette saison?
- Mon bien-être ne dépend pas des résultats de l’équipe, mais uniquement de moi-même. Si je me réjouis d’accomplir mon job chaque jour avec plaisir, que nous gagnions ou que nous perdions, alors je serai heureux.