Première publication le 29 juin 2023
Rarement, au cours de son histoire moderne, le Conseil fédéral a abrité en son sein un membre aussi clivant qu’Alain Berset. Pour preuve, son départ surprise du collège à la fin de l’année, sobrement annoncé mercredi dernier à midi, a immédiatement ravivé les tensions et les rivalités qui se cristallisent autour de sa personnalité depuis son arrivée le 1er janvier 2012 parmi les sept Sages. Qualifié de surdoué, voire de génie de la politique par les uns, d’habile communicateur, pour ne pas dire manipulateur par les autres, les avis dithyrambiques et les critiques acerbes ont volé de gauche à droite et inversement aussitôt l’information connue. Et il en sera ainsi jusqu’à la dernière minute de son troisième et dernier mandat et sans doute après.
Un psychiatre nous dirait qu’être honni ou adulé et souvent jalousé est le lot de tous les individus à haut potentiel intellectuel, son seul état à faire l’unanimité, amis et ennemis confondus. Ce déferlement de «je t’aime moi non plus» tranche avec la popularité dont a toujours joui le ministre de l’Intérieur à travers le pays. Au point que les plus élogieux vont jusqu’à dire que ce fils et petit-fils d’élus socialistes s’en va au sommet de sa gloire puisque, selon le dernier baromètre électoral SSR publié en mars dernier, le citoyen de Belfaux, qui aime se ressourcer au chalet familial des Mayens-de-Chamoson (VS), était crédité de 55% d’opinions favorables. Mieux, en termes d’efficacité, il survolait ses collègues, sept sondés sur dix le percevant comme l’un des deux ministres les plus influents du gouvernement. Ne dit-on pas avec Jean-Jacques Rousseau que le peuple a toujours raison?
Qu’on l’aime ou pas, qu’on l’attaque ou pas sur ses comportements privés ou sa passion pour l’aviation qui l’a parfois mené dans des zones jugées sensibles, il y a des hauts faits et des épisodes glorieux jalonnant son parcours que personne ne peut lui contester ou lui enlever. A l’exemple de son entrée fracassante en politique, à seulement 27 ans, à l’Assemblée constituante du canton de Fribourg. Année où il a pris la présidence du groupe PS, quelques mois avant d’accéder au Conseil général de sa commune. Autant de succès qui l’ont vite propulsé vers la politique fédérale, au sein de laquelle il fait une entrée encore plus tonitruante.
A 31 ans, Alain Berset réussit en effet le tour de force d’être élu au Conseil des Etats, récupérant au passage le siège que le PS fribourgeois avait perdu quatre ans auparavant. Galvanisé, pour ne pas dire grisé par ce triomphe inattendu, celui que ses camarades de parti louent pour son sens tactique et son pragmatisme ne s’arrête pas en si bon chemin. Au bénéfice d’un allemand quasi impeccable, Alain Berset se fait rapidement respecter dans la Chambre des cantons où son éloquence, son intelligence et son pragmatisme séduisent. Résultat, après huit ans passés à la Chambre haute, l’ambitieux et brillant sénateur gravit la dernière marche du pouvoir en succédant à Micheline Calmy-Rey au Conseil fédéral.
Beaucoup de succès, peu d’échecs
Douze années qui ne s’écouleront pas comme un long fleuve tranquille pour le Fribourgeois, dont le bilan à la tête d’un département mammouth regroupant la santé publique, les assurances sociales et la culture est plutôt mitigé, il faut bien le dire. Côté santé, celui qui a eu la peu enviée mission d’annoncer chaque année des augmentations des primes maladie n’est jamais parvenu à freiner et encore moins à juguler la hausse des coûts.
Mais à l’impossible était-il tenu? Même le conseiller national UDC Yves Nidegger, l’un de ses plus impitoyables contradicteurs sous la Coupole, lui trouvait des circonstances atténuantes sur les ondes de la RTS, mercredi. «Qui pourrait se targuer d’une victoire dans le dossier de la LaMal?» interrogeait le juriste genevois, presque magnanime. Et puis, les reproches adressés par la droite dure peuvent également être perçus comme des succès par une partie de l’opinion qui se félicite de voir le catalogue des prestations s’être enrichi sous sa direction.
Autre échec, plus cuisant celui-là, le rejet par le peuple (52,7%) en 2017 du projet de réforme des retraites, Prévoyance vieillesse 2020. Une réforme pour laquelle Alain Berset s’était énormément investi. Enfin, celui qui restera comme l’un des plus jeunes conseillers fédéraux de l’histoire, élu à l’âge de 39 ans, a plusieurs fois fâché son propre camp, la dernière avec sa campagne très offensive en faveur de la réforme AVS 21. La frange la plus à gauche de son parti ne lui pardonnera jamais d’avoir contribué à l’augmentation de l’âge de la retraite des femmes à 65 ans. Restent néanmoins 27 autres dossiers, moins chauds et spectaculaires que les précédents, que le ministre de l’Intérieur a portés et souvent sortis victorieusement des urnes. Le dernier en date, le week-end passé, à propos de la modification de la loi covid. Son troisième succès à ce sujet, assorti d’une sorte de plébiscite pour la manière dont il a conduit le pays à travers sa plus grande crise sanitaire.
N’en déplaise à ses détracteurs, Alain Berset restera en effet aux yeux des Suissesses et des Suisses ce «guide» en qui ils ont placé leur confiance dans ces moments difficiles et qui le leur a bien rendu. Trois ans durant, le Fribourgeois a été l’acteur principal de ce douloureux épisode, faisant tous les soirs irruption dans notre salon à l’heure du journal télévisé pour nous faire part de décisions qui nous ont toutes et tous affectés. Une concentration des pouvoirs et une omniprésence médiatique qui lui ont parfois valu de vives critiques et même des menaces de la part des plus farouches opposants à la loi covid et aux mesures imposées. Contre vents et marées, Alain Berset a néanmoins tenu bon la barre, renforçant du coup sa stature et son aura d’homme d’Etat.