Le 26 avril 2017, un officier de Scotland Yard a évoqué, sans la détailler, «une piste significative qui vaut la peine d’être explorée». Une de plus. La dixième, la centième peut-être, depuis cette sinistre soirée de mai 2007 où Maddie s’est volatilisée. Ce soir-là, Gerry et Kate McCann, les parents de la fillette, mangent avec des amis au bord de la piscine de leur hôtel, l’Ocean Club, à Praia da Luz, une petite station balnéaire de l’Algarve où ils passent leurs vacances depuis trois jours. De l’un des restaurants du complexe, le Tapas, ils entrevoient les fenêtres de l’appartement 5A qu’ils occupent avec leurs trois enfants, au rez-de-chaussée.
Avant de sortir, ils ont couché Maddie, 4 ans dans quelques jours, le 12 mai, son frère et sa soeur jumeaux de 2 ans. Vers 22 heures, Kate McCann se lève de table et se rend à l’appartement pour s’assurer que tout va bien. Ses bébés dorment tranquillement mais elle trouve la porte de la chambre de sa fille ouverte. La fenêtre est ouverte elle aussi, le volet est levé. Stupeur. Maddie n’est plus là. Disparue. Kate McCann appelle, cherche, puis revient précipitamment au restaurant donner l’alerte. Le couple et leurs amis prospectent les environs. Tout laisse croire que la petite, décrite comme espiègle mais hyperactive et épuisante dans le journal intime de sa maman, a fait une escapade. Mais leurs recherches restent vaines. La police est alertée. Elle mettra près d’une heure et demie à arriver. Une lenteur qu’on lui reprochera, tout comme le fait de ne pas avoir pris les précautions d’usage pour préserver la chambre de Maddie. Des lacunes qui compliqueront les investigations.
Ronaldo, Beckham, Branson, Benoît XVI
Convaincus que leur fille se trouve entre les mains d’un réseau pédophile, les parents lancent des appels tous azimuts, passent d’un plateau de télévision à l’autre, engagent un expert en communication. En quelques heures, la petite frimousse blonde de Maddie fait le tour du monde. Le lendemain de sa disparition, l’ambassadeur de Grande-Bretagne est sur place. Une chaîne de solidarité se forme. Des milliardaires, Richard Branson, Brian Kennedy, J.K. Rowling (Harry Potter) et des stars du sport et du showbiz, Cristiano Ronaldo, David et Victoria Beckham, sortent leur carnet de chèques. Près de 2 millions de francs suisses sont réunis, qui permettront de payer une myriade de détectives privés. Le premier ministre, Gordon Brown, s’en mêle. Il demande à Scotland Yard d’épauler les enquêteurs portugais. Même le pape Benoît XVI y va de sa prière et de sa bénédiction.
Le dispositif est impressionnant. Cent cinquante policiers portugais et une trentaine de limiers britanniques sont sur les dents jour et nuit, les autorités des deux pays s’engagent, des diplomates jouent de leur influence, des dizaines de chaînes de télévision et des milliers de médias diffusent le portrait de Maddie et, en bout de chaîne, des millions de personnes le relaient. C’est la première affaire criminelle qui enflamme la Toile. Et puis rien. Malgré ce front commun, l’enquête piétine. Pas la moindre trace de Maddie, pas le plus petit indice. Juste des hypothèses, dont celle d’une famille irlandaise, les Smith, en vacances dans le secteur, qui affirme avoir vu un homme portant un enfant dans ses bras près de l’appartement des McCann vers 22 heures. Un inconnu dont la ressemblance avec Gerry McCann interpelle. Mais à cette heure-là, le papa de Maddie mangeait avec ses amis. La piste finira par s’enliser.
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Quelques jours plus tard, dans le Daily Mirror, une baby-sitter qui travaillait soi-disant à l’Ocean Club est sortie de son silence, pour rappeler, sous le couvert de l’anonymat, à quel point les parents étaient catastrophés. «Madame pleurait, était dans un état second alors que Monsieur, hystérique, se couchait sous les voitures pour trouver sa fille. Je ne peux pas croire qu’ils soient coupables, comme beaucoup l’insinuent, confie-t-elle, décrivant un club mal fréquenté et dangereux. L’hôtel n’était pas sûr. On nous avait donné un sifflet d’alarme en cas d’agression et on nous recommandait de ne jamais rester seul.»
Parents toujours menacés
Dix ans après, bien que mis hors de cause, Gerry et Kate McCann sont encore régulièrement pris à partie sur les réseaux sociaux par des personnes persuadées de leur responsabilité. Des professionnels de l’enquête y vont aussi de leur credo. Dans son livre Profile of the Disappearance of Madeleine McCann, paru en 2013, la profileuse américaine Pat Brown estime que Maddie est morte mais qu’elle n’a pas été enlevée. «Son corps a été déplacé à un endroit où on ne le trouvera peut-être jamais», écrit-elle avant d’échafauder une thèse alimentant, en termes à peine voilés, le soupçon sur les époux McCann. «Si quelqu’un a un alibi, vous l’éliminez de la liste des suspects. Mais leur attention s’est tout de suite focalisée sur un possible kidnapping alors que les preuves soutiennent la piste de l’accident qui aurait pu être causé par négligence.» Des propos corroborés la semaine dernière sur la chaîne CMTV par l’écrivain et enquêteur portugais Francisco Moita Flores, ex-inspecteur de la police judiciaire, pour qui «il ne fait aucun doute que Maddie est morte dans l’appartement»
Une allégation rejoignant celle de son ancien collègue Gonçalo Amaral, chargé de l’enquête à l’époque, qui avait créé la sensation en mettant le couple McCann en examen en août 2007. A ses yeux, le comportement de ces parents qui «engagent un porte-parole avant un avocat» ne lui semblait pas naturel. En vérité, l’inspecteur les soupçonne d’homicide involontaire et de dissimulation de cadavre. Une suspicion née des déclarations contradictoires, imprécises et incohérentes du couple et de leurs amis.
Dans son rapport, la police indique également que le lit de Maddie n’était pas défait et qu’aucun désordre dans la chambre ni trace d’effraction n’ont été constatés. Plus étonnant, malgré l’émotion et la panique, Kate et Gerry ont pensé à effacer l’historique de leur téléphone portable. Enfin, amenés sur les lieux, des chiens dressés pour déceler des odeurs de sang et de cadavre détectent des traces de Maddie dans une voiture que le couple a louée trois semaines après la disparition de leur fille. Les analyses ADN confirment ce qui devient un nouveau fait très troublant. Pour Amaral, le doute n’est plus permis. Les McCann ont dissimulé le corps de leur fille après son décès accidentel et s’en sont débarrassés en le transportant dans le véhicule loué. Un scénario d’autant plus plausible selon lui que les époux, médecins tous les deux, avouent avoir parfois administré un sédatif à leur fille, pour la calmer. Gerry et Kate McCann, laissés libres durant l’instruction et contre lesquels aucun chef d’accusation n’a été retenu, seront finalement blanchis, faute de preuves. «Ce qui ne les disculpe pas de la disparition de leur fille», a précisé un juge portugais il y a quelques semaines, en réponse aux affirmations de Scotland Yard, qui privilégie de son côté la thèse de l’enlèvement.
Affaire étouffée
Gonçalo Amaral a étayé sa version dans un livre, en 2009 (Maddie, l’enquête interdite), un an après avoir été écarté de l’enquête et renvoyé de la police, à la suite de ses accusations publiques. Huit ans plus tard, celui que L’illustré a longuement interviewé lors de la sortie de son ouvrage maintient ses conclusions. Pour lui, les parents de Maddie ont camouflé leur mensonge. Il l’a redit il y a quelques semaines au cours de l’émission judiciaire dont il est le consultant sur une chaîne portugaise. Référence à son livre, «qui ne fait que citer des procès-verbaux d’enquête officiels», il rappelle que les chiens ont détecté l’odeur d’un cadavre derrière le canapé de l’appartement, «ce qui laisse présumer que la petite a chuté derrière ce meuble, peut-être à cause des calmants». Il y a aussi l’empreinte de Kate McCann sur la fenêtre de la chambre de Maddie, qui indique qu’elle a ouvert cette fenêtre, sans doute pour faire croire à la thèse de l’enlèvement. La simulation de kidnapping est quelque chose de courant dans ce genre d’affaire.
«En réalité, on peut imaginer que le corps de Maddie a été dissimulé, dans un congélateur par exemple, durant les trois semaines séparant sa disparition et la location de la voiture par ses parents», nous confiait-il à l’époque. «Tout cela devait être minutieusement contrôlé. Hélas, c’est à ce moment-là qu’est apparue la volonté politique d’archiver le dossier et que j’ai été écarté. L’affaire a été étouffée», regrettait-il lors de notre rencontre. Condamné à verser 600 000 euros de dédommagement pour diffamation au couple McCann, Gonçalo Amaral a finalement été acquitté en appel il y a tout juste un an.
Maddie vue partout
En Angleterre, de toutes autres versions circulent. Selon d’anciens enquêteurs, Maddie aurait quitté sa chambre et se serait retrouvée dans la rue, où elle aurait été enlevée et vendue pour l’esclavage ou à une famille en deuil. En 2014, Scotland Yard, convaincu que la fillette est toujours vivante, a également étudié la piste de trois cambrioleurs ayant sévi à la période de la disparition, dans le complexe de l’Ocean Club. Mais aucun des suspects n’a été poursuivi. En 2011, c’est un ancien employé de l’hôtel, pédophile notoire, qui était dans son collimateur. Décédé en 2009, ce dernier n’a jamais pu être interrogé. En parallèle, d’autres pistes, souvent fantaisistes, se sont succédé. L’affaire a rebondi à Chypre, au Maroc, en Nouvelle-Zélande, à Malte, au Paraguay et même dans l’Himalaya et dans un fast-food du XVe arrondissement de Paris. Partout, des gens affirmaient avoir reconnu Maddie, l’avoir embarquée dans un taxi ou croisée sur une plage. Toutes prises au sérieux, ces pistes n’ont rien donné.
Sur demande du couple McCann, une ONG spécialisée dans la recherche d’enfants a enquêté en Russie et en Ukraine. En vain. Enfin, en été 2015, les limiers anglais se sont accrochés à une piste australienne après qu’un motard fut tombé par hasard sur une valise contenant un cadavre d’enfant décomposé, une robe noire de petite danseuse, des chaussons roses, des shorts, un t-shirt de Dora l’exploratrice et un pantalon rose. Si les analyses ont confirmé que ces restes humains et ces vêtements appartenaient bien à une fillette aux cheveux clairs âgée entre 2 et 4 ans, l’ADN, en revanche n’était pas celui de Maddie.
Dix ans après sa disparition, le mystère reste donc entier. A Praia da Luz, où deux tiers des 3500 habitants sont Britanniques, tout le monde voudrait tourner la page. Mais comment y parvenir quand un résident du village, passionné par l’affaire, organise un tour guidé «pour comprendre ce qui s’est passé autour de Maddie», son argument quand ses compatriotes lui reprochent le côté macabre de sa visite? Saurat-on un jour la vérité? Pour cela, il faudrait retrouver Maddie ou avoir la preuve de sa mort. A défaut, le poison du doute continuera à agiter les esprits et à attiser les rancoeurs…