La disparition de l’influenceuse Gabby Petito a déchaîné les passions aux Etats-Unis depuis la fin du mois d’août. Sans nouvelles de sa part entre le 31 août et le 11 septembre, ses parents ont finalement signalé sa disparition aux autorités.
Initialement partie avec son petit ami, Brian Laundrie, pour un voyage en van le long de la côte Ouest des Etats-Unis, l’influenceuse a soudain cessé de donner des nouvelles à ses proches. Autre élément préoccupant, des policiers ont signalé être intervenus alors que le couple se disputait bruyamment. Un peu plus tard, des témoins signalent une dispute domestique dans une voiture à la police et affirment avoir vu Brian Laundrie frapper Gabby Petito au bord de la route, avant de remonter dans leur van.
Puis, le 21 septembre, le FBI mit un point final à cette saga en confirmant que des restes humains trouvés la veille dans un parc naturel du Wyoming, dans le comté de Teton, correspondaient à Gabby Petito.
Un engouement surprenant
Les USA font partie des habitués lorsqu’il s’agit de faits divers. A titre d’exemple, on peut citer les chiffres publiés par The Guardian. Selon le quotidien britannique, si l’on cumule les chiffres depuis 2014, on arrive à une moyenne de presque une tuerie de masse par jour sur sol américain.
Alors pourquoi la disparition de Gabby Petito a-t-elle suscité un tel intérêt?
Pour Olivier Glassey, maître d’enseignement et de recherche à l’institut des sciences sociales de l’Université de Lausanne, plusieurs éléments peuvent expliquer l’attention portée à ce drame.
« L’affaire en tant que telle n’a rien de particulier, mais il faut souligner que la victime bénéficiait d’une certaine notoriété, avec quelques dizaines de milliers d’abonnés. Il y avait un suivi de son périple à travers les réseaux sociaux, et lorsqu’elle a disparu, il y a eu une interruption d’un flux narratif numérique qui a interpellé un certain nombre de personnes qui la suivaient. » L’élément le plus important selon Olivier Glassey demeure toutefois l’aspect collaboratif de l’enquête. «Une partie de membres de cette communauté se sont auto-proclamés détectives et ça a prit la forme d’une enquête collaborative qui a généré du bruit ».
Pourtant, quand on lui demande comment il explique un tel engouement dans un pays comme les Etats-unis, Olivier Glassey rappelle un point qui fait déjà l’objet de débats dans la presse américaine. «La question n’est peut-être pas de se demander comment un tel fait divers peut intéresser les gens dans un pays où il s’en produit beaucoup, mais plutôt de savoir s’il n’y a pas une surreprésentation d’une certaine catégorie de victimes.» En effet, le «Missing white woman syndrome», qui privilégie la couverture médiatique des disparition de jeune femmes blanches de classe sociale moyenne supérieure à celle de femmes non blanches et/ou de classe sociale jugée inférieure.
Presse écrite VS internet: des règles différentes?
Il est clair que les réseaux sociaux et plus globalement internet ont contribué à faire parler de la disparition de Gabby Petito. Cependant, pour André Kuhn, professeur ordinaire de droit pénal et de criminologie à l’Université de Neuchâtel et à l’Université de Genève, même si les gens aiment généralement les affaires «croustillantes», c’est la couverture médiatique globale qu’a reçu cette histoire et le côté «feuilleton à rebondissement» qui lui a été donné qui ont très clairement contribué à faire parler d’elle. Selon André Kuhn, le seul effet qu’internet a pu avoir dans la popularisation de cette affaire s’est exercé par leur rapidité de diffusion et leur portée plus large. Les règles restent les mêmes que pour les canaux classiques de diffusion.
Pour Olivier Glassey, «les gens veulent aider, et ça a créé, pour certains, une sorte de dimension ludique. Il y a un problème à résoudre.» Les réseaux sociaux auraient donc amplifié un phénomène d’enquête participative. «On a déjà vu ça pour des faits divers traditionnels, mais là il y a une impression de mystère en temps réel. Les lecteurs ont l’impression d’être proactifs.»
Fascination macabre
Il y a donc bien une fascination pour les faits divers qui sommeille au fond de nous. Preuve en est la multiplication démesurée, et le succès, des contenus du genre “true crime”. Basés sur, ou du moins inspirés par, des faits réels, ils permettent aux téléspectateurs de s’immerger dans la psyché des plus glaçants tueurs que le monde ait connu. Parmi beaucoup d’autres, la série Mindhunter, disponible sur Netflix, pénètre dans la tête des tueurs, notamment les tristement célèbres Ed Kemper ou Charles Manson. Du côté des documentaires, il y en a à nouveau pour tous les goûts, si l’on peut dire. Ed Kemper, Rocco Magnotta, et bien d’autres sont présentés et analysés pendant des heures à travers les actes qu’ils ont commis, mais aussi à travers leur parcours, depuis la plus tendre enfance jusqu’au couloir de la mort.
Le phénomène va même plus loin, puisque de nombreuses chaînes YouTube se sont spécialisées dans les disparitions, les enquêtes non résolues et, souvent, dans le récit des parcours de tueurs. On peut citer comme exemples celle de la québecoise Victoria Charlton, avec ses 626’000 abonnés, ou des françaises Liv, 770’000 abonnés et active depuis 2013, et Sonya Lwu, 251’000 abonnés. Et le travail de ces vidéastes va plus loin que le simple récit. Victoria Charlton propose parfois des témoignages des proches des victimes, quant à Sonya Lwu, au bénéfice d’une formation en psychologie et criminologie, analyse en profondeur le parcours des tueurs et tueuses dont elle parle.
Des mécanismes multiples
Les faits divers nous fascinent, d’accord. Mais pourquoi? Au fond, qu’est-ce qui nous attire vers ces événements, alors que les récits qu’on en fait nous font frissonner d’effroi? Après tout, les gens se réunissaient encore il n’y a pas si longtemps pour assister à des exécutions publiques, alors peut-être est-ce juste une composante de la nature humaine…
Du côté des psychologues, cette fascination pourrait s’expliquer de différentes manières. Certains y voient une sorte de préparation, une sorte de répétition générale «au cas où». Les humains seraient naturellement enclins à observer les potentielles menaces pour leur survie. Mais il y aurait également une dimension empathique avec les victimes. Les neurosciences apportent également leur pierre à l’édifice. En effet. Un article paru en 2006 dans la revue scientifique Neuroscience Letters, relève que la région du cerveau responsable du système de récompense gère également le système de répulsion et de peur, mais aussi d’accoutumance. Lorsque cette zone est stimulée, par exemple dans le cas d’une situation effrayante, comme la description des crimes d’un serial killer, elle va relâcher de l’adrénaline dans le corps. Normalement censée nous servir en cas de danger en nous rendant plus forts ou plus rapides, cette hormone est légèrement addictive va circuler dans notre corps et on va entrer dans un état d’excitation sans bouger de notre fauteuil. Résultat, on éprouve une stimulation et on est scotché à nos écrans.
Une réalité fantasmée
Devant la popularisation de ce phénomène, des spécialistes se sont interrogés sur les effets d’une exposition continue à des histoires violentes et macabres. Un article publié en 2017 par Megan Boorsma, une avocate américaine, dans l’Elon Law Review, soulignait plusieurs effets délétères de l’obsession américaine pour le «true crime». Elle pointait du doigt la dramatisation du système judiciaire et la présentation biaisée de chiffres officiels, notamment en ce qui concerne les homicides. Etudes à l’appui, elle relevait également que plus le crime était perçu de manière réelle et convaincante à la télévision, plus la vision du réel des spectateurs allait changer. Ils deviendraient ainsi plus craintifs, penseraient que les crimes sont très fréquents, et pourraient être hostiles à la justice ou aux forces de police.
Une autre étude, parue en juillet 2019, montrait que les victimes d’homicides aux Etats-Unis étaient à 80% des hommes, pourtant la plupart des séries de « true crime » montraient des meurtres de femmes, avec pour résultat que les téléspectateurs concluaient que ces dernières étaient les cibles préférées des tueurs
Tous tordus?
Rassurez-vous, vous n’êtes pas un tueur en série en puissance. Malgré tout, certains mécanismes semblent nous pousser, à des degrés divers, vers ce qui nous révulse au premier abord. Finalement, quelle qu’en soit la raison, il semble que les faits divers continuent de fasciner. Tapie dans l’ombre, à l’affût, existe cette petite partie de nous qui se plaît à frissonner devant l’horreur. Cette petite portion de notre être qui ne peut s’empêcher de regarder ce que l’humain peut faire de pire, tout en étant rassurée de ne pas en être la victime… ou l’auteur.