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Enquête

Affaire Dupont de Ligonnès (1/3): «La piste d’un monastère est plausible»

Directeur de la communication extérieure de la Fraternité Saint-Pie X, établie notamment à Ecône (VS), l’abbé Arnaud Sélégny estime crédible la thèse selon laquelle Xavier Dupont de Ligonnès pourrait vivre cloîtré, sous l’habit d’un moine. Une révélation détonante qui pourrait relancer l’affaire du quintuple meurtre de Nantes il y a dix ans.

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DOSSIER XAVIER DUPONT DE LIGONNES

Pour le représentant de la Fraternité Saint-Pie X, Xavier Dupont de Ligonnès pourrait fort bien vivre caché quelque part sur la planète sous l’habit d’un frère religieux. Mais assurément pas derrière les murs d’une des maisons que possède la communauté, à l’exemple du séminaire valaisan.

Elias Amari

«L'hypothèse selon laquelle Xavier Dupont de Ligonnès, s’il n’est pas mort, vivrait dans un monastère sous l’identité d’un Frère n’a rien d’une fiction. Ce ne serait d’ailleurs pas la première fois qu’un délinquant fait valoir l’asile religieux pour se cacher. Cela étant, nous pouvons pratiquement exclure qu’il se trouve dans l’une de nos communautés ou dans l’un de nos prieurés.» Les propos de l’abbé Arnaud Sélégny, directeur de la communication extérieure de la Fraternité Saint-Pie X et porte-parole du Supérieur général de la congrégation, résonnent comme un coup de tonnerre. Jamais, depuis le début de l’affaire, un haut responsable ecclésiastique n’avait en effet évoqué publiquement un tel scénario. Certes, la police l’a privilégié un temps en raison des origines très catholiques du tueur et de la discrétion d’un tel lieu.

>> Lire l'éditorial:  «XDDL: la piste suisse»

Les limiers ont notamment procédé à des fouilles à l’abbaye bénédictine Sainte-Madeleine du Barroux, dans le Vaucluse, un bastion de l’Eglise traditionaliste, où Xavier Dupont de Ligonnès a séjourné à plusieurs reprises à la fin des années 1980. Des recherches qui n’avaient rien donné. «Si nous l’avions vu, nous l’aurions dénoncé», avait déclaré un membre de cette communauté. A l’époque, le département du Var a fait l’objet d’autres perquisitions. La dernière remonte à janvier 2018, lorsque les agents de la police judiciaire ont investi le monastère Notre-Dame de Pitié, qui surplombe Roquebrune-sur-Argens, à la suite de l’alerte lancée par des témoins convaincus d’avoir identifié le fuyard. Au final, il s’avérera que l’un des Frères qui occupent l’endroit avait une sidérante ressemblance avec Ligonnès. Mais seulement une ressemblance. Depuis, la piste semble avoir été abandonnée.

Dans son livre paru en 2020, L’éternité de Xavier Dupont de Ligonnès, l’auteur, réalisateur et scénariste Samuel Doux regrette cette reddition. «La piste des monastères n’a pas été suffisamment explorée», martèle-t-il au terme de son récit. Sa conviction repose sur le fait que Ligonnès a reçu une éducation religieuse particulièrement rigoureuse de la part de sa mère, Geneviève, une personne très pieuse et énigmatique.

Dans les années 1960, cette dernière, âgée de 90 ans aujourd’hui, affirmait recevoir en direct des messages du Christ. Elle fondera un groupe à caractère sectaire baptisé l’Eglise de Philadelphie, croyant à un retour imminent du Messie dans un régime d’Apocalypse. Un enseignement qui a peut-être joué un rôle déterminant dans le destin de son fils. Sur le forum La cité catholique, où il s’est exprimé des milliers de fois sous divers pseudonymes et même après les meurtres, celui-ci évoquait régulièrement cette enfance durant laquelle il se levait à 7 heures pour aller à la messe avant de se rendre à l’école, faire des retraites dans des abbayes, connaître par cœur sa messe aussi bien en latin qu’en français. Un univers mystique dans lequel il baignera jusqu’à ses 35 ans, année où il dit avoir perdu la foi. Sur le forum, on lui doit notamment cette phrase incroyable: «Certes, Dieu n’exige pas qu’on lui offre des sacrifices humains pour lui prouver notre amour et notre soumission, mais il les tolère.»

Ce n’est pas tout. En 1977, à la suite de Vatican II, Geneviève de Ligonnès annonce avoir fait allégeance à Mgr Lefebvre, fondateur de la Fraternité Saint-Pie X, dont le siège principal se trouvait naguère à Ecône, en Valais. Parmi les centaines de documents que nous avons consultés, nous avons relevé d’autres références de Geneviève à l’ex-archevêque, décédé à Martigny en 1991, et à son mouvement intégriste. Suffisamment pour prendre contact avec la congrégation afin d’évoquer avec elle ces témoignages de dévotion faisant germer l’idée que, vivant, Xavier Dupont de Ligonnès pourrait se cacher quelque part dans l’un des nombreux établissements qu’elle possède à travers le monde.

C’est ainsi que l’abbé Sélégny nous a reçus au prieuré Notre-Dame de l’Annonciation, à Menzingen, dans le canton de Zoug, et a répondu à toutes nos questions, y compris les plus gênantes. Un dialogue franc et ouvert, très loin, il faut en convenir, des clichés et des a priori qu’on attribue parfois à ce mouvement fondé le 1er novembre 1970 et qui rallie plus de 5000 fidèles en Suisse. Interview de son porte-parole, ancien médecin originaire de Normandie, titulaire de son poste depuis 2010, après dix ans d’enseignement à Ecône, qui nous a reçus dans la petite bibliothèque de l’établissement, sous l’œil attentif de Pie X et de Mgr Lefebvre.

ENQUETE XDDL

L’abbé Arnaud Sélégny, responsable de la communication extérieure de la Fraternité Saint-Pie X, nous a reçus au prieuré Notre-Dame de l’Annonciation, à Menzingen, dans le canton de Zoug. Sous l’œil du pape Pie X et de Mgr Lefebvre, l’ecclésiastique a fait preuve d’une ouverture remarquable, répondant sans faux-fuyant à toutes nos questions.

DR

- Monsieur l’abbé, d’abord merci d’accueillir L’illustré pour évoquer ces questions particulièrement délicates. Mais, sur la base des références faites à votre fraternité et à son fondateur par Geneviève de Ligonnès, sur la base du passé de son fils également, il est presque naturel d’effleurer l’idée que, s’il est vivant, Xavier Dupont de Ligonnès pourrait se cacher au sein de votre fraternité…
- Abbé Arnaud Sélégny: Je comprends que, au cas où il ne soit pas décédé, la question soit posée. Partant de là, l’hypothèse qu’il vivrait dans un monastère sous l’identité et l’habit d’un Frère me paraît d’ailleurs plausible. Ce qui ne l’est pas, en revanche, c’est qu’il se soit réfugié parmi nous. Il y a trop de mouvements, trop de circulation de religieux et de laïcs au sein de notre communauté pour vivre un pareil anonymat. Très vite, des dizaines de personnes auraient été dans la confidence et l’information aurait forcément filtré.

- Vous pouvez garantir que, le cas échéant, il ne se trouve pas parmi vous?
- Je ne peux pas être affirmatif à 100%, nous œuvrons dans environ 80 pays. Mais s’il avait demandé l’asile religieux auprès de notre fraternité, nous le saurions. Car il ne suffit pas de frapper à notre porte pour se mettre à l’abri. Accepter une personne telle que celle-là prendrait pas mal de temps. D’abord, nous l’aurions encouragé à regretter ses gestes, à se confesser, puis à se livrer, bien que le droit naturel ne l’y oblige pas.

- Et en cas de refus, l’auriez-vous dénoncé?
- Non. Au nom du respect de l’asile religieux, fondé sur le droit naturel justement.

- Vous comprenez que cela puisse choquer, scandaliser même?
- Je comprends. Mais l’asile religieux a toujours existé et son évocation dans l’Ancien Testament est claire. Celui qui se réfugie au temple est protégé. Même si tout le monde sait qu’il est là. Mais le jour où il s’en écarte, l’asile est automatiquement répudié.

- Peut-être a-t-il trouvé refuge dans vos murs seulement pour un certain temps?
- Peut-être. Nous n’enquêtons pas sur toutes les personnes qui passent trois ou dix jours parmi nous. Leur identité figure simplement dans notre journal de bord.

- Et si la personne s’annonce sous une fausse identité?
- Dans ce cas, son nom figurera sous sa fausse identité. Notre mission n’est pas celle de la police.

- Que pouvez-vous dire des références à Mgr Lefebvre et à votre fraternité faites par Geneviève de Ligonnès? Elles jettent la suspicion, ce n’est pas très confortable pour votre mouvement…
- Que peut-on faire contre cela? Chacun est libre d’écrire ce qu’il veut, nous n’en sommes pas responsables. Si un dictateur rapportait les mêmes propos, personne ne pourrait l’en empêcher. Cela dit, je me suis intéressé à cette dame depuis que vous nous avez contactés. Je pense que c’est une folle. Ou alors qu’elle a voulu réaliser une opération marketing en utilisant notre fraternité. Attirer des clients dans son groupe. Le procédé est assez courant.

- Il y a tout de même ces séjours que le jeune Xavier Dupont de Ligonnès a effectués au monastère Sainte-Madeleine du Barroux, dans le Vaucluse, tenu par des bénédictins ayant eux aussi fait allégeance à Mgr Lefebvre. Ce n’est pas un hasard si la police a fouillé ce lieu...
- Il est vrai que, dans les années 1980, la fraternité avait des contacts réguliers avec cette congrégation et son fondateur. Des liens qui se sont rompus en 1988 déjà, à l’initiative de ce dernier, décédé d’ailleurs depuis pas mal d’années.

- S’il n’est pas chez vous, cela n’exclut pas qu’il ait trouvé refuge au sein d’une autre congrégation.
- En effet. On peut imaginer qu’il ait fait la profession perpétuelle de Frère. Pas plus. Car, dans le cas de l’asile religieux, une personne qui a donné la mort, même involontairement, n’a pas accès à la prêtrise. Un chirurgien dont le patient est décédé sur la table d’opération, même s’il n’est pas coupable, serait dans ce cas.

- Avez-vous une intime conviction personnelle?
- S’il vit, je pense que la piste d’un monastère est tout à fait envisageable. Un autre lieu où un délinquant peut trouver refuge est la Légion étrangère. Celle-ci lui donne un nouveau nom contre l’engagement solennel de pas avoir le moindre contact avec sa famille et ses connaissances durant au moins cinq ans, et il peut ainsi se faire oublier. Cela dit, j’opterais plutôt pour le suicide. Lorsqu’un être humain, quelle que soit la cruauté dont il a fait preuve, prend réellement conscience de la portée de ses actes, même après plusieurs années, il finit souvent par craquer.

>> A lire, les deux autres épisodes de l'enquête de L'illustré:
- 2/3: «Le fantôme que l'on voit partout»
- 3/3: «John List comme source d'inspiration?»

Par Christian Rappaz publié le 18 mars 2021 - 08:47