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25 ans après

Accident de Lady Diana: «Si on avait trouvé quelque chose de suspect, on aurait sauté dessus!»

Le soir de l'accident de voiture dont Lady Diana est victime, Martine Monteil, patronne de la brigade criminelle de la PJ de Paris, hérite de l’enquête. Tout est mis en œuvre afin d’élucider l’énigme: accident ou attentat? Interview.

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Lady Diana

La Mercedes S280 conduite par Henri Paul s’est fracassée contre le treizième pilier du tunnel du pont de l’Alma. «J’ai immédiatement demandé qu’on ne la lâche pas d’une semelle, dit Martine Monteil. On s’est dit qu’il pouvait y avoir eu une défaillance. C’est pour ça qu’elle était si précieuse à examiner.»

DR
Didier Dana

- Dans la nuit du 30 au 31 août 1997, un coup de fil vous informe d’un accident sous le pont de l’Alma. A partir de là, que se passe-t-il?
- Martine Monteil: Je suis le patron de la brigade criminelle de la police judiciaire de Paris, le 36, quai des Orfèvres. C’est la plus importante et la plus célèbre. Il est environ 1 heure du matin lorsque l’état-major m’informe d’un accident grave mêlant des personnalités: la princesse de Galles et son ami du moment, Dodi al-Fayed. Henri Paul, le conducteur, est mort. Le garde du corps est atteint. Lorsque j’arrive sur place, Dodi vient de décéder. Diana est très grièvement blessée. Le préfet de police, le directeur de la police judiciaire et le parquet considèrent que c’est un service comme le mien qui peut prendre en charge l’enquête et je suis saisie de l’affaire.

- Etait-ce évident?
- Non. Mais je ne m’y suis pas opposée. C’est une affaire sensible qui va être suivie mondialement. Habituellement, la brigade criminelle est chargée des actes terroristes ou des assassinats, elle dénoue des affaires complexes sur des mois et même des années. Je dis à mes équipes: «Il ne faut pas que le dossier souffre du syndrome de Marilyn Monroe et que, dans trente ans, on dise: «C’est bizarre, il y a des manquements, des choses n’ont pas été faites.» On doit travailler vite, de façon précise et irréprochable. L’un d’eux m’a lancé: «Vous nous demandez une enquête Hermès.» Soit du cousu main. J’ai dit: «Vous avez compris, et dans les meilleurs délais.» J’ai distribué le travail. Chaque groupe était chargé d’une mission. L’un s’est focalisé sur M. Paul. Pourquoi était-il au volant? Il n’est pas chauffeur. Il y a eu des milliers de PV, des milliers de témoins entendus, 1350 appels téléphoniques examinés pour la seule nuit des faits. Un travail monstrueux débute. J’ai demandé qu’on ne lâche pas la Mercedes S280 d’une semelle, jusqu’à l’IRCGN (l’Institut de recherche criminelle de la gendarmerie nationale) chargé de l’examen des véhicules. On s’est dit qu’il pouvait y avoir eu une défaillance. C’est pour ça qu’elle était si précieuse à examiner. Je voulais la préserver, sous scellés, chez les gendarmes.

- Combien de temps durera l’enquête?
- Quatorze mois à un rythme dégressif. Au départ, j’ai poussé les régimes. On a eu beaucoup d’éléments. Cinq mois d’enquête à 40 personnes, ça dépote. Je n’ai été motivée que par une seule chose: éclaircir toutes les zones d’ombre. La méthode rouleau compresseur, c’est comme ça que l’on baptise la brigade criminelle. Assez vite, on comprend qu’on a affaire à un simple accident et que M. Paul n’est pas un agent secret. Fait inhabituel, je vais faire venir mon alter ego de Scotland Yard et ses collaborateurs. Ils ont eu accès à tout.

- Sur les lieux, quel est votre premier sentiment?
- J’ai un sentiment de tristesse parce que je comprends que Diana, la personne iconique dans cette voiture, est surtout une jeune mère de famille. On a tout de suite voulu comprendre le déroulé de l’accident. Les brigades spécialisées ont pris les mesures. Le bitume a été passé au tamis. J’ai trouvé de toutes petites perles fines d’un bracelet de la princesse. Et on a découvert des débris de feux rouges avant d’entrer dans le tunnel. On s’est dit: «Bizarre, il y a eu un accrochage… Et si la Mercedes avait heurté quelqu’un?» Sur le côté droit de l’aile, il y avait effectivement une traînée blanche.

- Que faites-vous des paparazzis?
- Ils sont interpellés. Avaient-ils priorisé les photos plutôt que la demande de secours? Il fallait éplucher toute la téléphonie afin de savoir ce qui s’était passé sur place et ce que contenaient les images. Ils ont relaté ce qu’ils avaient vu depuis le Ritz. Dodi avait organisé un leurre pour les semer en ne prenant pas la voiture habituelle avec son chauffeur, mais M. Paul, le chef de la sécurité, qui se trouvait là par hasard. Célibataire et en congé, il était au bar du palace. Il a dit: «D’accord, je vous rends service.» Voilà comment c’est parti. Malgré ce stratagème, tout le monde était derrière la Mercedes.

- M. Paul roulait-il trop vite?
- Il n’a jamais brûlé de feux. Une fois rattrapé, il a accéléré en disant: «Je vais les perdre.» Sa vitesse au moment de l’impact avoisine les 110 km/h, c’est beaucoup en regard d’un léger virage en dévers qui a fait décoller l’auto. Et il y a eu le choc, très léger, avec la Fiat Uno. M. Paul heurte le trottoir, comme l’atteste une trace de pneu importante, sur la gauche, à l’entrée du tunnel. Là, il a commencé à perdre le contrôle. Sa voiture est partie en vrille, jusqu’au treizième pilier du tunnel du pont de l’Alma.

- Pourquoi, à une exception près, est-ce que personne n’est attaché?
- Ils sont partis en hâte. Ils se rendaient près de l’Arc de triomphe, rue Arsène-Houssaye, chez Dodi. C’est trois fois rien, à peine cinq minutes. Voilà l’erreur. Le seul qui a des réflexes, c’est Rees-Jones, le garde du corps. Comme il est toujours assis à la place du mort, il boucle sa ceinture.

- La Mercedes était-elle défaillante?
- L’enquête prouve le contraire. Son bon état a été confirmé. Nous-mêmes avions des doutes. Elle appartenait à une société de limousines servant au convoyage des clients de l’hôtel, propriété du père de Dodi. Elle avait été accidentée et refaite. L’IRCGN et Mercedes ont fait quatre à cinq expertises en examinant tout, fil par fil. Une des boucles d’oreilles de la princesse restait introuvable. Nous nous devions de tout restituer au prince Charles. Les gendarmes l’ont finalement retrouvée… dans le moteur.

- Le conducteur était-il ivre?
- Son taux d’alcool a été prélevé deux fois à 1,80 et quelque et 1,74 pour mille. Il était imprégné mais pas saoul. Selon Rees-Jones, il avait bu «deux verres d’une boisson jaune», du Ricard. Il était sous antidépresseurs, du Prozac notamment, et cela a amplifié les effets selon les médecins.

- La police a-t-elle surveillé le corps de Diana?
- Nous ne sommes pas médecins, mais enquêteurs. Je n’ai envoyé qu’un procédurier, qui a fait le lien avec l’institut médicolégal. Le professeur chargé des autopsies n’a fait qu’un examen médicolégal de surface sur Diana.

Martine Monteil

Le soir du drame c'est Martine Monteil, patronne de la brigade criminelle de la PJ de Paris, qui hérite de l’enquête. 

Getty Images

- D’aucuns pensent qu’elle était enceinte. Etait-ce le cas?
- Je l’ignore.

- Une dépêche de l’agence AP mentionne une page du dossier faisant état de sa grossesse dans laquelle sont mentionnés plusieurs ministres et vous-même.
- Oui. J’en ai eu copie. J’étais bien dessus. Mais le document était factice.

- Etiez-vous tenue de le savoir?
- Non. Les dossiers médicaux étant préservés, on n’y a pas accès. Nous, nous étions face à une énigme: était-ce un accident ou pas? J’en reviens à Marilyn, dont l’enquête a sans doute été volontairement très mal faite. C’est un mauvais calcul, puisqu’on en parle encore, en émettant des doutes sur les Kennedy. Les Anglais vont refaire l’enquête derrière nous quelques années plus tard. Ils arriveront aux mêmes conclusions. Ils me diront: «On a vu comment vous avez travaillé. Mais pour le peuple anglais, il fallait qu’on refasse tout.» J’ai reçu le super-préfet Lord Stevens à Paris. Il s’excusait presque. Nous, nous étions sereins.

- Dans l’hypothèse d’un attentat, un tel scénario serait-il possible?
- Tout est possible, mais il faut une chaîne de complicités. Dans ce cas, le Ritz ferait partie du scénario? C’est-à-dire qu’on ne les fait pas monter dans la voiture officielle, mais dans l’autre que l’on va piéger… Si cela avait été le cas, la voiture aurait parlé. Je me suis dit quelquefois: «Et si j’avais trouvé quelque chose de suspect?» On aurait sauté dessus! Le but, c’est précisément que rien ne puisse être étouffé. Moi, j’aurais voulu savoir qui aurait pu faire une saloperie pareille.

- La piste de la Fiat Uno a-t-elle été élucidée?
- Je réponds toujours non, par honnêteté. Nous sommes partis à sa recherche à partir de l’analyse de la peinture et des débris qui ont fourni des dates: une Fiat de phase 1 construite entre 1983 et 1989. On en dénombrait 113 000 en Ile-de-France. Comme les témoins parlaient d’une immatriculation dans l’Ouest, on s’est fixés sur deux départements et 4000 véhicules. A chaque fois, il fallait retrouver le propriétaire. Or un individu venait de faire repeindre sa Fiat blanche en rouge. D’après les témoignages, un chien était à l’arrière. Et comme il était maître-chien, ça ne nous a pas déplu. Mais il avait un alibi qu’on ne pouvait pas démolir: il travaillait la nuit de 19 heures à 7 heures du matin. Malgré de fortes présomptions et sans témoins, on n’a jamais pu l’accrocher.

- A quel moment Trevor Rees-Jones a-t-il été entendu?
- J’y suis allée personnellement. Il sortait de dix jours de coma artificiel. C’était notre seul témoin survivant. L’idée était d’essayer de lui faire remonter le temps. Il présentait de nombreuses cicatrices sur le visage après une lourde opération réparatrice. Il m’a raconté les faits jusqu’à l’accident, comment ils sont partis, la poursuite et, d’un coup, c’est le grand vide. Il ne se souvenait de rien.

Lady Diana

Le soir du drame, Diana et Dodi al-Fayed ont été filmés par les caméras de surveillance du Ritz. Pour semer les paparazzis, il décide de changer de voiture et de conducteur. Un stratagème fatal.

Keystone

- Comment a-t-il pu heurter le pare-brise en étant attaché?
- Un corps qui subit un choc à grande vitesse voit son poids démultiplié. Au moment de l’impact, celui de Diana pesait 2 tonnes. Elle a poussé le siège de Rees-Jones et, malgré sa ceinture et l’airbag, il a heurté le pare-brise. Le professeur m’a dit que la princesse ne semblait pas abîmée en apparence, mais des ligaments internes avaient été sectionnés. C’était terrible.

- Mohamed al-Fayed, le père de Dodi, a crié au complot, accusant le prince Philip, les services secrets britanniques…
- Il nous a, pardonnez-moi l’expression, pourri la vie pendant l’enquête chaque fois qu’il balançait des rumeurs. Une équipe d’anciens de la criminelle travaillait pour lui. Il y a eu un incident sérieux…

- C’est-à-dire?
- Je respecte le deuil et la douleur d’un père. Mais il s’est accroché à tout, quitte à inventer. Il a fait travailler une petite équipe dirigée par un ancien collègue à moi, mon premier patron à la brigade criminelle lorsque j’étais stagiaire. Ce commissaire à la retraite était, avec quelques anciens de la Crim, détective privé pour Al-Fayed. Un jour, après une visite dans un garage, l’un de mes hommes m’a appelée en m’informant que le propriétaire leur était rentré dedans en déclarant: «Y en a marre! Je viens juste de voir vos collègues.» Comme j’avais entendu parler de cette officine, j’ai convoqué mon ex-patron. Je lui ai dit: «Que vous travailliez pour Al-Fayed, OK. Le problème, c’est que vous polluez et que vous nuisez à l’enquête judiciaire. C’est grave. Faites ce que vous voulez, mais si ça se renouvelle, c’est le magistrat qui vous convoquera, pas moi.» Après, je n’en ai plus jamais entendu parler. Al-Fayed ne voulait pas que son fils soit mort d’une façon normale. Aussi bête qu’il soit, ça reste un accident. Il faudra s’y faire! C’est une mort banale pour des gens qui, eux, ne l’étaient pas.

Par Didier Dana publié le 31 août 2022 - 07:53