Les paparazzis: la fin d’un âge d’or
«La disparition de Diana nous a tous marqués et a changé notre façon de voir les choses. […] Bon nombre d’entre nous ont raccroché», confiait l’an dernier le photographe Daniel Angeli à propos des paparazzis, sa spécialité. Christian Martinez, son employé à l’époque, fut l’un des premiers sur place. «Ça l’a détruit. […] On lui a proposé des ponts d’or pour tout raconter. Il ne le fera jamais.»
Désignés à la vindicte populaire, accusés de la mort de Diana par son fils le prince Harry, neuf paparazzis et un motard de presse seront aussitôt mis en examen pour «homicides et blessures involontaires» et «non-assistance à personnes en danger», mais la justice prononcera un non-lieu. Les causes réelles de l’accident? L’état d’ébriété du chauffeur Henri Paul et la vitesse excessive. A la fin de 2007, à l’issue du long feuilleton judiciaire, seuls trois photographes – Jacques Langevin, Christian Martinez et Fabrice Chassery – seront reconnus coupables «d’atteinte à l’intimité de la vie privée» en France pour avoir pris des photos du couple dans la Mercedes quittant le Ritz. Chacun a été condamné à verser 1 euro au plaignant, Mohamed al-Fayed. A l’été 1997, la romance de Diana et Dodi est l’affaire à suivre. Toute la presse people est aux aguets. La photo du «baiser volé» sur le yacht des Al-Fayed, en Sardaigne, s’est négociée à 575 000 francs suisses! Diana mène un jeu ambigu avec les médias, qu’elle informe quand ça l’arrange…
Sous le tunnel de l’Alma, 17 photographes au total, tous arrivés en ordre dispersé après l’accident, seront dénombrés par la police. En moins d’un quart d’heure, neuf d’entre eux, identifiés – six seront inculpés immédiatement après fouille corporelle complète et saisie de leur appareil photo, suivies de trois jours de préventive, trois autres iront se livrer –, ont pris plus de 200 clichés. Seul le motard de presse Stéphane Darmon n’en a fait aucun. Nicolas Arsov, de l’agence Sipa, a, lui, «oublié» d’enclencher son flash… Darmon dira aux enquêteurs avoir été «choqué» par l’atmosphère. «Je ne voyais plus la voiture tant la lumière [des flashs] était brillante. C’était continu.»
Un couple de témoins ajoutera «avoir vu des photographes grimper sur le capot de la voiture» pour mitrailler. Autres détails désolants: l’expertise des portables révélera qu’aucun paparazzi n’a appelé les secours et, en 2012, la justice britannique établira que l’un d’entre eux a contacté, sur place, le chef photo du tabloïd anglais «The Sun» pour lui proposer ses clichés. L’annonce de la mort de Diana fera tout capoter. Photos maudites, restées inédites.
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Fabrice Chassery et David Ker: de suspects à syndicalistes
Le 31 août 1997, Fabrice Chassery et David Odekerken, alias David Ker, jeunes photographes mandatés par l’agence LS Presse, débarquent tour à tour sur le lieu du drame. «Je roulais sur les Champs-Elysées quand un collègue m’appelle pour me dire que la voiture de Diana s’est crashée, raconte le premier. A mon arrivée, les secours sont là. Je prends dix photos et je file à l’agence.» Chassery, Ker et Serge Benhamou, un autre paparazzi, à scooter lui, ne sont pas interpellés sur place par la BAC 75 Nuit. Ils se livreront ensuite.
Fabrice Chassery et ses confrères (concurrents) Jacques Langevin et Christian Martinez seront les seuls photographes condamnés, symboliquement. En janvier 1999, Odekerken, dit Ker, et Chassery, associés à Laurent Salmon, fondent l’agence KCS Presse, qu’ils dirigent encore. La cinquantaine désormais, ils assument aussi des responsabilités syndicales au sein de la Fédération nationale des agences de presse photos et informations (FNAPPI), dont David Ker est le vice-président et Fabrice Chassery le secrétaire général.
Trevor Rees-Jones: le garde du corps miraculé
«J’ai vu le passager avant la mâchoire coupée et tombante, le corps […] affalé sur l’airbag.» Le récit des témoins est glaçant. Trevor Rees-Jones, garde du corps âgé de 29 ans en 1997, est un miraculé. Unique passager ayant bouclé sa ceinture ce soir-là, cet Anglais, un ancien parachutiste entré au service des Al-Fayed en 1995, a le visage laminé. Pour le reconstituer, le chirurgien plasticien Luc Chikhani le maintiendra dix jours en coma artificiel. Le puzzle exigera 150 pièces en titane et un an de convalescence. Mohamed al-Fayed, son employeur (qu’il quittera en 1998), et la Santé publique britannique (NHS) se partageront la note. Rees-Jones rentre chez sa mère, dans le Shropshire, où il travaille un temps dans un magasin de sport. En 2000, il publie «The Bodyguard’s Story», pour dire… qu’il n’a aucun souvenir du drame. Il rejoint ensuite le département du maintien de la paix de l’ONU, puis la société pétrolière américaine Halliburton en Irak. A 54 ans, il est aujourd’hui chef de la sécurité du groupe pharmaceutique AstraZeneca sous le nom, raccourci, de Trevor Rees.
Henri Paul: l’improbable chauffeur en état d’ébriété
Chargé de la sécurité au Ritz, alors propriété des Al-Fayed, Henri Paul, 41 ans, est un employé zélé, chauffeur à l’occasion. Ce 30 août, le boss lui a donné sa soirée, mais il est là. Il boit quelques verres en dînant, siffle deux Ricard au bar. Depuis un échec sentimental, Henri Paul picole. Il est sous Prozac. Ce soir-là, il est enjoué. Méconnaissable. Quand il reçoit l’ordre d’exfiltrer Diana et Dodi, il s’exécute. Filant en trombe par l’arrière du Ritz, rue Cambon, il fait un pied de nez aux (rares) paparazzis qui ont flairé l’astuce. Il l’ignore, mais la Mercedes qu’il conduit, bien qu’en bon état, a déjà été accidentée. Sa vitesse avoisine 110 km/h au moment du choc. Sans ceinture, avec 1,74 g d’alcool et des traces d’antidépresseur et de somnifère dans le sang, Henri Paul est tué sur le coup.
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Frédéric Mailliez: le médecin urgentiste arrivé le premier sur les lieux
«Je serai toujours le premier-médecin-auprès-de-Diana-après-l'accident», confie Frédéric Mailliez à «Libération» en 1998. A l’été 1997, il travaille pour SOS Médecins et le SAMU de Garches. Cette nuit du 30 au 31 août, il rentre d’un dîner et emprunte le tunnel de l’Alma. L’accident vient de se produire, en sens inverse. Il s’arrête, appelle le SAMU, les pompiers, et rejoint l’épave fumante où deux hommes sont morts. Il se concentre sur la femme assise à l’arrière, qu’il ne reconnaît pas. Il confiera après coup avoir été interloqué par la présence des photographes, en précisant n’avoir jamais été gêné dans son travail.
«Je lui lève un peu la tête, je lui permets de respirer un peu mieux avec mon masque respiratoire. Son visage était intact.» Quand les pompiers arrivent, suivis du SAMU, le Dr Mailliez s’en va… sans avoir identifié sa patiente. Diana est installée à 1h18 dans l'ambulance, mais ce n’est qu’une fois stabilisée, à 1h41, qu’elle pourra enfin être emmenée à l’hôpital. Frédéric Mailliez comprendra qu’il a eu affaire à Diana en écoutant la radio, plus tard ce jour-là. «Mes mots ont probablement été les derniers qu’elle a entendus», dira le médecin, qui exerce aujourd’hui comme généraliste, à Roissy, Saint-Denis et Niort.
Xavier Gourmelon: le pompier qui lui a tenu la main
En 1997, Xavier Gourmelon était sergent sapeur-pompier. Il se souvient: «Nous étions tout proches du lieu de l’accident, on est arrivé en moins de trois minutes.» Il prend la place du Dr Mailliez auprès de Diana. «Je lui ai tenu la main. Elle a dit: «Mon Dieu, que s’est-il passé?» Puis son état a empiré. «Elle a cessé de respirer. Je lui ai prodigué un massage cardiaque et elle a respiré de nouveau. […] J’étais convaincu de lui avoir sauvé la vie.» En 2021, ce Breton âgé maintenant de 55 ans dirigeait les services d’urgences de l’aéroport de Brest.
Le Van Thanh: le conducteur de la Fiat Uno blanche
Agé de 22 ans en 1997, Le Van Thanh, Français d’origine vietnamienne, est le propriétaire de la fameuse Fiat Uno blanche restée longtemps introuvable, qui nourrira la thèse du complot. Dans la descente du tunnel de l’Alma, ce monteur en robinetterie devenu vigile roule peinard, son rottweiler assis derrière lui, quand la Mercedes S280 le percute par l’arrière, côté gauche, à pleine vitesse, freine et se déporte. Perte de contrôle. Crash.
A 0h32, deux témoins roulant en sens inverse, les époux Dauzonne, voient la Fiat quitter lentement le tunnel en zigzaguant, le regard du conducteur rivé sur son rétroviseur. Le Van Thanh est impliqué malgré lui, mais il file. Apprenant ensuite l’identité des victimes, il appelle, paniqué, son frère Dung, mécano. Le duo repeint la Fiat au spray rouge dans la nuit. Le Van Thanh fournira un alibi aux enquêteurs français contesté par l’enquête anglaise. Il n’ira pas témoigner. Aujourd’hui âgé de 46 ans, il fréquente le milieu culturiste parisien.
Monsef Dahman: le chirurgien qui l’a opérée
Transférée à l’hôpital de la Pitié-Salpêtrière (XIIIe arr.), Diana se retrouve entre les mains du Dr Monsef Dahman, 33 ans, qui a commencé sa garde dix-huit heures plus tôt. L’anesthésiste en chef le réclame au bloc vers 2 heures. Diana souffre d’une «hémorragie interne très sérieuse». Sous l’impact, son cœur a été déplacé de l’autre côté de sa poitrine. La veine pulmonaire a été déchirée. Son état est désespéré. Vers 2h15, elle fait un arrêt cardiaque. Massage. Ouverture du thorax. Le Pr Alain Pavie, sommité de la chirurgie cardiaque, supervise. «Cette dame, j’ai eu son cœur entre les mains, raconte le Dr Dahman. Nous nous sommes battus, nous avons tout essayé.» En vain. Diana, qui n’était «pas enceinte», précise-t-il, est morte. Le décès est prononcé à 4h25. Aujourd’hui âgé de 58 ans, Monsef Dahman, chirurgien viscéral et digestif, exerce à l’hôpital d’Antibes.
Le Père Yves-Marie Clochard-Bossuet: le prêtre au chevet de Diana
Il s’était porté volontaire comme aumônier de service à la Pitié-Salpêtrière pour le week-end. Il n’oubliera jamais. Dix heures durant, jusqu’à l’arrivée du prêtre anglican Martin Draper et de la famille (les deux sœurs de Diana et le prince Charles), il veillera la dépouille de Diana. Il dort déjà, cette nuit-là, quand un responsable des urgences l’appelle à 2 heures du matin. «Je voulais savoir qui j’allais devoir veiller», confiait-il l’an dernier au «Figaro». On l’informe. «Je savais qu'elle avait deux petits garçons. J'imaginais qu'on allait les réveiller pour leur apprendre sa mort… Cela m'a choqué.» A l’hôpital, il voit défiler les officiels. Après l’intervention des thanatopracteurs, dit-il, Diana, une photo de ses fils entre les mains, avait l’air d’«une poupée».
Et tous les autres… Ils étaient aussi dans le tunnel cette nuit-là
Au moins 13 témoins oculaires seront interrogés par le juge d’instruction Hervé Stéphan et une consœur, dont Thierry Hackett, un motard français qui a vu la Mercedes se renverser, Belkacem B., un piéton accouru de l’extérieur du tunnel alerté par le bruit (le choc, puis le klaxon bloqué), Olivier Partouche, le couple Mohamed Medjahdi et Souad Mouffakir (cette dernière, suivant l’avis de son époux, niera avoir vu la fameuse Fiat blanche et son conducteur, puis se ravisera lors de l’enquête anglaise), Antonio Lopes-Borges, Portugais établi en France, et sa compagne Ana Simao, qui circulaient à bord d’une Peugeot verte et verront la Mercedes accidentée après avoir été bloqués derrière elle au feu rouge de la Concorde, enfin, les époux Georges et Sabine Dauzonne, à bord de leur Rolls-Royce – il est cadre financier à l’époque –, témoins clés qui identifieront formellement, lors de l’enquête anglaise, Le Van Thanh comme étant le conducteur de la Fiat. Citons encore les deux policiers arrivés les premiers sur place, Lino Gargliadone et Sébastien Dorzée, de la Brigade Ilot Nuit, qui patrouillaient dans le VIIIe arrondissement de Paris et seront aiguillés vers l’accident par des passants se trouvant hors du tunnel ayant entendu la déflagration et le klaxon bloqué.