Cela fait soixante ans que la Suisse est championne du monde des abris antiatomiques, en garantissant à chacun des habitants du pays une place. Et cela fait trente ans, depuis la fin du rideau de fer, que ces infrastructures sont surtout des sujets de plaisanterie, et semblaient avoir été reconverties pour l’hébergement des migrants ou en local de répétition pour les jeunes groupes de rock et de rap. Il n’a fallu qu’un discours de quelques minutes de Vladimir Poutine annonçant son invasion de l’Ukraine et menaçant de frappes nucléaires tout pays qui viendrait en aide à Kiev pour que ces coques souterraines de béton armé et ces portes blindées redeviennent dans l’imaginaire helvétique de potentiels radeaux de sauvetage.
Mais ces braves témoins de la guerre froide des années 1960 et 1970 seront-ils efficaces après tant d’années d’oubli et face aux menaces modernes? La page d’accueil de la protection civile (PC), sur le site web de la Confédération, n’est guère rassurante en démontrant que l’actualité n’a pas été prise au sérieux: «Aujourd’hui, la priorité n’est plus la menace de guerre mais les catastrophes et situations d’urgence», peut-on encore lire sur l’écran. Le spécialiste suisse de géopolitique et de stratégie, ancien professeur à l’Université de Zurich, Albert A. Stahel, interrogé par Swissinfo, est lui-même assez dépité par l’état de nos équipements. Selon lui, la Suisse n’est plus aussi bien préparée qu’autrefois face à l’utilisation d’armes nucléaires: «Nous étions bien protégés, mais, aujourd’hui, il n’en reste plus grand-chose», estime-t-il.
Ce constat n’est bien sûr pas partagé par l’Office fédéral de la protection de la population (OFPP) et par la protection civile. Voici les réponses que nous avons obtenues par e-mail de la PC du canton de Vaud à nos questions sur l’état du parc d’abris et du niveau de préparation au risque de guerre nucléaire.
- Notre parc d’abris antiatomiques est-il fonctionnel aujourd’hui en cas d’alerte?
- PC Vaud: Oui, les contrôles périodiques tous les dix ans ont pour but de s’en assurer.
- Tous les habitants auraient-ils une place en cas d’alerte?
- Oui, largement. Le taux de couverture de 97% qui est souvent communiqué ne tient pas compte des lits disponibles dans les constructions de protection civile ainsi que dans les centres sanitaires protégés. En les additionnant aux abris communaux et privés, le taux de couverture dépasse les 100%.
- Quelle proportion respective en termes de places entre abris collectifs (PC et grands immeubles) et abris individuels (villas, petits bâtiments, etc.)?
- Il existe dans le canton de Vaud plus de 26 000 ouvrages de protection permettant d’accueillir l’ensemble de la population. Plus de 25 000 objets sont des abris privés obligatoires destinés à la population. Ce sont les abris que l’on trouve sous les maisons d’habitation.
A côté de ce parc d’objets privés, la protection civile dispose de plus de 300 abris publics communaux destinés à la population, c’est-à-dire aux personnes qui n’auraient pas une place dans un abri privé, et de 105 constructions protégées qui sont exclusivement destinées à la protection civile, aux partenaires de la protection de la population et aux organes de conduite que l’on peut regrouper dans quatre catégories: 1) les postes de commandement, 2) les postes d’attente, 3) les centres sanitaires protégés et 4) les unités d’hôpital protégé.
- L’impression que beaucoup d’abris, même publics, sont aujourd’hui utilisés pour des usages variés (local de répétition, entrepôt, etc.), sans parler des abris dans un état de décrépitude totale, est-elle justifiée?
- Oui, et c’est normal que ce soit le cas en temps de paix. En revanche, en cas de nécessité, ceux-ci doivent être vidés et préparés sous un délai de cinq jours ou moins en fonction de la menace. Les abris sont contrôlés tous les dix ans, afin de vérifier l’étanchéité des portes et des murs. Ils ne sont donc pas dans un état de décrépitude.
- Que doivent savoir les habitants sur le sujet et où peuvent-ils trouver ces informations?
- Les informations se trouvent sur le site vd.ch, sur le site de l’OFPP et sur le site www.alert.swiss.
- Quel espoir de protection ces infrastructures peuvent-elles entretenir en cas de frappe nucléaire à proximité?
- La structure et la conception des abris sont prévues pour protéger les occupants contre le souffle et l’irradiation causés par l’explosion d’une bombe atomique et les effets de celle-ci, notamment l’effondrement du bâtiment.
- Réserves de nourriture, d’eau, aération, filtres, autonomie énergétique… tout ce qui peut permettre à un abri d’être raisonnablement efficace est-il actuellement déjà assuré et en état de marche ou bien faut-il encore du temps pour réviser, équiper, approvisionner ces abris ou la plupart d’entre eux?
- Les ouvrages de protection sont équipés différemment s’il s’agit d’abris privés ou publics. De manière générale, l’équipement consiste en une aide à la survie. Dans certains ouvrages, on trouve des structures de lits à monter et de toilettes à sec, mais ceci n’est pas une règle générale, en particulier en ce qui concerne les abris privés.
C’est aux personnes qui occupent l’abri qu’il revient la responsabilité d’emporter avec elles les effets personnels nécessaires pour une occupation de 48 à 72 heures, notamment effets de toilette, vivres et lampe de poche. Pour garantir la liaison avec l’extérieur, il faut s’équiper d’une radio à piles.
- La protection civile est-elle actuellement en train de plancher sur des scénarios de guerre nucléaire en raison de l’actualité internationale?
- Ce n’est pas une problématique qui est entre les mains des cantons, c’est l’armée et l’OFPP qui sont en charge de ces scénarios. La tâche des cantons est de se tenir prêts, et avoir des abris fonctionnels en fait partie, mais c’est à la Confédération d’ordonner une éventuelle montée en puissance.
- La Confédération s’est-elle manifestée ces derniers jours auprès des sections cantonales de la PC?
- Oui, nous avons des échanges avec l’OFPP, qui nous a recommandé de mettre à jour nos planifications.
Voilà pour le discours officiel. Il faut surtout espérer que la Centrale nationale d’alarme (Cenal), l’organisme fédéral qui assure une permanence 24 heures sur 24 et 365 jours par année, ne devra jamais faire sonner les 7000 sirènes du pays en raison d’une information d’attaque nucléaire.