1. Home
  2. Actu
  3. A pied d'Yverdon-les-Bains aux Balkans, un an de voyage avec deux chevaux et un chien pour compagnons
Rencontre

A pied d'Yverdon-les-Bains aux Balkans, un an de voyage avec deux chevaux et un chien pour compagnons

En 2020, cette jeune Vaudoise était partie d’Yverdon-les-Bains avec ses deux chevaux et son chien pour un périple de treize mois qui les a menés jusqu’aux Balkans. Une aventure tout en douceur et en pleine pandémie.

Partager

Conserver

Partager cet article

Manisha

En 2020, Manisha était partie d’Yverdon-les-Bains avec ses deux chevaux et son chien pour un périple de treize mois qui les a menés jusqu’aux Balkans. 

Manisha Berger

Dans la frénésie du monde, certaines personnes décident de marcher à contre-courant. Un pas après l’autre, lentement, forçant le respect. Manisha Berger est de celles-ci. Durant plus d’une année, de septembre 2020 à octobre 2021, la jeune habitante de Grandson (VD) a mené seule sa «caravane silencieuse» composée de son jeune chien, Haku, et de ses deux chevaux, Yaméa et Tao. Un aller-retour, de la Suisse jusqu’aux Balkans.

Six mois ont filé depuis. Elle est assise sur la terrasse de sa maison solidement arrimée à la pente, les jonquilles alentour signalant que la terre s’éveille. «Il n’y a pas eu de déclic. J’ai randonné seule pour la première fois en autonomie à 17 ans. J’ai compris que c’était difficile mais surtout génial, et j’ai eu envie de continuer.» Quelques semaines par-ci, un tour de Suisse par-là… Puis, un jour, l’envie de s’en aller plus loin, plus longtemps. Mais pourquoi les Balkans? «On a tous des attirances pour certaines régions qui ne s’expliquent pas, je crois», souffle Manisha Berger, l’ombre de ses boucles dansant sur ses yeux.

Il lui faudra un an de préparation: étude de l’itinéraire, achat de matériel, entraînement des chevaux… Sa jument Yaméa vit à ses côtés depuis sept ans, mais Manisha acquiert un deuxième cheval exprès pour l’expédition, Tao. Elle le rencontre au Refuge de Darwyn, à Genève. A 9 ans, le petit hongre bai n’a pas fait grand-chose de sa vie; il faut lui apprendre, lui donner confiance. «Mais j’étais moins préoccupée par lui, car j’ai toujours travaillé avec les chevaux. Par contre, le chien, nous l’avons pris tout jeune avec mon compagnon. Heureusement, avec le voyage en tête, on a été très stricts dans le dressage et les efforts ont payé», explique Manisha, tournant la tête vers son berger suisse, œil doux et pelage de neige.

Manisha

Manisha Berger espérait mener sa caravane par le col du Nufenen avant la neige… C’est raté, mais l’équipe passe sans trop d’encombres. La randonnée, ce n’est pas rose tous les jours, il faut marcher par tous les temps.

Manisha Berger

Mais un tel périple, c’est aussi un budget. Sellerie, matériel de maréchalerie, caisses, tente, affaires de pluie… La randonneuse économise en marge de son travail dans une petite ferme du coin, et sa famille lui donne «un coup de pouce». Elle établit un budget de 20 000 francs pour subvenir à ses besoins. Finalement, elle n’utilisera que la moitié. «On m’a tellement offert, partout où je suis allée!»

Et le 20 septembre 2020, entre deux confinements, c’est le départ. La pandémie l’a-t-elle fait hésiter? «Jamais. De toute façon, je ne pouvais plus reculer. J’avais démissionné, tout lâché, acheté un deuxième cheval…» Elle quitte Yverdon-les-Bains avec son compagnon, Yassin, qui l’escorte durant une journée. «J’étais très triste. Je savais que je voulais le faire et que je ne reculerais pas, mais… je n’aime pas être seule. Et en même temps, c’est tellement intéressant. C’est là que je peux aller au fond de moi, et que je peux grandir.»

Après une semaine «de rodage» et une escale chez ses parents, du côté de Bex, Manisha et son équipe se lancent vers l’inconnu avec le col du Nufenen pour premier obstacle.

Manisha

Manisha Berger entourée de Tao (gauche) et Yaméa (droite). Le trio coule désormais des jours paisibles à Grandson.

Darrin Vanselow

Manisha espère passer les 2478 mètres qui séparent le Valais du Tessin avant la neige, mais le manteau blanc, même léger, lui donne du fil à retordre. La route du col est parsemée de congères, l’œuvre du vent durant la nuit. «Yaméa marchait seule devant, je la laissais souvent faire, car elle a le pied très sûr. Là, elle s’est enfoncée jusqu’au ventre, elle a dû faire des bonds énormes pour s’extirper!» Heureusement, plus de peur que de mal.

En Slovénie, malgré des directives sanitaires strictes et une certaine distance, on lui offre des abris pour la nuit, du foin et toujours de quoi se sustenter. «Il y a eu quasiment six mois sans herbe, chaque jour je devais toquer chez des gens. Ça demande beaucoup de courage. Si je n’avais pas eu de chevaux, je ne l’aurais pas fait. Mais c’est incroyable, parce que ça force les rencontres.»

Plus loin dans les Balkans, les douaniers sont même à la fête lorsqu’elle approche. A la frontière entre la Bosnie et le Monténégro, au sommet d’un col, on la fait passer devant tout le monde. «Ils ont signé les papiers nécessaires et tous les douaniers sont sortis prendre des photos. Il y en a même un qui a couru me chercher un paquet de biscuits, un autre, un pot de yogourt...»

Manisha

L’épopée demandait un peu de matériel. Ici, la selle de randonnée côtoie le réchaud qui servait aux repas du soir de Manisha… et parfois à ceux de Haku.

Darrin Vanselow

Une générosité qu’elle retrouvera chez chacun de ses hôtes, tout au long du périple. En revanche, sur le trajet du retour, le passage en Serbie pose problème. Elle arrive du Kosovo, et il manque des tampons pour la laisser continuer. La caravane silencieuse est bloquée un mois entier avant de pouvoir se remettre en marche… En camion jusqu’en Autriche, puisque la traversée de la Hongrie est interdite. «Attendre, c’est horrible, et je ne contrôlais plus rien. Des gens adorables m’ont trouvé un endroit où loger et les chevaux ont eu à manger gratuitement. Mais il faisait 38°C à l’ombre, Yaméa et Tao étaient assaillis d’insectes», se rappelle Manisha Berger.

Bien qu’amer, l’épisode n’entache pas tous les moments d’exception que la troupe a vécus au fil des mois. Même lorsque les conditions étaient rudes. Il en va ainsi de cette nuit de pleine lune à camper dans une ruine cerclée de neige, avec le hurlement des loups pour compagnie. Les variations d’ocre, de violet, de rouge et de vert sur les sommets d’Albanie à l’arrivée du printemps et ses lumières changeantes.

Ou encore… le calme du cheminement sous la pluie. «On est souvent à l’intérieur lorsqu’il pleut. Là, sous ma cape, je me sentais privilégiée d’observer les paysages en les ayant rien que pour moi. Ce sont de petits instants de grâce.» Tout comme ses rituels à la nuit tombée. Lorsqu’elle n’est pas invitée pour loger, Manisha allume un feu et cuisine «de bons petits plats» devant sa tente. Les épiceries ne manquent pas et la solidité des caisses l’autorise même à acheter des œufs de temps en temps.

Manisha

La pluie est aussi apaisante que redoutable une fois que l’humidité a pénétré les affaires.

Manisha Berger

Le retour en Suisse se fait progressivement, à un rythme toujours plus lent. La jeune femme décide de s’arrêter dans des fermes pour donner un coup de main, se former à la traction animale. Et l’itinéraire se conclut le 4 octobre 2021 par une soirée entourée d’amis au sommet du Montéla. On l’aperçoit depuis sa maison, droit en face, au bout du doigt qu’elle tend. C’est juste avant d’atteindre ce point final que l’émotion la submerge, alors qu’elle écoute un épisode enregistré au début de son voyage pour une émission de la radio romande. «Là, j’ai réalisé que l’on avait fait tout ça, que l’on rentrait en sécurité. Je sanglotais, mes chevaux broutaient, mon chien me regardait sans comprendre», raconte-t-elle, les yeux rieurs.

Ce voyage ne l’a pas changée, dit-elle, mais lui a plutôt apporté des «confirmations» quant à ses valeurs. «Je n’ai rencontré que des gens merveilleux. C’est la peur qui engendre le mépris de l’autre. Le voyage déconstruit ça», résume-t-elle, tout en restant consciente que son passeport à croix blanche lui a octroyé de nombreux privilèges.

Pour Manisha, le moment était venu de rentrer. Comme si un cycle s’était complété. Désormais, elle se sent «à [sa] place» en compagnie de ses bêtes et de Yassin. Même si... elle avoue s’être surprise récemment à regarder où ses pas l’emmèneraient la prochaine fois.

Par Marion Police publié le 8 avril 2022 - 16:00