En cette matinée de janvier glaciale, la température affiche -7°C au Plan du Fou (Haute-Nendaz), point névralgique du domaine skiable des 4 Vallées. A 2430 mètres d’altitude, Yvan Morath, le chef technique de la formation des chiens d’avalanche en Valais, et sa chienne Bali guettent l’arrivée d’une équipe un peu particulière. Quatorze conductrices et conducteurs de chien sont partis une heure plus tôt avec une mission: remonter à skis de randonnée et peaux de phoque – en moins de 90 minutes – les quelque 700 mètres qui séparent Siviez du Plan du Fou.
Ces binômes sauveteurs participent au cours cantonal de l’Organisation cantonale valaisanne des secours (OCVS). Durant près d’une semaine, les bipèdes et leurs quadrupèdes seront mis à l’épreuve, formés et guidés pour devenir peut-être – au bout de trois longues années de formation – aptes à partir en intervention.
Arrivées au sommet, Nicole Langenegger Roux et sa chienne, un berger blanc suisse à la fourrure immaculée, reprennent leur souffle. «Il a fallu trouver le bon rythme, gérer l’effort et canaliser l’énergie de Shiro», explique-t-elle en réajustant ses gants. C’est le premier camp de cette aspirante conductrice de chien qui, à la ville, est directrice de la Haute Ecole supérieure de travail social en Valais. Car, comme l’ensemble des participants et des membres de l’encadrement, la quinquagénaire est une milicienne. C’est sur son temps libre et ses vacances qu’elle se forme à venir en aide aux victimes d’avalanche.
Un engagement de chaque instant
En vingt ans, le nombre de sauveteurs à quatre pattes a drastiquement chuté, passant de 300 à 100, dont la moitié est active en Valais, selon les chiffres communiqués par l’OCVS. Une tendance à la baisse qui s’explique par deux facteurs, selon Yvan Morath, bonnet bleu Air-Glaciers vissé sur la tête, portant une épaisse veste rouge surmontée d’un gilet fluorescent. «C’est un engagement très contraignant avec des exigences élevées. Les conducteurs de chien s’entraînent tous les week-ends. Durant la saison hivernale, ils sont de piquet une semaine par mois, c’est-à-dire qu’ils doivent être prêts à intervenir 24 heures sur 24 avec leur chien et leur matériel dans les minutes qui suivent l’alarme. Il faut avoir un patron qui vous permette de quitter le travail sur-le-champ.»
Aussi, il y a la démocratisation de l’utilisation des détecteurs de victime d’avalanche (DVA). «De plus en plus de personnes sont équipées, mais beaucoup ne savent pas les utiliser correctement. Et puis, quand la coulée survient sur un domaine skiable, les skieurs n’en portent pas forcément», ajoute l’instructeur.
Sur une des pistes, fermée pour l’occasion, Nala, Coca, Jack, Murphy et compagnie patientent plus ou moins sagement avant le deuxième test de la journée: le vol en hélicoptère. L’occasion d’échanger quelques mots avec Valérie Roos, 27 ans, maîtresse de Horus, un beauceron affublé... d’un masque de ski. «Il souffre de conjonctivite. Et puis le masque le calme et l’aide à se mettre en condition», assure-t-elle. Elle et son chien font partie des plus expérimentés; ils entament leur troisième année de formation. Un engagement que la jeune femme, grand sourire, ne regrette pas. «Au fil des années et des entraînements, on évolue et on grandit ensemble. C’est une expérience incroyable. J’aime la montagne. Il était naturel pour moi de mettre mon temps au service des autres. C’est certain, ça demande des sacrifices, même si je n’aime pas ce terme tant j’ai de la chance de vivre cette aventure avec mon compagnon de route.»
A 10 heures, l’hélicoptère d’Air-Glaciers vient se poser sur la piste. Après une brève formation dispensée par le pilote, cinq chiens se préparent pour monter tour à tour à bord de l’appareil afin d’être déposés sur une crête quelques centaines de mètres plus loin. Un exercice stressant; le bruit et le souffle de l’hélicoptère soulevant des bourrasques de neige lors de l’atterrissage impressionnent les futurs sauveteurs, qui n’ont qu’une envie: prendre leurs pattes à leur cou.
D’où l’importance de répéter ces exercices, de rassurer les canidés et de travailler la complicité maître-chien. On cueille Nala et sa maîtresse, Romaine May Dumoulin, une enseignante de 43 ans, à la sortie de l’engin. «Nala avait déjà fait l’exercice une fois. Ça s’est très bien passé, même s’il y a eu du stress au moment où l’appareil s’est posé. Une fois à bord, c’était nickel», dit-elle en caressant et félicitant son berger australien de 4 ans.
A 11 heures, dernier test de la matinée: la recherche de personnes et d’objets ensevelis sous la neige. Le terrain d’entraînement a été préparé quelques jours auparavant par une dameuse afin de créer des cavités dans lesquelles les figurants du jour viendront se cacher. Au top départ, les anges gardiens à quatre pattes s’élancent à toute allure, la truffe contre le sol. Imperturbables malgré la présence d’autres congénères, Nala et Shiro flairent une odeur en moins de trente secondes et repèrent les cachettes. Une fois les victimes localisées, elles se mettent à gratter frénétiquement le sol, les libèrent en les gratifiant d’une léchouille pas forcément désintéressée. Elles comptent bien obtenir la récompense suprême: des morceaux de cervelas.
«La recherche est un jeu, explique Yvan Morath. Les chiens sont stimulés avec des friandises, ils comprennent rapidement qu’ils reçoivent une récompense lorsqu’ils trouvent quelqu’un.» Quels sont les critères pour devenir un ange gardien à quatre pattes? «Il faut un chien qui soit joueur et gourmand. Toutes les races sont admises, avec toutefois une morphologie recommandée, répond l’instructeur. Le chien doit être assez puissant pour se déplacer dans des conditions difficiles, mais pas trop lourd pour pouvoir être porté à bout de bras dans l’hélicoptère. Entre 20 et 30 kilos, c’est le poids idéal.»
A l’heure du DVA, les chiens d’avalanche sont-ils voués à disparaître? «Non, ils restent un maillon indispensable de la chaîne de sauvetage», répond au téléphone Alexandre Briguet, chef du service opérationnel de l’OCVS. Durant la saison hivernale 2022-2023, les conducteurs de chien sont intervenus à 17 reprises. Si la probabilité de retrouver une personne ensevelie en vie est faible – une ou deux personnes ont été sauvées ces dix dernières années, estime le Valaisan –, celle de retrouver des corps est plus élevée. «Lorsqu’une personne n’est pas équipée d’un DVA, il n’y a pas d’autre moyen que le chien pour localiser une dépouille, si ce n’est attendre la fonte des neiges au printemps.» Il le concède, l’investissement de son organisation est important, «au moins 50 000 francs par année pour les 50 conducteurs de chien qui sont opérationnels en Valais. Mais si cela permet d’augmenter les chances de retrouver une personne en vie, il faut la saisir.»
Chiffres clés
14
Le nombre de binômes sauveteurs participant à cette semaine d’entraînement.
50 000 francs
Le coût de la formation, par année, pour les 50 chiens du canton, financée par l’Organisation cantonale valaisanne des secours.