De quoi parle-t-on?
L’initiative «Mieux vivre à la retraite» a obtenu 101 793 signatures valables, dont 34 660 en Suisse romande. Elle a été déposée en mai 2021 par l’Union syndicale suisse (USS) et demande le versement aux personnes touchant l’AVS d’une 13e rente, ce qui correspond à une augmentation de 8,3% de la rente annuelle. Concrètement, pour une personne seule, la pension mensuelle AVS s’élève à minimum 1225 francs et à 2450 francs pour une rente complète. Les couples reçoivent une rente commune de maximum 3675 francs par mois. Si le peuple dit oui, la rente annuelle maximale pour une personne seule passera de 29 400 à 31 850 francs et, pour un couple, de 44 100 à 47 775 francs. Depuis sa création en 1948, l’AVS a connu 11 révisions, dont cinq relèvements – le dernier lors de la huitème révision, en 1973. Depuis, la rente est plus ou moins adaptée à l’évolution des salaires et des prix.
Quel coût induirait la 13e rente?
Si l’initiative est acceptée, son coût est estimé entre 4 et 5 milliards. Qui s’ajouteraient aux 50 milliards que coûtent annuellement les rentes ordinaires.
Combien y a-t-il de rentiers AVS hors de Suisse?
Les chiffres font état de 800 000 bénéficiaires vivant à l’étranger, soit près d’un sur trois. Il s’agit de Suisses de l’étranger et de personnes étrangères retournées vivre dans leur pays après avoir travaillé en Suisse. L’AVS transfère chaque année près de 7 milliards de francs à l’étranger. Cette catégorie de personnes joue donc un rôle important dans la campagne de votation.
«Je pense aux générations qui en feront les frais»
Nicole de Rham, 65 ans, retraitée de Credit Suisse, Genève. Rente AVS partielle, 2100 francs par mois. Travaille en indépendante pour sa société de production.
«Je n’appartiens pas à la catégorie de retraités les plus à plaindre. Egoïstement, je trouve toutefois l’idée de recevoir une rente supplémentaire plutôt attrayante. A priori. Car dans un second temps, je pense aux générations qui devront financer cette assurance vieillesse dont la charge devient de plus en plus lourde. J’ai lu que son déficit était estimé à quelque 7 milliards de francs à l’horizon 2032. Où en sera-t-on dans quinze ou vingt ans? A ma connaissance, 3% des retraités souffrent de grande précarité. Cette proportion justifie-t-elle que tout le monde profite d’un relèvement? Je ne le pense pas. Les personnes les moins favorisées peuvent recourir aux prestations complémentaires. Accordons-leur des soutiens supplémentaires si nécessaire, mais ne mélangeons pas tout. En tout état de cause, je fais confiance au Conseil fédéral, qui n’est pas favorable à l’initiative, ainsi qu’au bon sens helvétique dont je suis particulièrement fière. Les gens sauront, je l’espère, aller au-delà de l’appât pécuniaire personnel que représente cette 13e rente.»
«Cette rente arrosoir, quelqu’un devra la payer»
Narcisse Crettenand, 69 ans, retraité Swisscom, Isérables. Rente AVS complète, 2450 francs par mois.
«Avec ma rente complète, un 2e pilier convenable que j’ai constitué durant ma carrière et les petits mandats que j’assume encore et qui me rapportent quelques centaines de francs par mois, on dira que je suis plutôt bien loti. C’est vrai. Cependant, ce n’est pas la raison qui me pousse à refuser cette initiative. D’abord, cette 13e rente qu’on peut qualifier d’arrosoir, puisque tous les retraités en bénéficieront, quelqu’un devra la payer. C’est forcément dans nos poches que la Confédération prendra l’argent. Selon moi, il y a d’autres moyens de rendre le système plus juste et plus efficace. En relevant par exemple la rente minimum, fixée à 1225 francs aujourd’hui. En automatisant l’accès aux prestations complémentaires aussi, pour celles et ceux qui y ont droit mais qui n’en font pas la demande, par ignorance ou par pudeur. Enfin, en conseillant aux jeunes générations d’anticiper les problèmes en cotisant le plus possible au 2e pilier – et au 3e pilier dans l’idéal. Personnellement, j’ai commencé à m’inquiéter de ma situation de futur retraité vers l’âge de 58 ans. C’est beaucoup trop tard. Prendre sa situation à bras-le-corps à 40 ans déjà permet de se constituer un vrai bas de laine. Cette initiative équivaut à dire: «Distribuons de l’argent à tout le monde, on ne sait pas comment on financera ce cadeau mais on trouvera bien, il y a assez d’argent en Suisse.» Ce raisonnement ne nous ressemble pas.
«Je considère cette 13e rente comme un droit»
Julia Maddalena Gonzalez, 79 ans, coiffeuse retraitée, Neuchâtel. Rente AVS et rente de veuve cumulées, 3000 francs par mois.
«J’ai travaillé toute ma vie. Comme femme de ménage, serveuse et enfin coiffeuse. A Porrentruy, à Tramelan et à Neuchâtel pendant trente-trois ans. J’ai donc modestement cotisé au 2e pilier et j’ai réussi à faire un peu d’économies, qui se tarissent à force de puiser dedans depuis quinze ans pour m’offrir un extra ou des vacances de temps en temps. De plus, je viens de me faire opérer d’une épaule, j’ai engagé à mes frais une personne pour m’aider dans mes tâches quotidiennes pendant quelques semaines. Quand j’ai payé mes charges fixes, la location de mon appartement et mes assurances, il me reste à peine 400 francs par mois sur mes rentes de 3000 francs. Pour la nourriture, l’habillement, les transports et un peu de loisirs. Quand je peux, je fais de petits dons à des requérants d’asile du centre fédéral de Perreux, à Boudry, auprès duquel je m’engage bénévolement. Après avoir tant travaillé, je considère cette 13e rente comme un droit. Malheureusement, en tant qu’Espagnole qui a été mariée à un Italien, je ne peux pas voter. Je suis éligible pour payer toutes sortes de taxes et d’impôts mais pas pour voter. Je ne peux que souhaiter que cette initiative soit acceptée. Le contraire me mettrait très en colère.»
«J’ai pratiquement dû renoncer à tous mes loisirs!»
Michel Gottraux, 73 ans, indépendant pendant trente ans mais retraité de la fonction publique, Gillarens (FR). Rente AVS partielle, 2080 francs par mois.
«Le bon côté de la retraite, c’est de pouvoir disposer à sa guise de son temps libre. Le moins bon, c’est que j’ai été contraint de passablement modifier mon mode de vie. Faute de moyens. Avant, j’allais de temps en temps à l’opéra, en voyage, je faisais pas mal de ski. Des loisirs auxquels j’ai pratiquement dû renoncer. Avec mes 2080 francs d’AVS et mes 850 francs de 2e pilier, je paie juste la location de mon appartement, mon téléphone M-Budget et les autres factures. Heureusement, les prestations complémentaires me paient l’assurance maladie, les frais médicaux supplémentaires et la redevance radio-TV. Le reste, les modestes extras que je m’offre de temps en temps, je les paie avec mes économies car je ne travaille plus du tout. Ce n’est pas les 25 francs d’augmentation par mois d’AVS consentis au cours des huit ans écoulés qui améliorent l’ordinaire. Si les partis bourgeois avaient accepté d’adapter les rentes l’année dernière, cette initiative ne serait peut-être pas d’actualité. Mais maintenant qu’elle est là, nous devons à tout prix saisir notre chance. La 13e rente ne fera que compenser la hausse réelle des prix que nous subissons depuis plusieurs années.»
«Je travaille encore par nécessité»
Philippe Bort, 73 ans, retraité d’ une société d’assainissement, Sion. Rente AVS complète, 2450 francs par mois.
«Faites le compte: 1700 francs de location plus 494 francs d’assurance maladie, il me reste 306 francs par mois pour vivre, payer mes factures et l’entretien de ma petite voiture. Heureusement, à côté, j’ai un reliquat de mon 2e pilier. Un petit pécule juste suffisant pour me barrer le chemin des prestations complémentaires. Donc, à 73 ans, pour gagner une partie des 1600 francs qui me manquent pour nouer les deux bouts en évitant de trop puiser dans mes économies, je travaille encore. Par nécessité. Dans un restaurant, où je donne des coups de main et à qui je loue ma patente. Je ne suis pas malheureux, il y a pire que moi. N’empêche que vivre décemment et dignement devient de plus en plus compliqué. Tout augmente. Les gens ne l’avouent pas volontiers, mais ils sont de plus en plus nombreux à tirer le diable par la queue. Il n’y a qu’à regarder les affluences aux soupes populaires et aux Cartons du cœur. La Suisse est riche, mais tous les Suisses ne le sont pas. Cette 13e rente permettra à de nombreux retraités d’être un peu moins pauvres. J’espère donc de tout cœur que l’initiative sera acceptée.»
«On travaille encore un peu pour ne pas se priver de tout»
Daniela et Jean-Luc Jordan, 69 et 71 ans, retraités actifs, Vionnaz. Rente AVS de couple complète, 3675 francs par mois.
«Nous sommes fâchés. Pas aigris, fâchés de voir notre pays si riche laisser des gens dans la précarité, des gens mal se nourrir ou même ne pas manger régulièrement faute de moyens. Nous avons une connaissance âgée de 80 ans contrainte de vivre avec sa petite AVS. Ça fait mal au cœur. Nous travaillons encore tous les deux pour éviter cette situation. Je suis coiffeuse et, à l’époque, j’ai puisé dans mon 2e pilier pour ouvrir mon commerce. Mon mari était poseur de cuisines indépendant. Il a cotisé mais tardivement. Avec notre rente complète et 900 francs par mois de 2e pilier, vous allez où? Du coup, on travaille encore un peu tous les deux afin de ne pas devoir se priver de tout. Nous ne sommes ni racistes ni jaloux, mais nous constatons qu’il y a plus de moyens pour les réfugiés que pour les Suisses qui ont bossé toute leur vie. Bien sûr, il y a les prestations complémentaires. Mais il faut presque mendier pour les obtenir, démontrer que nous sommes vraiment dans le besoin. C’est humiliant. Tout comme la campagne du non à l’initiative, financée par des gens aisés, des super-riches qui n’ont pas besoin de leur rente. Je le répète nous sommes fâchés. Et déçus.»
«Ce serait choquant de refuser»
Christophe Piguet, 68 ans, avocat en semi-retraite, Lausanne. Rente AVS de couple complète, 3675 francs par mois.
«Je trouve ce débat un peu mesquin. Non seulement le versement d’une 13e rente me paraît amplement justifié pour que la rente AVS ne perde pas sa raison d’être, mais il sera bienvenu pour les personnes vivant dans la précarité et qui doivent payer des factures toujours importantes en fin d’année. A mes yeux, ce serait choquant de la refuser, humiliant même pour celles et ceux qui ont travaillé toute leur vie et peinent à joindre les deux bouts. Pour moi qui suis peut-être idéaliste, il est essentiel que nous participions tous à l’édification du 1er pilier, qui est la colonne vertébrale de la cohésion sociale. Certes, certains retraités particulièrement aisés n’ont pas besoin de ce supplément de revenu pour vivre. Mais ils ont payé leurs cotisations, souvent plus que la moyenne, et ne doivent donc pas être exclus de la distribution. C’est une question de principe. Les plus riches, comme M. Blocher, qui regardent avec condescendance la rente AVS qu’ils perçoivent, ne sont pas si nombreux et ne dépassent certainement pas les 5% de la population. S’ils considèrent que cette 13e rente est inutile, rien ne les empêche de faire des dons à des œuvres sociales ou d’utilité publique. Certains le font déjà. Quant au coût pour l’Etat, n’oublions pas l’effet des vases communicants: les prestations complémentaires, qui représentent un coût de plus en plus important pour les cantons, diminueront si une 13e rente AVS est distribuée.»