Les horlogers nous l’ont rappelé ces jours-ci. Les champs magnétiques générés par nos smartphones perturbent les montres mécaniques et altèrent leur précision. A en croire les opérateurs de téléphonie mobile et leurs lobbys, ces mêmes ondes n’auraient en revanche aucune espèce d’influence sur la mécanique humaine. C’est, à l’évidence, cette logique qui l’a emporté au sein du Conseil fédéral au moment d’attribuer, le 8 février dernier, les licences 5G pour une durée de quinze ans pour un montant de 380 millions de francs à Swisscom, Sunrise et Salt.
Pour mémoire, la 5G, ou cinquième génération de téléphonie mobile, est ce réseau qu’on nous promet super-réactif, super-rapide, capable de connecter des milliards d’objets, dont les voitures autonomes. Mais c’est également et surtout ce réseau qui divise une partie de la population et la communauté scientifique et médicale, les uns y voyant une avancée technologique majeure, et les autres un risque potentiel accru pour notre santé, celle de la nature et de la planète. Selon ces derniers, le déploiement universel de la 5G entraînera en effet une augmentation considérable de l’exposition au rayonnement de radiofréquences, qui s’ajoutera au rayonnement induit par les réseaux 2G, 3G et 4G déjà en place. Or, affirment-ils, on a déjà la preuve des effets nocifs du rayonnement de radiofréquences pour les êtres humains et l’environnement.
>> Lire notre enquête: «Faut-il avoir peur de la 5G?»
Choc des idées
Ce choc des idées et des visions n’épargne pas notre pays. De plus en plus de voix réclament en effet un moratoire sur ce déploiement jusqu’à ce que des études d’impact sanitaire et environnemental sérieuses et indépendantes aient été réalisées. Un appel dont le Conseil fédéral n’a visiblement pas tenu compte, puisqu’il a respecté à la lettre le calendrier prévu pour l’attribution des licences.
Une inflexibilité qui fait jaser sous la Coupole, où certains se demandent si Simonetta Sommaruga, la nouvelle cheffe du Département des transports, de l’énergie et de la communication (DETEC), et ses collègues n’ont pas cédé à une logique économique et à la pression des opérateurs plutôt que de protéger la population en privilégiant le principe de précaution.
Pour le conseiller national socialiste zurichois Thomas Hardegger, le doute n’est pas permis. «C’est toujours comme ça que cela se passe quand l’industrie ou l’économie veut ouvrir un nouveau secteur. C’est elle qui dicte le rythme et qui impose les décisions. Il est prévu que le groupe de travail chargé d’analyser les risques en matière de rayonnement rende son rapport en été 2019. Maintenant que les licences sont attribuées et que les opérateurs investissent à tour de bras dans les infrastructures, que va-t-il rester de ses recommandations?» interroge celui qui a déposé une interpellation en décembre dernier à propos de la composition peu équilibrée à son goût dudit groupe de travail constitué par Doris Leuthard, l’ex-cheffe du DETEC.
«Madame Leuthard n’a pas été honnête»
«Madame Leuthard avait instrumentalisé son département, y compris l’Office de l’environnement, responsable de ce groupe. Tout le monde était acquis à la cause de la 5G autour d’elle», dénonce l’élu des bords de la Limmat, qui persiste et signe. «Dans une lettre envoyée par son département à la commission compétente du Conseil national, il est de surcroît demandé au groupe de travail qu’il veille à ce que les lacunes juridiques pouvant entraver le développement du réseau 5G soient comblées. Un élément contradictoire que Madame Leuthard et son département ont soigneusement caché aux médias. Ce n’est pas honnête de leur part. Et dans ces circonstances, on ne peut s’empêcher de penser que le groupe de travail a surtout pour tâche de neutraliser les critiques quant aux conséquences possibles du rayonnement et de calmer les inquiétudes de la population pour laisser le champ libre aux opérateurs.»
10'000 nouvelles antennes
Une opinion largement partagée par Lisa Mazzone, sa collègue des Verts, écœurée par l’attitude du Conseil fédéral, «dont le mandat n’est pas de plaire aux intérêts de l’économie, mais de protéger la santé de la population». La Genevoise s’inquiète également du fait que les trois opérateurs réclament que l’ordonnance sur les rayonnements non ionisants (ORNI) soit révisée et les niveaux maximaux abaissés. Un projet accepté par le National il y a quelques mois, mais rejeté par le Conseil des Etats. A une voix près.
«Comme pour les pesticides et tous ces domaines environnementaux qui concernent tout le monde et relèvent d’un choix de société, ces décisions sont prises par ordonnance du Conseil fédéral, ce qui ne laisse pratiquement aucune marge de manœuvre au parlement», regrette la représentante du bout du lac.
Au-delà des enjeux économiques qui se calculent en milliards, une autre question est éludée: l’installation de 10'000 nouvelles antennes à travers le territoire. Un déploiement massif qui fait enrager Thomas Hardegger. «Sans cette course effrénée à la 5G, que les opérateurs veulent efficiente en 2020, une grande partie de ces antennes pourraient être installées sur les mâts de la 2G, dont l’arrêt est programmé pour 2022 par Swisscom. Et puis, avec les progrès réalisés dans l’isolation des bâtiments, y compris des vitrages, il faudra toujours plus de puissance hertzienne pour les pénétrer. Dès lors, pourquoi ne pas renforcer la technologie par câble?»
«Le Conseil fédéral n’est pas un ramassis de vendus»
Tout autre son de cloche du côté de Fathi Derder, l’élu libéral-radical vaudois qui quittera le Conseil national en novembre. «Soupçonner que le Conseil fédéral soit composé de personnes inconscientes des dangers et vendues aux puissances de l’argent est le comportement habituel de complotistes persuadés qu’on est en train de détruire leur vie. Ce sont les mêmes qui assènent que le poste de télévision donne le cancer et qui décrètent que toutes les technologies émettant des ondes nous font mourir à petit feu. Les mêmes à qui la seule vue d’une antenne provoque des migraines. Or, et, croyez-moi, je me suis beaucoup penché sur la question, il y a zéro preuve scientifique ou médicale démontrant que la radiofréquence altère notre santé. C’est un mythe. Si on appliquait le principe de précaution sur la base d’une inquiétude, il faudrait débarrasser toutes nos routes et nos rues des véhicules à moteur. Tout cela n’est pas sérieux, presque grotesque», estime l’ancien rédacteur en chef de L’Agefi.
«Il y a 10% de personnes électrosensibles en Suisse», précise Thomas Hardegger. «Je n’en connais et je n’en ai jamais vu aucune», rétorque en écho Fathi Derder. On attendait plutôt ce débat dans les travées du parlement, pas par média interposé…
>> Lire aussi l'entretien avec le Dr Favre, signataire d'un appel à l'ONU
PARLEZ-VOUS 5G?
C’est à la fois inquiétant et révélateur. Licencié en génie informatique, le secrétaire général des Nations unies, António Guterres, a récemment confessé ne rien comprendre à la technologie 5G. Bizarre. C’est pourtant simple. Il suffit d’ouvrir un magazine spécialisé pour en saisir la substantifique moelle en quelques secondes.
La preuve. «La 5G sera un prérequis pour la collecte des données générées par tous les devices connectés et l’IoT. La solution se positionne entre le PoE (Power over Ethernet) et la fibre optique.» Ce n’est pas compliqué, non? Et à la question «comment ça marche?», la réponse est tout aussi simple: «Il suffit d’alimenter du câble coaxial avec le Power-over-Coax.» Cela coule de source. Mais au fait, y a-t-il déjà des utilisateurs de 5G? «Oui, le forum IP & Power-over-Coax, constitué d’une quinzaine d’acteurs mondiaux de la vidéosécurité et des grands utilisateurs, a fait une démo d’interopérabilité d’équipements provenant de six fabricants de commutateurs. Les acteurs cibles des applications IA se confirment être les réseaux physiques des utilities ou des réseaux supply chain.» Vous voilà au fait de la 5G...
«Volonté de ne pas informer»
Du coup, on a eu l’idée de demander une «traduction» à Solange Ghernaouti, professeure en cybersécurité et en cyberdéfense à l’Université de Lausanne. Qui fait une lecture bien claire de la situation.
«En réalité, il y a une volonté technico-politico-économique de ne pas informer le consommateur pour qu’il soit le plus docile possible, afin qu’il participe à l’extraction des données qui sera valorisée par le fournisseur (il est alors un employé non rémunéré). Il y a beaucoup d’hypocrisie et de mensonges autour du déploiement du numérique et de l’intelligence artificielle, qui se fait dans une logique de performance économique et de rationalité, au profit de certains uniquement, et rarement en tenant compte des besoins réels et des conséquences à plus long terme pour la société.» Vu comme ça, M. Gutierres devrait comprendre...