Laurence Desbordes
L'illustré
Laurence Desbordes
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A la rencontre de la rédactrice en chef Laurence Desbordes

Aujourd’hui, nous vous emmenons à la rencontre de Laurence Desbordes, la rédactrice en chef de L’illustré, qui se confie à vous en toute intimité sur ses responsabilités, son métier et les coulisses de ce magazine que vous recevez chaque semaine.

Où as-tu commencé ta carrière de journaliste?
Dans un quotidien local qui s'appelait La Presse Riviera Chablais et dont le siège était à Montreux.

Qu'est-ce qui t’a poussée à devenir rédactrice en chef de L’illustré?
Cela ne m'était jamais venu à l'idée mais lorsqu’on me l’a proposé j’ai accepté avec joie!

Quelles sont les principales responsabilités d'une rédactrice en chef?
S'assurer que la ligne rédactionnelle soit respectée, puisque L’illustré est un magazine romand qui porte un regard sur l'actualité locale et internationale. Faire aussi en sorte évidemment que les articles soient rendus en temps et en heure par les journalistes, et que les photos soient aussi faites dans les temps par les photographes mandatés. Et enfin, la mise en pages, qui est finalement la partie dont je me préoccupe le moins car les équipes ont tellement l'habitude qu'elles n'ont pas besoin qu’on soit sur leur dos pour savoir quand la page va être montée. 
Bref, il faut que tout soit prêt pour que le magazine soit envoyé à temps à l’imprimerie. C’est un défi chaque semaine.


Quelle est ta routine en tant que rédactrice en cheffe?
Il n’y en a pas, justement. C'est un travail qui n'est pas du tout routinier parce qu'on s'adapte d’une façon ou d’une autre à l'actualité. S’il y a une nouvelle qui tombe, on doit décider de la traiter ou non. Et si on décide de la traiter, on doit être prêt à rechanger tout le déroulé du magazine, recommander un article, trouver un journaliste disponible et mandater un photographe. Bien entendu, cela arrive en principe le vendredi, quand ce n'est pas le week-end (rires).


Sinon, il y a des passages obligés. Relire les textes qui sont rédigés avant qu'ils passent à la correction et donner un avis sur le mariage photo-texte, qui est un point essentiel pour L’illustré. Les photos, c'est un peu comme un texte, il y a une hiérarchie. On raconte une histoire en images. Nous sommes tout à fait conscients que les gens ne lisent pas forcément les écrits, mais regardent les photos et les légendes, donc j’y porte une attention particulière.

As-tu le temps d’écrire des articles en tant que rédactrice en cheffe?
Oui, je le prends quand ce sont des sujets qui me plaisent ou quand je ne trouve personne. Sinon, chaque semaine ou presque, je rédige l’édito, qui prend pas mal de temps. Même si c’est un petit texte que peu de monde lit, il a tout de même une place qui lui est accordée. Sinon, en moyenne, je rédige deux ou trois articles par mois.

Quels sont les défis que tu as pu rencontrer en prenant la direction éditoriale de L’illustré?
Les défis diplomatiques (rires). Le premier défi, c’est que mon équipe croit en moi et soit soudée après les différentes restructurations qu'il a pu y avoir. Pour moi, c'était le plus important. Et l'autre défi, évidemment, c'est de faire que deux magazines qui fusionnent (L’illustré et TV8) s’unissent harmonieusement. 

Comment est-ce que tu arrives à jongler entre neutralité journalistique et opinions personnelles?
Mes opinions peuvent ressortir dans le choix des sujets. Par exemple lorsque je décide de ne pas parler de telle personne ou de tel fait parce que je le trouve aberrant ou alors inintéressant. A partir de ce moment-là, je ne suis plus neutre, mais c’est un choix éditorial. Après, pour le contenu du texte, que ce soit moi ou les autres journalistes, on n'a pas à donner notre avis.

Sois honnête, est-ce que tu lisais L'illustré avant d'y travailler?
Oui, pour la bonne et simple raison que lorsque j'étais chez Edelweiss, L’illustré faisait partie du même groupe et que mon équipe «edelweissienne» et moi-même lisions ce titre, tout comme fût L’Hebdo. C'est un réflexe de tout journaliste. Enfin moi, je ne fais pas comme certains, je ne lis pas que mes textes (rires).

Je vois sur ton bureau un produit bien présent, pourquoi tous ces Coca-Cola? 
(Rire.) Parce que je n'aime pas le café et qu'il me faut de la caféine pour tenir la journée. Pour l’instant, je n'ai pas trouvé mieux. La réponse est aussi simple que ça.

Comment trouve-t-on de nouvelles histoires, de nouveaux sujets chaque semaine?
Premièrement, il y a une force de proposition pendant les séances de rédaction avec des discussions animées (rires) ou pas. Ça dépend de l'actualité. En amont, les journalistes font une revue de presse très sérieuse. Certains aussi compulsent les réseaux sociaux et bien sûr ont des informateurs, un peu comme les indics dans la police. Il y a aussi des sujets qui s'imposent en dehors des séances de rédaction, parce qu'on reçoit une information non négligeable ou encore parce qu’une actualité de dernière minute tombe. La difficulté, c'est de mettre ensemble divers sujets en alternant les interviews, les portraits, les reportages. C'est comme un puzzle complexe.. 

La plus grosse difficulté, c'est de trouver un sujet de couverture intéressant et cohérent.

Quel est le processus créatif derrière la couverture d'un numéro et qui participe à la décision finale? 
En principe, on choisit le sujet à mettre en avant lors de la séance de rédaction du magazine. Ensuite, on fait faire des photos en conséquence car une photo de couverture se doit d’être posée – sauf si c’est de l’actu ou un fait divers, bien sûr. Certains membres de la rédaction émettent des arguments pour ou contre, mais à la fin c’est tout de même moi qui tranche.

La rédaction de L'illustré s'efforce de toucher un large public, comment trouvez-vous l’équilibre entre articles d’actualité et reportages plus personnels ou portraits?
C'est un peu mon rôle de trouver cet équilibre. S'il y a 15 personnes qui me proposent un reportage (donc 15 reportages différents), je vais dire qu'on n’en prend qu'un dans ce numéro, puis les autres – s’ils sont bons – seront étalés dans les prochaines éditions en fonction de l'actualité. Il peut également arriver qu’on me propose un sujet qu'on peut ensuite décliner de diverses façons. Ainsi, si j'ai trop d'interviews, je peux demander à ce qu’il soit traité sous forme de portrait pour éviter que le lectorat ait l’impression de ne lire que des interviews. Mais c’est un équilibre difficile que l’on n’arrive pas forcément à tenir.

Y a-t-il un article ou un numéro de L'illustré dont tu es particulièrement fière? 
J'aime beaucoup faire celui de la rétrospective de fin d’année. Il n'y a pas forcément des articles, mais c'est un condensé de tout ce qui s'est passé dans l'année. On essaie de trouver des photos différentes de celles que l’on a fait paraître pour ne pas simplement reprendre ce qui a été utilisé. C’est un énorme travail qui demande quand même de faire une grosse marche arrière sur les 52 semaines passées. 

As-tu déjà eu un moment où un sujet semblait complètement «à côté de la plaque», mais qui a fini par devenir une pépite d'article?
Oui, cela arrive, bien sûr. Surtout avec des sujets sur lesquels on misait beaucoup et qui tombent à plat. On ne peut absolument pas évaluer ce qui va marcher ou pas. Souvent, c’est grâce au courrier de nos abonnés et de nos lecteurs que l’on comprend si on a tapé juste ou pas.

Qu’est-ce qui fait que L'illustré est un magazine si spécial?
C'est un magazine historique, qui a 104 ans et qui est transgénérationnel. Quand on était petits, on l'a tous vu chez nos grands-parents ou chez nos parents, qui eux l'ont vu chez leurs parents et grands-parents. L’illustré fait partie du paysage médiatique de la Suisse romande. En principe, tout le monde le connaît, même si on ne l'a pas toujours lu. 

As-tu déjà eu un moment où tu as dû «improviser» en tant que rédactrice en cheffe? 
Oui, ça m’arrive souvent, notamment dès qu'il y a l’annonce d’un décès. On est obligés de changer tout le magazine lorsque cela arrive. Généralement, ça tombe les week-ends, donc on doit appeler toutes les équipes (graphistes, journalistes, service photo), contacter des personnalités ou experts pour avoir des avis sur le défunt.

Est-ce qu'il y a un article ou une enquête qui t’a particulièrement touchée émotionnellement?
Il m’arrive d’être émue quand je lis les papiers de certains journalistes qui travaillent pour L'illustré. Des histoires poignantes avec des trajectoires compliquées. Mais dans ce que je rédige, j'ai toujours une distance totale avec le sujet.

Y a-t-il un sujet que tu rêverais de traiter dans L'illustré, mais que tu n’as pas encore eu l’opportunité d’explorer?
Oui, je voudrais faire une interview d'une personnalité que beaucoup détestent, mais que j'admire. Il s’agit de Michel Houellebecq. C'est une grande plume.

A L'illustré, vous devez recevoir énormément d’idées d’articles. Quelle est celle qui jusqu’à aujourd’hui vous a le plus marqués?
Un abonné qui est fan de Sylvie Vartan et qui voulait absolument que l’on fasse un article sur les adieux de la chanteuse. Je ne pensais pas que cette femme pouvait autant émouvoir. Il nous a d’ailleurs remercié après la parution. Et lorsque j’ai vu récemment le film Ma mère, Dieu et Sylvie Vartan, j’ai réalisé le pouvoir que pouvait avoir la carrière de certains artistes sur nos mots.

Quel est l'avenir du journalisme pour toi?
C'est un métier qui n'est selon moi pas en voie de disparition, mais qui se réinvente. L’avenir du journalisme peut être vu de plusieurs façons. Si on est optimiste, on pense qu'il y aura des gens très bien formés et motivés qui vont arriver sur le marché et ne tomberont pas dans le piège de la news facile et pas vérifiée. Le problème actuel, c’est qu'il y a beaucoup d'informations non vérifiées qui sont diffusées sur différents canaux, sont colportées et qui se révèlent totalement fausses. Mais le mal est fait et c'est pris pour argent comptant. 


Si les écoles de journalisme continuent à exister et que les professeurs qui enseignent le journalisme apprennent aux élèves les réflexes de base, ainsi qu’une nouvelle forme d'écriture, alors il n’y a pas de raison que le journalisme, le vrai, ne perdure pas. 

Comment l'équipe de rédaction travaille-t-elle pour rester fidèle aux valeurs du magazine tout en répondant aux attentes d’un public qui évolue?
Les rédacteurs évoluent eux aussi, c'est aussi simple que ça, et ils ont tous les doigts dans la prise de l’air du temps. 

Y a-t-il un message ou une vision que tu souhaiterais particulièrement transmettre aux lecteurs à travers ton travail? 
Le but d’un journaliste n’est pas de transmettre un message. C’est simplement de décrypter l’air du temps. Et ce que je souhaite vraiment, c’est que l’on prenne du plaisir à nous lire! 

Quel est ton lieu préféré en Suisse romande?
Un banc face au lac sur la Riviera. J’aime m’y asseoir et regarder les montagnes et le lac. Pour moi, cet endroit est magique, c'est la beauté incarnée.