Ils coûtent entre 5000 et 10 000 francs le kilo, entre 100 et 200 millions l’unité. Le budget de 6 milliards permettra donc d’acquérir entre 30 et 40 unités avec leur équipement et périphériques (armes, simulateurs, etc.). Le plus rapide des quatre (du moins d’après Wikipédia) est l’Eurofighter d’Airbus (2120 km/h). Le F-35 de Lockheed est le plus récent (mise en service en 2015). Le meilleur marché à l’unité devrait être le FA/18 Super Hornet de Boeing, qui est aussi le plus ancien (mise en service en 1999), qui se targue du plus grand rayon d’action (2346 km) et des meilleures statistiques d’accidents. Mais le candidat qui revendique le plus de gloire, c’est le Rafale de Dassault: en Afghanistan, en Libye, au Mali, en Syrie et en Irak, le fer de lance de l’armée française a excellé dans l’appui des troupes au sol. Et en 2009, lors d’une compétition de combat aérien aux Emirats arabes unis, l’avion multirôle français avait surclassé l’Eurofighter. De nouvelles versions, plus performantes, de certains de ces appareils sont en cours de développement.
Ces comparatifs de performances (objets de débats contradictoires parfois hargneux entre passionnés) ne seront pourtant pas décisifs dans le choix final du nouvel avion de combat. Alexandre Vautravers, rédacteur en chef de la Revue militaire suisse, rappelle une phrase prononcée par l’ingénieur aéronautique anglais Sydney Camm, l’inventeur entre autres des fameux Hurricane et Hunter: «Tous les avions ont quatre dimensions: l’envergure, la longueur, la hauteur et… la politique.» La Suisse n’a jamais fait exception à cette règle lors de l’acquisition d’un nouvel avion. Cette fois-ci, l’enjeu politique consistera à soigner nos relations diplomatiques avec, à choix, les Etats-Unis, l’Allemagne ou la France. Ou avec un peu tout le monde, si les 2 milliards de francs prévus en parallèle pour les missiles sol-air sont consacrés aux Patriot américains ou aux Eurosam franco-italiens. Pascal Kümmerling, journaliste aéronautique genevois, confirme lui aussi la dominante politique et stratégique du choix de l’appareil. «De tels achats permettent de renforcer les relations avec l’Etat producteur et, en ces temps de crise économique aiguë, chaque milliard est plus apprécié que jamais.»
C’est en novembre prochain que les quatre constructeurs en lice feront leur dernière offre à la Confédération. L’un d’eux se fendra peut-être de 20% de rabais, un autre ajoutera deux ou trois appareils en bonus, un autre encore sera particulièrement généreux sur les équipements, un autre enfin insistera sur une nouvelle évolution, plus performante, de son modèle d’ici à 2030. Armasuisse, l’Office fédéral de l’armement, analysera ces offres et livrera ses conclusions au Conseil fédéral, qui devra soumettre une proposition au parlement en juin prochain. Et c’est ce dernier qui désignera officiellement les ailes victorieuses. Les premiers exemplaires seront livrés (ou loués dans un premier temps) dès 2025. En 2030, les forces aériennes auront intégré leurs 30 à 40 nouveaux appareils et mis à la retraite la plupart ou la totalité de leurs vieux coucous.
Alexandre Vautravers et Pascal Kümmerling assurent que tout reste possible: «Tout dépend des dernières offres de novembre, estime Pascal Kümmerling. Les engagements des constructeurs sur l’obligation de garantir des commandes compensatoires auprès de l’industrie suisse pour un minimum de 60% de la facture totale joueront aussi un rôle.» Les favoris de Pascal Kümmerling sont le Super Hornet et le Rafale: «L’Eurofighter implique à mon avis une maintenance trop compliquée pour notre armée de milice. Quant au F-35, les Américains ne semblent pas prêts à livrer le code source de son informatique à l’acheteur et sa maintenance pourrait devoir être assurée en Italie. Deux restrictions difficiles à accepter, me semble-t-il.»
Le pronostic d’Alexandre Vautravers est différent: «Le choix du Rafale implique un renouvellement important des périphériques et des armements. Assumer la chaîne logistique du FA/18 et du Rafale en parallèle est donc complexe et cher. Je pense que le F-35 a toutes ses chances, du moins si on s’oriente vers une professionnalisation renforcée des forces aériennes ces prochaines décennies.» Ce spécialiste relativise le risque de devoir déléguer la maintenance de cet appareil en Italie, où Lockheed ambitionne carrément de créer une chaîne de montage, ainsi que les réticences américaines de partager une partie des secrets informatiques de cet appareil truffé d’électronique. «La question n’est pas tant les bases de données du constructeur que les signatures des menaces et des expériences d’engagement.» Pour Alexandre Vautravers, la furtivité du F-35 est un atout relatif dans le cadre de la défense aérienne.
Dans cet étrange business où les qualités du produit se fondent dans des impératifs diplomatico-géostratégiques, les décideurs suisses devront donc surtout déterminer s’il est temps de faire les yeux doux à Trump (ou son successeur), à Macron ou à Merkel. Il faut aussi espérer que nos autorités profiteront cette fois d’offres plus concurrentielles que jamais pour acheter un avion militaire sans le payer deux fois plus cher que les autres pays acquéreurs…
LE RAFALE PLÉBISCITÉ PAR NOS INTERNAUTES
A la question - posée en ligne à nos internautes - «lequel de ces quatre modèles préférez-vous?», la réponse est sans appel: le Rafale français de Dassault est plébiscité par 30 des 41 votants, très loin devant le FA/18 Super Hornet (5), l’Eurofighter Typhoon (3) et le F-35 Lightning II (3).