Yann Marguet: définition! C’est sûr, on n’est sûrement pas les premiers ni les derniers à parler de lui en reprenant le slogan fétiche des Orties. Sa chronique du jeudi sur Couleur 3 devenue culte, avec des dizaines de milliers d’auditeurs chaque semaine aimant se faire piquer l’oreille par son humour qui tranche, la truculence de son accent vaudois et une narration visuelle rythmée qui fait de chaque capsule de quelques minutes un petit bonheur. Les papas, les gros, le foot, tout y passe, jusqu’à 217 000 vues pour la vidéo sur les Français.
Marguet joue aussi à ses heures Sexomax, un conseiller sexuel ahurissant. Festival de déconnades garanti. Ça tombe bien, il le dit lui-même: «Je suis sur cette terre pour écrire des conneries et les dire!» Mais ce sont des conneries qui font sens. Marguet est un vivisecteur des questions qui taraudent, un ento- mologiste rigolo qui aime aller farfouiller dans nos incohérences et nos travers pour faire rire. Un caustique caché sous une apparence de gros nounours qui sait s’arrêter juste avant la méchanceté. Ce qui explique que le Vaudois de 33 ans fasse l’unanimité autour de lui. Il revendique pour lui aussi le droit de bichonner ses ambivalences, adore les situations absurdes qui font qu’il peut parler de la pauvreté ou de l’éthique tout en enrichissant sa collection de baskets made in China. Pour s’offrir les Yeezi (la marque de Kanye West) qu’il a aux pieds aujourd’hui, il a fait du shopping malin sur Facebook.
«Il y a des gens qui me trouvent vulgaire, mais c'est ma façon de parler»
«L’humour ne se théorise pas», dit-il en s’asseyant à la terrasse d’un restaurant branché où il a ses habitudes. Le patron vient saluer, Marguet garde ses lunettes de soleil, même sans soleil, plus par timidité semble-t-il que par dommage collatéral du star-système. Notoriété oblige, difficile pour lui d’entrer dans un bar ou un endroit branché de Lausanne sans qu’on vienne lui taper sur l’épaule. Il assure sortir beaucoup moins qu’avant. «En dehors de mes chroniques, je suis quelqu’un de réservé», avoue-t-il devant un tartare goûteux. Il fait partie de la génération de ces nouveaux humoristes, comme Blanche Gardin, qui parlent cru et cul comme peut-être jamais auparavant on n’avait osé le faire. Marguet a fait deux Orties sur la bite et le caca. Il est le premier aussi à se moquer de lui en parlant des hipsters et des gros, osant faire sa chronique filmée à torse nu sans crainte de montrer son bidon. «Il y a des gens qui me trouvent vulgaire, moi, c’est ma façon de parler; mais bon, je commence à me dire que je pourrais faire un effort…»
Il plisse ses yeux fins. Revient sur son parcours, Couleur 3, et avant Rouge FM avec La prise chère, l’émission esquisse qui annonçait Les orties, et puis cette drôle de ligne de vie où il n’a jamais imaginé faire des choix, de ceux qui vous figent une vie.
«A 17 piges, je n’avais aucune idée de ce que serait ma vie. J’étais juste bon à l’école, je n’avais pas de rêve d’avenir; j’ai suivi un pote qui est allé voir la faculté de droit et HEC. J’ai fait six mois à HEC et, après trois cours de statistiques, j’ai eu envie de me pendre. J’étais nul en maths!»
Il finira un master en droit avec un mémoire portant sur la délinquance juvénile comme phénomène de groupe. Rejoint la faculté de criminologie comme assistant. «Il aurait pu faire une brillante carrière», se souvient Marcelo F. Aebi, le professeur de criminologie qui l’a engagé et garde des relations amicales avec lui. Pas trop étonné par le virage à 180 degrés de son ex-protégé qui ne finira jamais son doctorat. «Il imitait déjà les professeurs, moi y compris, cela nous faisait beaucoup rire!»
Marguet a préféré céder aux sirènes de l’humour plutôt qu’à celles du profilage. Peut-être aussi parce qu’il a vécu trois ans avec une adepte de l’impro et a beaucoup observé ce monde-là. Avant que son copain Blaise Bersinger ne lui offre une carte d’auteur sur Rouge FM puis à Couleur 3. Il admire la force de travail de Recrosio, Thomas Wiesel relit souvent ses textes; il y a une belle amicale des humoristes romands, se dit-on à l’entendre évoquer ses pairs avec admiration.
Ses premiers rires à lui? «C’était en regardant Le bébête show avec mon père. Je réimitais Chirac, Giscard et Mitterrand, c’était mes premiers pas devant les parents. J’ai écouté des centaines de fois Ma cabane au fond du jardin de Laurent Gerra.»
Ce maître de la blague urticante a grandi à Sainte-Croix, dont son papa a été syndic avant sa naissance. Sa mère vient de Saint-Malo, Yann s’amuse parfois à mettre sa photo dans Les orties quand il a besoin d’une maman prétexte. «Elle a 20 ans de moins que mon père qui a aujourd’hui 91 ans, c’est un vieux monsieur qui vit un peu dans son monde…» Petite tristesse assumée quand il évoque ce grand âge qui met une distance involontaire entre eux et ne permet plus à ce papa de partager pleinement le succès de son cadet. Yann a des demi-frères et sœur qui ont la soixantaine. «J’ai l’âge de mes neveux, d’ailleurs je vis à Lausanne en colocation avec ma nièce.»
Il habite aussi à deux pas du bistrot de sa copine qui fait, assure-t-il, des tartines succulentes. Ne pas lui brandir le dicton «femme qui rit à moitié dans ton lit», il ne profite pas de son humour labellisé pour séduire. «J’étais déjà en couple avec elle avant de devenir humoriste, je n’ai donc pas profité de ce statut et je ne veux pas en profiter. Je sais ce que j’ai à perdre.» A l’adolescence, rit-il, les filles étaient sensibles à d’autres choses qu’à l’humour…
«Petit, je regardais Le Bébête Show avec mon père»
Le succès ne semble pas lui monter à la tête, même s’il jette un œil attentif sur ses audiences. Ce qui trotte par contre dans sa tête, c’est l’envie de monter sur scène, on sent d’ailleurs que quelque chose se prépare… Quand il a besoin de faire le plein de peps, il file à New York où il a vécu six mois, «une ville dont l’énergie hallucinante m’impressionne toujours».
Aujourd’hui, pour illustrer cet article, il a accepté de changer totalement de look et de poser en smoking. Marre, avait-il déclaré d’entrée de jeu, de faire le pitre pour les photographes avec la même dégaine. Ajoutant, assez touchant, «juste envie d’être beau». On l’a pris au mot!